Le voile est devenu l’étendard identitaire d’un nombre croissant de Françaises musulmanes. Alors que leurs aînées s’intégraient, ces jeunes bigotes aspirent à une vie communautaire affranchie des valeurs de la République. Enquête.
« Benoît Hamon ira au paradis, Allah le reconnaîtra ! » Ce propos émane d’esprits illuminés par la lecture rigoriste du Coran vivant de l’autre côté de la Méditerranée. On en rit, certes. Mais la rue arabe résume en une phrase la débâcle des élites françaises face à l’affirmation, de jour en jour plus manifeste, d’un islam revendicatif, insoluble dans la République. Cette anecdote, qui cache un phénomène grave, nous est racontée par la Franco-Marocaine Myriam Ibn Arabi, professeur de philosophie et cosignataire de la tribune « Le voile est sexiste et obscurantiste : l’appel de 100 musulman(e)s de France », publiée par Marianne fin octobre. À l’heure où l’opinion mondiale s’indigne du sort des Kurdes délaissés par les Occidentaux dans leur combat contre Daech, il est grand temps d’entendre nos concitoyens de culture et de religion musulmanes qui tentent de s’opposer – sans davantage de soutien que les Kurdes – à la progression de l’islam identitaire. Beaucoup ont fui des pays régis par les préceptes coraniques et savent reconnaître les agissements communautaristes sous le voile d’apparence inoffensif d’une accompagnatrice scolaire.
Le voile se banalise
Nul n’ignore plus désormais que, le 11 octobre, le député RN Julien Odoul a demandé à la présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté de faire retirer son voile à une dame qui accompagnait les enfants d’une école primaire, venus voir le fonctionnement d’une institution démocratique. Fatima E., qui a reçu de très nombreux soutiens, clame néanmoins que sa vie a été détruite. Une autre Fatima, psychiatre et psychanalyste d’origine maghrébine, ne tergiverse pas : « Quelqu’un dont la vie a été détruite n’a pas la force d’aller porter plainte ni de donner des interviews. » Tout comme Myriam (ou Marie, elle emplit les deux) Ibn Arabi, Fatima estime qu’il faut légiférer pour interdire le voile lors de sorties scolaires : « Sinon, les gens peuvent dire, et à raison, qu’ils respectent la loi ! » Selon Myriam Ibn Arabi, une nouvelle loi aurait deux avantages, rappeler qu’une sortie scolaire est une classe en dehors de l’école où la religion n’a pas sa place, et offrir un peu de confort aux enseignants. Grégoire, jeune professeur d’histoire-géographie dans un lycée du XVIIe arrondissement de Paris, ajoute un autre objectif : empêcher que le voile ne se banalise. Ses élèves viennent aussi bien de familles bourgeoises de la capitale que de celles, issues de l’immigration, qui vivent de l’autre côté du périphérique. « Si je leur tenais le même propos que Blanquer, je me ferais huer en classe ! », dit-il, encore impressionné par le débat sur la laïcité qu’il a tenté d’animer et qui s’est réduit à une charge virulente contre la société contemporaine, avec la liberté qu’elle accorde à tous les individus de s’émanciper et aux femmes de porter la minijupe. Précisons que, dans la dénonciation des avancées libératrices, les filles n’étaient pas en reste. « Le regain identitaire est incontestable », ajoute Grégoire, dont les élèves arborent les maillots des équipes de foot des pays dont sont originaires leurs parents, voire leurs grands-parents. Phénomène également observé par Marie Ibn Arabi : « L’école ne fabrique plus des citoyens. On a confisqué le patriotisme aux petits Français. Et pendant les fêtes, les parents sortent les drapeaux de leur première patrie. » Comment en sommes-nous arrivés là ?
