Depuis la chute du dictateur Robert Mugabe, la situation du Zimbabwe ne s’est pas améliorée. Malgré la richesse de son sous-sol, l’ex-Rhodésie souffre d’une économie désorganisée et de pénuries chroniques. Son état critique pourrait la placer sous dépendance chinoise.
Évincé par un coup d’État en 2017, après trente-sept ans au pouvoir (1980-2017), l’ancien dictateur zimbabwéen Robert Mugabe s’est éteint le 6 septembre 2019, à l’âge de 95 ans, dans un hôpital de Singapour. Des funérailles nationales ont eu lieu à Harare le 14 septembre. Anticolonialiste d’obédience marxiste et « père de l’indépendance » du pays, il restera cependant dans les mémoires comme l’un des principaux responsables des massacres de Gukurahundi, qui firent plusieurs milliers de morts au sein de l’ethnie Ndébélé, entre 1983 et 1987, dans l’ouest du pays.
Une gestion désastreuse
Selon certaines estimations, la fortune de Mugabe s’élèverait à un milliard de dollars [tooltips content= »« Robert Mugabe’s Vast Wealth Exposed by Lavish Homes and Decadent Ways », theguardian.com, 17 novembre 2017. »](1)[/tooltips]. L’économie du Zimbabwe, pays considéré comme la « Suisse de l’Afrique » au début des années 1980, a été laminée par la gestion désastreuse, la corruption et le pillage des ressources à une échelle inédite. Mugabe, son épouse Grace, surnommée « Gucci Grace » en raison de ses extravagants goûts de luxe, leurs enfants, ainsi que leurs nombreux affidés du parti présidentiel ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique), en ont été les principaux bénéficiaires.
Depuis novembre 2017, sous la houlette de l’ancien vice-président et chef des services de renseignement et des forces de sécurité devenu le nouvel homme fort, Emmerson Mnangagwa surnommé le « Crocodile », le pays tout entier continue de sombrer lentement dans la misère et le désespoir, en dépit de ses ressources minières d’importance stratégique.
La ruine de l’économie est largement imputable à la réforme agraire qui, à partir de 2000, a conduit à l’expropriation, dans des conditions particulièrement inhumaines, de plus de 4 000 fermiers blancs. En 2018, sous la pression internationale, le nouveau président a tendu la main aux quelque 200 fermiers blancs encore propriétaires de leur ferme. Mais loin d’être confiants, ces derniers craignent au contraire une expropriation prochaine.
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D’après la journaliste Peta Thornycroft, lauréate du prix de l’International Women Media Foundation pour son courageux suivi de l’évolution du Zimbabwe depuis plusieurs décennies [tooltips content= »« Peta Thornycroft, 2007 Lifetime Achievement Award », iwmf.org, 16 septembre 2019. »](2)[/tooltips], Mnangagwa avait l’intention de faire indemniser un tant soit peu les fermiers spoliés par les gouvernements. L’immense préjudice a été évalué par les fermiers à 9 milliards de dollars US. Nombre d’entre eux, tombés dans le plus extrême dénuement, croupissent dans des hospices gérés bénévolement par des églises. Fin juin 2019, 28 fermiers blancs, parmi les plus démunis, ont finalement reçu l’équivalent de 8 700 euros chacun, une somme dérisoire par rapport à l’ampleur des spoliations, mais un petit pas en avant tout de même. Environ 700 autres fermiers devraient recevoir cette somme. Le président a cependant clairement fait comprendre que les expropriations conduites par le passé étaient irréversibles. La situation est inextricable alors que 1,6 million de personnes vivent sur ces terres depuis près de vingt ans et n’ont nulle part où aller.
Pénuries, choléra & diamants
Pour l’heure, le pays reste soumis à des sanctions émanant des États-Unis et de l’UE, assorties d’un embargo sur les ventes d’armes. Confronté à une sévère pénurie de dollars et privé de financements internationaux pour défaut de paiement de ses dettes, le Zimbabwe a dû se tourner vers ses voisins, en empruntant 985 millions de dollars US auprès de banques régionales avec, pour garantie, sa production minière, notamment aurifère.
Peu de pays peuvent en effet se targuer de disposer d’un sous-sol aussi riche en ressources minérales que celui du Zimbabwe. Outre des diamants (2,8 millions de carats produits en 2018), de l’or, de l’argent, des métaux usuels, des minerais industriels, du platine, il produit du palladium, actuellement plus cher que l’or. Il extrait du tungstène, du cobalt, du lithium, mais aussi du graphite. Il occupe ainsi une place de choix dans la production des composants essentiels pour les technologies de pointe, domaine où la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine fait rage.
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Depuis la chute de Mugabe, la situation économique ne s’est pas améliorée – au contraire. Les pénuries de carburant, de médicaments et de devises étrangères pourrissent la vie quotidienne des habitants et réduisent considérablement l’activité du pays. L’électricité est désormais coupée dix-huit heures sur vingt-quatre. Afin d’alimenter les groupes électrogènes, les habitants patientent pendant huit ou neuf heures au sein d’interminables files d’attente aux abords des stations-service. Sans carburant, l’irrigation des terres et l’utilisation des machines agricoles sont impossibles. Les paysans ont donc été contraints de moissonner prématurément leur blé de 2019 sur des milliers d’hectares. Dans les grandes propriétés agricoles, les travailleurs ne touchent souvent plus leur salaire. Le choléra a refait son apparition. L’accès restreint à l’eau et sa piètre qualité posent de nombreux problèmes sanitaires. Le spectre de la famine se profile à nouveau et concernerait entre 2 et 5 millions de personnes, en raison notamment d’épisodes de sécheresse récurrents. Cette situation n’émeut pas l’élite au pouvoir. Des manifestations contre les pénuries et la politique gouvernementale ont été sévèrement réprimées par l’armée, qui a tiré à bout portant sur des civils en août 2018 et en janvier 2019.
Au vu de sa position de grande vulnérabilité actuelle, la tentation est grande pour le Zimbabwe de confier son avenir à la Chine, déjà omniprésente sur le terrain. Un comble pour le camarade Mugabe (« Comrade Bob »), décrit par Mnangagwa comme « l’icône de la libération » du continent africain et comme « un panafricain qui a consacré sa vie à l’émancipation de son peuple ».
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