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Où va le train?


Où va le train?

La réforme de la SNCF rencontre une vive opposition du monde cheminot. Lequel veut savoir – au-delà des avantages catégoriels – ce qu’on attend du service public du train à l’avenir. Une grève importante est prévue le 5 décembre.


Alors que le gouvernement se félicitait bruyamment de « sa réforme de la SNCF » et se préparait à en changer le patron, une série d’arrêts de travail est venue fragiliser le bel édifice jusqu’à perturber le départ des vacances scolaires dites de la « Toussaint ». Comment interpréter cette poussée de fièvre de l’automne et surtout comment imaginer la suite des évènements ? Le train est devenu essentiel pour les déplacements des Français, il est désormais plus rapide que la voiture tandis que tenant du bas carbone, il est recommandé par la poussée écologique.

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Après avoir accusé bruyamment l’irresponsabilité syndicale, politiques et commentateurs ont fini par s’accorder sur le fait que la révolte 2019 est d’une autre nature que les grèves de l’année 2018 qui avaient gravement désorganisé le pays tout en n’ayant débouché sur aucune avancée sensible pour les cheminots. Cet incontestable échec des syndicats qui voulaient lutter contre la dernière réforme de la grande maison a laissé un gout amer chez tout le personnel qui s’est senti humilié quand on l’a traité de « nanti » et parlé de tous les « avantages » dont il bénéficiait. La population qui accepte bien les actions dans le transport collectif quand elles viennent défendre les conditions de sécurité sont au comble de l’irritation quand elle est prise au dépourvu avec des grèves surprises jugées corporatistes. La verbalisation habituelle parlant d’un peuple « pris en otage » par des mouvements d’arrêt de travail connait d’ailleurs un réel succès et cette culture de la grève dont on accuse à juste titre la SNCF est certainement à modifier si les cheminots attendent un soutien de leurs revendications de la part des voyageurs.

Les régimes spéciaux remis en cause

Mais les arrêts de travail de ces derniers jours, après l’accident dans les Ardennes, ensuite relayés par le centre de maintenance des TGV de Chatillon sont des réactions spontanées de la base des cheminots et on aurait du mal à y voir les éléments d’un complot bien organisé pour affronter dans les meilleures conditions la grève annoncée le 5 décembre contre les projets de réforme des retraites.

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Les cheminots sont sans doute dans l’ensemble des professions celle qui a l’esprit de corps le plus fort, leur dévotion au train et à sa bonne marche est totale, et souvent depuis des générations, des actions spontanées d’arrêt de travail d’hommes de terrain montrent un désarroi et une désespérance sans précédent. C’est cela qu’il faut analyser avec soin pour ne pas aggraver la situation actuelle et trouver des remèdes permettant un retour au travail dans l’enthousiasme car si la passion pour le train est toujours vivante, le corps social, lui, a perdu la foi en l’avenir.

Tout d’abord il faut faire attention à cette image propagée de façon excessive des « avantages » octroyés aux cheminots. A la création de la SNCF, dans la période de reconstruction de l’après-guerre, le travail dur effectué allait être rémunéré en « salaire différé », c’est-à-dire à travers des émoluments inférieurs au secteur privé et compensés par une retraite possible à tarifs élevés et prise plus tôt. Le fait que cette pratique se soit étendue à une bureaucratie toujours plus nombreuse n’a pas été une bonne chose, de même il fallait sans doute mieux faire évoluer cette tradition compte tenu de l’évolution du travail. Mais comme je l’ai souvent dit, le fait que des facilités soient données aux conducteurs de trains pour finir plus tôt leurs carrières m’est toujours apparu pleinement justifié, et je mets en regard la retraite proportionnelle des militaires de carrière qui correspond également à une « spécialité » légitime. Attaquer les « régimes spéciaux » de retraites sans discernement et en les jetant tous aux orties me semble à la fois puéril et irresponsable.

