A vos stylos… prêts… écrivez !
Le nouveau logo « Paris 2024 » plus inclusif et moins discriminant a été dévoilé hier. S’il satisfait les communicants par sa rigueur progressiste et son épure communautaire, il pêche par un manque d’imaginaire. La Tour Eiffel n’y a pas résisté. Ce visuel stylisé aussi joli que fade ressemble à un smartphone dernier cri ou à une machine à expresso. Il ne heurte personne. Il est dans l’air du temps, c’est-à-dire respectueux des institutions financières et sportives.
L’absence d’épreuves de littérature rendra-t-il les Jeux Olympiques 2024 aussi ternes que leur logo ?
Ces mascottes devenues politiquement incorrectes
Déontologiquement acceptable, il peut recouvrir les murs de la capitale. Reverrons-nous, un jour, des logos et surtout des mascottes délirantes en Occident ? Réfractaire à la modernité qui lisse toutes les aspérités et engloutit les individualités, je regrette le temps où un pays, une jeune démocratie du Sud de l’Europe, osait s’identifier à une orange.
Oui, vous m’avez bien lu, un fruit sur pattes avec des crampons aux pieds. Véganisme avant l’heure et gloire à une production agricole nationale, nous étions en plein sursaut identitaire. L’adorable personnage « Naranjito », idole de la Coupe du monde de football España 1982, se déclinait déjà sur tous les supports commerciaux, de la peluche aux timbres postaux, il avait pour mission de faire entrer les ibères dans le marché commun. Il a enthousiasmé mon été 1982 et m’a consolé de la séparation du duo « Baccara » intervenue un an plus tôt. Les deux chanteuses Mayte y Maria, fières brunes en robes sévillanes posaient cette lancinante question : « Parlez-vous Français?», dans leur tube disco de 1978. Les deux espagnoles produites par des allemands représentèrent, cette année-là, le Luxembourg au Concours Eurovision de la Chanson. On y perdait son latin. Mais tous les chemins menaient à la francophonie. « La langue de l’amour et de l’été », disaient-elles en chœur, dans le refrain, incitant aux rapprochements corporels.
A lire aussi : En littérature, ce n’est pas la taille qui compte !
Erasmus n’a rien inventé. Notre langue délicate et charmeuse avait des vertus apaisantes sur le vieux continent. La posséder était la marque d’un élitisme intellectuel et aussi le désir profond de communier avec notre grande littérature. De Villon à Aragon, nous jouions en ligue des Champions. On peut regretter qu’à l’occasion des prochains Jeux Olympiques de 2024, le Comité d’organisation n’ait pas eu l’audace de faire renaître les Concours d’art désuets donc indispensables.
A Paris, en 1924, les athlètes couraient le 100 mètres, sautaient en longueur ou en hauteur, lançaient le disque ou le marteau, pratiquaient l’aviron ou la boxe et se confrontaient également dans d’étranges joutes comme la sculpture, l’architecture et la littérature. Montherlant, Giraudoux et Claudel avaient enfilé pour l’occasion leur plus belle plume, le short n’étant pas obligatoire. On se met à imaginer sur la ligne de départ, des rangées de stylos prêts à faire jaillir l’encre sur la page blanche. Épaules à touche-touche, Christine Angot angoissée mais déterminée, Yann Moix fébrile après une saison ratée, Michel Houellebecq star de l’épreuve fumant nerveusement une dernière cigarette ou Amélie Nothomb refusant d’ôter son chapeau pour garder son influx mental.
A lire aussi: « Soif » d’Amélie Nothomb: ce que notre époque a retenu du christianisme
La victoire s’écrirait alors en prose ou en vers, peu importe le genre, le style serait roi. Je vous garantis une visibilité médiatique maximale aussi forte qu’un anachronique sprint opposant Carl Lewis, Usain Bolt et Jesse Owens.
Les chroniqueurs, ces sportifs qui s’ignorent
La littérature demeure un sport exigeant qui demande concentration, entraînement, persévérance et un peu de talent naturel. Il faut sans cesse maîtriser ses pensées brouillonnes, parasitaires, pour en extraire un jus compréhensible, un filet à la fois fluide à l’oreille et pénétrant à l’âme. Le dosage est explosif. Trop d’émotion et le texte fera pschitt. Pas assez de chair et la langue se dilatera, les mots perdront toute leur saveur primitive. Ils se débineront. C’est une question qui devrait hanter tous les écrivains, ce souci permanent de l’équilibre, la phrase bien balancée qui fusille les facilités de langage et conserve néanmoins une légèreté enfantine. On court toute une vie après cette mécanique infernale et quand on croit la saisir, elle se fait la malle.
Dans chaque auteur, il y a un performer qui ronge son frein. La chronique serait le mètre-étalon idéal pour les JO de 2024 car elle ne supporte ni les longueurs, ni les atermoiements. Elle doit tutoyer les étoiles en quelques milliers de signes, guère plus de trois ou quatre feuillets. Comme un javelot qui décolle superbement, roide et flamboyant, la chronique aspire à une certaine hauteur de vue et à planer le plus longtemps possible dans la tête des lecteurs. Dans notre histoire récente, deux champions demeurent inégalés, il s’agit de visiter sans cesse leur œuvre non pas pour s’en inspirer mais s’émerveiller de leur technique.
Entre 1952 et 1971, Alexandre Vialatte en écrivit 902 pour le quotidien La Montagne. De 1954 à 1982, Antoine Blondin en exécuta plus de 700 pour L’Équipe. Militons donc tous pour que la chronique devienne une nouvelle discipline olympique. Notre pays le vaut bien.
Tours de France: Chroniques intégrales de «L'Équipe», 1954-1982
Price: 34,50 €
25 used & new available from 15,24 €
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !