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Pas de polémique sur la viande halal !


Depuis quelques années, je ne mange plus ni foie gras ni homard. J’accepte que l’on tue des animaux pour me nourrir, et même qu’on les élève pour ça, mais je n’aime pas qu’on gave jusqu’à la cirrhose, qu’on ébouillante ou qu’on torture de n’importe quelle façon des bestioles pour me servir des mets raffinés. Je ne refoule pas le prédateur qui sommeille en moi et je ne veux renoncer ni à la nature humaine ni aux cultures qui nous placent en haut de la chaîne alimentaire mais j’ai choisi, discrètement et sans emmerder personne, de ne pas cautionner ces prouesses gastronomiques qui n’arrachent pas que des cris de bonheur.

Je ne mange ni bio ni macrobio, mon corps est davantage, pour moi mais pas seulement, un instrument de plaisir qu’un temple sacré et je préférerai toujours une entrecôte bien riche en graisses et en cholestérol à un bol de riz complet non cancérigène et sans OGM. J’avoue que les risques de cancer dus à l’alimentation m’inquiètent moins que les effets de la surpopulation, mais ceci est un autre sujet. Pourtant, je ne mange pas n’importe quoi. Si on me l’avait dit quand j’étais ado, je me serais sûrement flingué pour ne pas vieillir mais, aujourd’hui, je regarde l’étiquetage de la viande au supermarché avant de jeter les barquettes dans mon caddie. Sensiblerie bobo peut-être, mais mon aversion pour la souffrance animale l’emporte sur ma réticence à dépenser plus et je choisis les viandes d’animaux qui ont une vie avant la mort, ceux qui trottent, broutent et baisent plutôt que celles des malheureux qui grossissent à coups d’hormones dans des usines à veaux, vaches, cochons et poulets.

Par compassion pour les animaux, leur mode de vie et celui de leur mort, je suis donc exigeant sur l’origine de la viande. Pour cette raison, entre autres, je ne mange pas halal.[access capability= »lire_inedits »] L’autre raison est mon islamo-réticence (islamophobie sans phobie) mais je ne m’attarderai pas là-dessus. Enfin si, un peu quand même : on n’échappe pas à ses obsessions. Depuis l’apparition des Quick halal, je n’y vais plus déjeuner. Tant pis pour le menu Giant XXL avec frites et Nestea : j’y ai renoncé depuis que ces industriels belges sans foi ni loi du fast-food participent à l’islamisation de mon pays par ses estomacs et ses intestins pour gagner des parts de marché. Il me semble que, dans ce cas précis, même si mes motivations ne sont que « bas instincts » − pour reprendre les termes de mes adversaires −, le choix de mon alimentation relève de mon droit le plus élémentaire.

Mais puis-je encore m’exclure d’un marché qui invite des imams et des rabbins à venir jusque dans nos abattoirs surveiller que l’on égorge bien nos vaches et nos moutons ? Avons-nous, il y a deux cents ans, coupé le cou du roi sans étourdissement pour adopter aujourd’hui des rites alimentaires archaïques[1. C’est une opinion personnelle que personne n’est obligé de partager.] parce que c’est un commandement divin ? En réalité, je me fiche de la réponse générale à cette question, j’ai la mienne et j’y tiens. Je me débrouillais donc, jusqu’à présent, pour jouir de mes interdits en toute liberté par l’exercice du boycott et pour éviter de subir ceux des autres. Cette époque radieuse est finie. J’apprends aujourd’hui que je mange halal sans le savoir. Par une combinaison d’intérêts qui va de mon boucher jusqu’au sommet de l’État, on ment. Par omission, on ment matin et soir dans un pays où la transparence est une religion, les normes en matière de santé publique un cadre d’airain et le principe de précaution un dogme. Pourtant, il paraît que le mode d’abattage rituel favorise l’apparition de bactéries microbiennes, mais ce n’est pas mon souci en l’occurrence. Ni celui des pouvoirs publics, semble-t-il, toujours prompts par ailleurs à faire appliquer un principe de précaution toujours plus drastique. Rappelons-nous ces milliers de volailles, d’ovins et de bovins envoyés à l’abattoir pour cause de vache folle, de tremblante du mouton ou de grippe aviaire pour trois pékins malades et deux centenaires qui, de toute façon, n’auraient pas passé l’hiver.