Paul Ricœur voyait venir le problème en 1985 : « Notre laïcité ne peut être perçue par les musulmans que comme une idée folle issue d’une religion fausse [tooltips content= »Paul Ricœur, La Critique et la Conviction : entretien avec François Azouvi et Marc de Launay, Calmann-Lévy, 1995. »](1)[/tooltips]. » La réalité est plus nuancée, ne serait-ce que parce que les « musulmans », ça n’existe pas. De mémoire, Leyla, 58 ans, secrétaire de rédaction dans un grand magazine de mode, n’a jamais eu à subir la moindre pression religieuse de son milieu d’origine. Au contraire, ses parents, nés en Kabylie, n’ont eu de cesse de répéter à leur progéniture qu’il fallait s’intégrer. D’ailleurs, cela allait de soi : « Avec toutes mes copines de la cité, nous voulions ressembler aux Françaises. Devenir indépendantes, travailler, s’amuser, aller en boîte. Si je m’étais présentée voilée devant mes parents, ils m’auraient fichue dehors ! Et cela ne nous empêchait pas d’observer le ramadan. » Parmi les musulmans, y compris pratiquants, beaucoup épousent les valeurs de la République et n’aspirent qu’à se fondre dans la mosaïque de la société française. Il est à craindre cependant qu’ils ne soient plus majoritaires et que la prédiction de Ricoeur, au lieu de se périmer, devienne de plus en plus pertinente. Cette évolution suggère l’existence d’un clivage générationnel inquiétant : les jeunes musulmans sont globalement moins intégrés à la culture française que leurs parents.
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« Salem aleykoum, les sœurs. Ça fait quelques années que je pense à porter le voile. Maintenant je suis mariée, al hamdulilah, et je travaille dans la fonction publique. Avec toutes les polémiques sur le voile en ce moment, j’aimerais encore plus sauter le pas. J’ai besoin de conseils et de témoignages. » Ceci est l’un des messages postés sur le forum anonyme « Entre sœurs fillah », accessible via Facebook. En réponse, les encouragements pleuvent : « Fais-le, ma sœur, après tu n’auras plus jamais envie de l’enlever », « Au lieu de devenir une vendue, il vaut mieux mettre le voile. » En survolant les échanges entre les usagers du site Yabiladi.com, qui promet « Le Maroc à portée de clic ! », on ne compte plus les textes de la même eau. « Le voile en France, c’est vraiment un sacrifice pour Allah, se plaint une certaine Dzaïr-47, j’aimerais tellement que les imams/prédicateurs soutiennent plus les femmes qui le portent, plutôt que de remettre le voile tout le temps en question. Surtout à une époque où l’on nous fait vivre la misère au lycée pour une jupe trop longue et que l’on se fait agresser verbalement dans la rue. » Une âme charitable s’empresse d’apporter un conseil : « Si tu as la possibilité, essaye de te rapprocher d’un quartier à majorité musulmane où ton hidjab sera normal. » Un autre commentateur renchérit : « L’idéal serait d’aller vivre dans un pays où l’islam est la norme. Je me dis qu’un bien-être immense nous submergerait. » Curieusement, la suggestion ne fait pas l’unanimité.
À tous ceux qui seraient tentés de faire leur hijra, c’est-à-dire émigrer en terre d’islam, on demande de réfléchir à deux fois : « Renseignez-vous bien sur le pays où vous voudriez aller. Dans certains endroits on prône la hijra mais en réalité ce sont les sectes qui font leurs propres lois islamiques (s’autorisent les mariages entre eux, épousent des petites filles, divorcent à tout-va). Allah Yaster ! » Et si ce n’était pas suffisamment dissuasif, on rappelle quelques avantages à vivre dans cette France hostile aux musulmans : « Tu crois que la France va pleurer après ton départ ? Tu crois que les RAS-istes, les CMU-istes, les AID-istes de l’État vont te suivre ? Pour ma part, je suis mieux en France, c’est sûr ! » On le concède volontiers parmi les intéressés, en attribuant à cette parole sacrilège une émoticône en forme de cœur. Pas question pour autant de rester en France sans condition : « Pas la peine de quitter la France. Il faut juste leur donner une bonne leçon, en arrêtant de dépenser notre argent dans Auchan, Intermarché, etc. Dépensons-le plutôt dans les épiceries muslim, développons notre propre économie. Ils verront que sans nous, la France n’est plus rien. » S’il est vrai que, comme le soutient Philippe Raynaud, « la question laïque se joue d’abord dans les multiples décisions qui, au jour le jour, font vivre la République [tooltips content= »Philippe Raynaud, La Laïcité : histoire d’une singularité française, Gallimard, 2019. »](2)[/tooltips] », nous devons envisager l’éventualité que certains quartiers, voire certaines villes, se retranchent des règles et lois censées garantir la cohésion nationale et permettre le « vivre-ensemble », terme devenu, à force d’être contredit par la réalité, l’objet de toutes les moqueries.