Nouvelle SNCF

Mais surtout il va falloir expliquer au personnel de la SNCF ce qu’il doit faire et ce que va devenir leur maison commune. Si cela apparaît clair pour certains politiques et quelques administrations, on peut dire sans risques d’être démenti qu’ils sont bien les seuls à avoir ce point de vue. Et à chaque fois qu’un incident arrive ou qu’une initiative de transformation apparaît, ce sont autant de flammèches qui viennent alimenter une poudrière latente. La fermeture des boutiques SNCF, la suppression de beaucoup de guichets, puis la solitude de certains conducteurs de TER sans ACT (ou contrôleurs) dans les voitures ont été mal accueillis par la clientèle comme par les cheminots. Il faut faire des économies pour affronter la concurrence leur dit-on, mais ces économies sont-elles correctement réparties entre les hommes de base et leurs superstructures, et surtout la concurrence c’est quoi ? A quelle sauce allons-nous être mangés ? La « nouvelle SNCF » que l’on nous présente comme le paradis qu’est-ce que c’est ?

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Effectivement la doctrine de la concurrence salvatrice imprègne toutes ces dernières années de transformation de nos services publics, mais les confrères des cheminots, ceux du gaz et de l’électricité, ne plaident pas pour l’adopter sans effroi. Personne ne se satisfait des réformes sur le gaz, tant qu’à l’électricité, les tarifs augmentent sans cesse, on parle de démanteler EDF tandis que pour assurer une concurrence il a fallu obliger EDF à vendre à un prix d’ami une partie du courant produit aux concurrents créés à cet effet dans le cadre d’une loi « accès régulé à l’électricité nucléaire historique ARENH ». EDF est dans la tourmente pour satisfaire une idéologie de la concurrence qui n’est pas adaptée à la concentration des responsabilités nucléaires du pays. De la même façon, le réseau ferré ne peut s’adapter à une concurrence suscitée par les pouvoirs publics qu’en restreignant les actions de la SNCF elle-même ou en augmentant les prix à la clientèle, ce qui ne va pas dans le sens d’un service public national pour lequel se dévoue le personnel actuel . La théorie de la concurrence qui conduit à « sauver » le train est inaccessible pour plus de 150 000 personnes qui travaillent aujourd’hui dans cette belle compagnie, car elle n’est pas adaptée au monopole structurel constitué par un réseau de lignes sur lequel il faut réguler un trafic. On peut concevoir certaines lignes gérées par d’autres compagnies comme c’est le cas en Suisse, mais l’expérience britannique sur le modèle préconisé actuellement a été un échec cinglant et a été la cause de nombreux accidents, (les retards, on n’en parle même plus !).

Retrouver une doctrine de service public

Offrir une réforme à un corps social aussi important que les cheminots sans leur proposer un modèle, un mode de fonctionnement, une démarche, tout en leur faisant miroiter la fin de leurs avantages et des compressions de personnel est de mon point de vue irresponsable. Je le répète, sur le terrain, sans même parler d’adhésion, il y a surtout incompréhension. Or, on a la chance d’avoir avec la SNCF un personnel dévoué et compétent -encore- voulant à la fois la bonne marche des trains, une satisfaction de la clientèle et acceptant par avance des sacrifices si c’est pour faire avancer leur rêve : un pays qui a compris que le train, leur train, était essentiel pour la vie sociale et économique. Leur culture de la grève dont je ne lasse pas de dire qu’elle est désastreuse, ne doit pas faire oublier tous les efforts effectués quotidiennement et surtout lorsque tout le reste du pays dort ou est en vacances.

Ne pas mépriser, ne pas humilier, comprendre, expliquer, et se rapprocher constamment des problèmes posés par la base de ceux qui ont la responsabilité de transporter de plus en plus de Français, et, finalement retrouver une doctrine du service public à la française que des discours tonitruants sur une concurrence artificielle qui n’existe nulle part ont fini par occulter: voilà un beau défi pour l’avenir.



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Industriel, consultant, auteur, chroniqueur, bloggeur. Dernier ouvrage 'Pour une France Industrielle

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