Peu importe, pour le Président, « la polémique n’a pas lieu d’être ». Et mon cul, c’est du couscous-poulet ? Qu’il me soit permis de juger ce qui donne matière à polémique au lieu de me les interdire ou de me les imposer. Entre le halal partout et Christian Vanneste bientôt nulle part, j’aimerais pouvoir choisir. Eh bien non. « On » a choisi de m’éviter cet embarras. Mais de qui « on » est-il le nom ?
Il y a le marché. Pour faire baisser les coûts de production et parce que le maintien alterné des deux méthodes devenait trop onéreux, la filière viande, en Île-de-France, a dû opter pour un seul mode d’abattage. À quelles exigences croyez-vous donc qu’elle céda ? Au cochon de payant dans son écrasante (dans mes rêves) majorité qui prend ce qu’on lui donne et qui la ferme, poli et confiant, ou à ces phobiques du sang qui craignent l’enfer s’ils en trouvent dans leur assiette ou dans le lit conjugal ? À partir de là, l’abattage rituel est devenu la norme en Île-de-France, et les détaillants petits et gros ont préféré la discrétion et la loi du silence. Peut-on leur en vouloir ? Qui met aujourd’hui son commerce en danger pour défendre sa civilisation ? Qui prend le risque d’effaroucher le client en refusant que le mensonge passe par lui ? Renaud Camus, certes, mais il est d’une trempe dont on ne fait pas les commerçants.

Depuis le début de la polémique, n’en déplaise à Sarkozy, les artisans et bouchers d’Île-de-France ont demandé qu’une mention figure sur l’étiquetage pour renseigner le consommateur. Est-ce pour défendre des valeurs comme la simple honnêteté ou parce que la confiance est la base du commerce ? Voyons donc le verre à moitié plein et qu’ils en soient remerciés. Voyons à présent le verre à moitié vide. Il y a les élus, leur petit commerce et leurs petites lâchetés qui grossissent à vue d’œil en période électorale. Je me contenterai de citer la réponse du ministère de l’Agriculture à cette demande un peu tardive et bien légitime des représentants des bouchers : « Le mode d’abattage n’est pas une mention obligatoire et la France s’y oppose afin de ne pas stigmatiser les communautés. »

Si les couillons de Franciliens mangent halal sans avoir le droit de le savoir, c’est parce que la France d’en haut s’oppose à la diffusion de l’information « afin de ne pas stigmatiser les communautés »… On jurerait une déclaration venue d’un commissaire européen non-élu et intouchable, ou pondue par Terra Nova. Quand elle émane du ministère de l’Agriculture d’un gouvernement de droite, on a du mal à s’y retrouver. Moi qui croyais que la terre ne mentait pas… J’attends du pouvoir exactement le contraire. Voyons ce que cela pourrait donner. Rêvons un peu et imaginons un discours politique inspiré par un souci d’honnêteté et de responsabilité : « Le mode d’abattage n’est pas une mention obligatoire mais la France, soucieuse de la vérité qu’elle doit à ses citoyens dans leur totalité, y est attachée. Et que les communautés qui se sentiront stigmatisées aillent se faire foutre, sans étourdissement. »
Vous, je ne sais pas, mais moi, je serais partant pour reconduire une équipe qui tiendrait un tel discours parce que, pour l’instant, j’ai envie de revoter Sarkozy comme d’aller me pendre. À un croc de boucher. Mais pas halal.

Post-scriptum : La rédaction de cet article est antérieure aux déclarations du Premier ministre sur les « traditions ancestrales » des uns et des autres. Le lundi 5 mars, François Fillon a en effet déclaré sur Europe 1 : « Je pense que les religions devraient réfléchir au maintien de traditions qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’état de la science et de la technologie, ou avec les problèmes de santé.» Comme lui, je trouve l’abattage rituel archaïque. On pourrait donc me croire satisfait par ses critiques. Je ne le suis pas. D’abord, sa liberté d’expression publique ne doit pas être aussi étendue que la mienne, je ne représente que moi-même. Ensuite, si la laïcité signifie que les religions n’ont rien à faire dans l’espace public, les pouvoirs publics n’ont rien à dire sur les religions. Enfin, je me fiche que le chef du Gouvernement soit d’accord avec moi, ce que je veux c’est qu’il défende mes droits, et en l’occurrence mon droit de savoir. Bref, plutôt que conseiller en religion, je le préfèrerais résistant aux pressions communautaires et à la tentation du clientélisme.[/access]

Mars 2012 . N°45

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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