Entre communautarisme et réseau
Fatima, qui réside et travaille en banlieue parisienne, dans un de ces « territoires perdus de la République », n’a pas peur d’exagérer en évoquant « la partition » de la France. Les scènes qu’elle observe aussi bien de sa fenêtre qu’à l’hôpital où elle reçoit quotidiennement des patients d’origine immigrée lui fournissent, dit-elle, assez de preuves pour valider sa prédiction : « Je vois comment les femmes voilées se repèrent au marché, dans la rue. Leurs réseaux s’organisent très vite. Elles inscrivent leurs enfants aux cours d’arabe, ce qui n’a rien de répréhensible en soi, mais on se demande pourquoi elles choisissent les écoles ou les associations clairement cultuelles, financées par on ne sait quelles agences des pays du Golfe, et non pas l’Institut du monde arabe, pourtant situé à quelques stations du métro. »
Depuis qu’une partie de la gauche française – embrayant derrière un Foucault égaré par Khomeiny – a succombé à la « séduction de l’islamisme », la complaisance de nos élites à l’égard d’une vision de la femme des plus rétrogrades n’a jamais terni. Pis ! À présent, elle pare le voile de vertus émancipatrices et jette l’opprobre de l’islamophobie sur celui qui ose le critiquer. Ainsi, les idées défendues par Lallab, une association militante qui se propose de « faire entendre les voix des femmes musulmanes » et fustige « l’agression sexiste et raciste d’une maman voilée », trouvent-elles un écho anoblissant dans les pages du Monde où on a pu lire une tribune intitulée « Jusqu’où laisserons-nous passer la haine des musulmans ? », signée par 90 personnalités, de facto favorables au port du voile. « Le plus fou dans l’histoire, c’est que la tenue portée par la femme au conseil régional de Bourgogne n’est pas connue au Maghreb. C’est une mode vestimentaire répandue dans le Golfe », s’emporte Marie Ibn Arabi. L’alliance des pétrodollars et des paraboles – puis des réseaux sociaux – s’est révélée ultra efficace dans la propagation de l’islam wahhabite. Sur Facebook, le groupe « Musulmanes de France » a tout le loisir de s’enthousiasmer de la création, par la marque Mattel, d’une poupée Barbie voilée : « Il est important que l’on soit représentées par les marques internationales, ce qui pousse à l’ouverture d’esprit et à la tolérance et, ici, aussi qu’une fille puisse se retrouver auprès d’un vrai modèle et non pas juste une taille parfaite avec une tonne de maquillage et blonde aux yeux bleus. »
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Il serait cependant simpliste de penser que derrière chaque femme en hidjab se cache un agent des Frères musulmans. Selon Ibn Arabi, les motivations des femmes qui se voilent sont diverses, allant du panurgisme au militantisme. Leyla abonde dans ce sens : « C’est souvent plus identitaire que religieux. Il suffit de prendre certaines lignes du métro parisien pour s’apercevoir que des filles voilées, ça drague, ça se trémousse dans un jean moulant, et ça se refait des yeux de biche à chaque arrêt. Mais le voile, ça tient chaud, ça donne le sentiment d’appartenance à une communauté. » Une opinion corroborée par Fatima qui, tout en dénonçant l’hypocrisie pudibonde omniprésente dans l’islam, reconnaît les bienfaits paradoxaux du voile : « Le voile donne une identité et la reconnaissance de son propre groupe d’appartenance, donc une force psychique. Parfois, je suis envieuse moi-même de ces femmes voilées, parce qu’elles ne se posent aucune question, ne se laissent submerger par aucun doute existentiel. »
De fait, la plupart des annonces postées sur la page du groupe « Entre sœurs fillah », expriment moins la logique d’un islam conquérant que l’aspiration à la survie. On y cherche un filon pour gagner un peu d’argent, alors qu’un seul salaire ne permet pas de nourrir la famille et que le niqab empêche d’accéder au marché du travail. On s’épaule dans des épreuves – maris infidèles, stérilité, violence conjugale, possession par le djinn ou le mauvais œil. On y crée une sorte de petite oumma virtuelle, rassurante face à la modernité, avec son individualisme et l’isolement qui en découle. « L’islam est pluriel », conclut Myriam Ibn Arabi, désolée de voir les Français amalgamer « des » musulmans obscurantistes, obsédés par le corps des femmes, et « les » musulmans tout court. Sans doute. Mais si nous ne voulons pas que la partie de l’islam qui est disposée à cohabiter avec d’autres confessions dans le cadre d’une république laïque se fasse kidnapper par les tenants du salafo-wahhabisme, il faut oser la fermeté sur le respect de nos principes. Il n’est pas sûr que nous en soyons encore capables.
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