Fatiha Agag-Boudjahlat et Zineb El Rhazoui, récompensées cette semaine, sont la preuve que la France n’est pas encore tout à fait morte. N’en déplaise à certains rappeurs…
Trois bonnes nouvelles, trois grandes joies. Le 5 novembre, le prix de la laïcité a récompensé Ariane Mnouchkine, Karima Bennoune, Virginie Tournay, Nadia Geerts et Fatiha Agag-Boudjahlat – félicitations à toutes, même si je me concentrerai sur la dernière, parce que j’ai l’honneur et le plaisir de la connaître. Et le 7 novembre, le Prix Simone Veil des Trophées « Elles de France » a été décerné à Zineb El Rhazoui, pour « son courage et sa force dans ses combats pour la défense de la laïcité, la lutte contre toutes les formes d’obscurantisme, et pour l’égalité femmes-hommes ».
Permettez-moi de savourer. De jubiler. De profiter d’un moment d’euphorie.
Ah, oui, me demanderez-vous: et la troisième bonne nouvelle ? La voici: la France est vivante! La France mérite que l’on croie en elle, et que l’on se batte pour la défendre! Grâce à Fatiha, grâce à Zineb, et c’est grâce à elles que je le sais.
Retenez ces deux prénoms!
Elles s’appellent Fatiha et Zineb. L’une est née en France, l’autre au Maroc. L’une est musulmane, l’autre athée. Elles ont en commun d’aimer la France, et de se battre pour protéger et transmettre ce que la France a de meilleur. Pour nous, pour nos enfants, pour toutes et celles et tous ceux, partout, qui espèrent accéder à la liberté et à la dignité que la France se doit de porter.
Mieux que quiconque elles en connaissent la valeur, parce qu’elles ne les voient pas comme des acquis, banalisés à force d’être familiers, mais comme le résultat d’une exigence sans cesse à renouveler et d’une vigilance constante, bienveillante mais lucide.
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Mieux que quiconque elles en savent le prix, parce qu’elle sont confrontées chaque jour aux injures, aux pressions, aux menaces, au danger bien réel, et qu’elles ne cèdent ni à la peur, ni au découragement, ni à la haine.
Comment pourrait-on ne pas croire que la France est grande, vivante, vibrante, si de telles femmes ont choisi de l’aimer et de la défendre ? Comment pourrait-on ne pas croire que la République est grande, vivante, vibrante, si de telles femmes ont choisi de l’aimer et de la défendre ? Et plus encore: comment pourrait-on ne pas voir que la France et la République sont grandies et ennoblies par ce choix, et qu’elles se grandissent en honorant ce choix?
Zineb El Rhazoui choque sur CNews
Zineb El Rhazoui a fait scandale ces jours-ci en rappelant le droit des policiers à la légitime défense, en rappelant que la République a les moyens de se faire respecter même dans les quartiers les plus difficiles, au lieu de les abandonner à la loi des bandes au détriment avant tout de leurs autres habitants. On l’a accusée de semer les graines de la guerre civile. Mais non! C’est l’impuissance publique qui encourage les groupes factieux. C’est cette impuissance qui pousse certains réseaux à attiser les haines et les exaspérations en espérant se poser ensuite en seul recours lorsque le pays sera au bord de l’explosion – n’est-ce pas, la nébuleuse fréro-salafiste? Vous espérez terrifier la France pour ensuite l’obliger à acheter la paix, au prix de sa dignité et de la liberté de ses citoyens, en particulier des femmes.
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Zineb, depuis des années, montre une autre voie et porte une autre voix. Celle des responsabilités assumées. De la tête haute. Du courage.
« Ce merveilleux mot d’émancipation, c’est un effort, individuel et collectif. » nous rappelle Fatiha Boudjahlat à propos de la laïcité. Alors que certains accusent la laïcité d’être islamophobe, voudraient l’assouplir, c’est-à-dire la saborder, une musulmane en parle à merveille et travaille avec ses élèves à la faire inscrire au patrimoine immatériel de l’Unesco ! Magnifique projet.
Car la laïcité, il serait temps de le comprendre et de le dire, n’est en rien anti-religieuse : tout ce à quoi elle s’oppose, c’est à l’idolâtrie des religions par elles-mêmes, mais certainement pas à la foi. « Tous les hommes, si on rappelle leur origine première, sont enfants des dieux » écrivait Sénèque. La laïcité n’est rien d’autre que le combat pour que ces enfants aient le droit d’assumer librement et dignement leurs responsabilités d’adultes. Rien de plus, et rien de moins.
La laïcité, trop compliqué pour les musulmans?
Et quel mépris envers les Dieux ce serait que de croire qu’ils auraient fait les humains à jamais incapables d’accéder à la plénitude de cette exigence! Et quel mépris envers nos concitoyens musulmans, au passage, que de prétendre que la laïcité serait bonne pour tous, mais trop difficile à porter pour eux….
A ceux qui sans cesse renvoient ces femmes formidables à leurs origines – et ceux-là ne sont pas les républicains, les universalistes, les laïques, ce sont au contraire les pseudo-antiracistes vendus au racialisme et à l’islamisme – je dis ceci: peu importe où elles sont nées, ce qui compte à nos yeux c’est qui elles sont, et ce pour quoi elles se battent.
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La France ne les a pas choisies comme paravent, comme prétexte, comme « arabes de service », non. Les Français – une bonne partie d’entre eux en tout cas, un mouvement de fond, une clameur sans cesse croissante – les ont choisies comme héroïnes. Oui, la France s’est parfois montrée ingrate, oui elle a parfois trahi ceux qui lui avaient fait confiance et la servaient. Mais elle a appris. Elle a grandi. Ceux qui ont versé leur sang pour elle, de toutes origines, l’on faite grandir.
Et depuis toujours la France dans ce qu’elle a de meilleur s’éveille à la voix de femmes qui l’appellent, et ravivent son ardeur. De Jeanne d’Arc à la Liberté guidant le Peuple, foin des récupérations, ces figures font battre son cœur.
Merci
Fatiha et Zineb, je suis heureux et fier de vous compter parmi mes concitoyennes, mes compagnes de lutte, mes amies. Votre exemple me redonne la foi, m’encourage et m’oblige. Votre exemple nous oblige tous.
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Par vous, « Fatiha » et « Zineb » sont devenus des prénoms français, ils sont entrés par la grande porte dans l’histoire de notre pays, dans sa culture, dans son âme, comme symboles de responsabilité, de liberté, de dignité. Et en cela ce n’est pas la France qui vous honore: c’est vous qui l’honorez.
François Cheng, peut-être le plus grand poète français vivant – il est né Chinois en Chine, il n’a commencé à apprendre le français qu’à 19 ans, et lui aussi aime profondément la France, la comprend avec finesse, et l’ennoblit de cet amour, de cette compréhension, et de la beauté qu’il fait naître avec ses mots – François Cheng a écrit :
« Nous rions, nous trinquons. En nous défilent les blessés,
Les meurtris ; nous leur devons mémoire et vie. Car vivre,
C’est savoir que tout instant de vie est rayon d’or
Sur une mer de ténèbres, c’est savoir dire: merci. »
Fatiha, Zineb, vous connaissez les blessures, les meurtrissures, vous portez votre part de douloureuses mémoires. Et par vos vies, vous faites resplendir des rayons d’or magnifiques. Merci.
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