Notre contributrice Constance Pélaprat réagit à la polémique
C’est dimanche soir, et je vous avoue que rien ne m’est plus agréable que d’achever mon week-end sur une note littéraire. Mais, au lieu de finir L’éloge de la marâtre de Mario Vargas Llosa, cette ode splendide au corps de la femme mature (drôle d’ironie du sort!), je préfère vous parler de l’énième « affaire Matzneff ».
Car, oui, il y a encore eu une affaire Matzneff. Certes, elle n’intéressera pas grand monde ; quelques Parisiens du sixième arrondissement, tout au plus, en entendront parler. C’est en revanche suffisant pour que le microcosme de la vie littéraire germanopratine se déchire, et que Roland Jaccard, auteur à Causeur, ait écrit un article à ce sujet le 19 octobre.
Violences condamnables sur Gabriel Matzneff
Le célèbre tripot littéraire L’Eurydice, situé dans le quartier latin, invite régulièrement des auteurs à venir se produire sur scène. Le dernier en date était Gabriel Matzneff ; pourquoi pas ? C’est un écrivain au talent reconnu. Seulement, la soirée ne s’est pas déroulée comme prévu, deux groupes de jeunes gens étant intervenus pour le faire sortir manu militari du café. Ces deux clans étaient pour le moins politiquement opposés, car l’un, d’extrême gauche, venait combattre « l’écrivain d’extrême droite proche d’Alain de Benoist », tandis que l’autre, d’extrême droite, venait s’insurger contre le « pédophile ».
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Cette « croisade morale » est plus que maladroite : elle est même répréhensible, à fortiori lorsque plusieurs jeunes s’en prennent lâchement à un homme de 83 ans. Bien que les vidéos de la soirée fassent plus état d’une rixe ridicule entre ces jeunes eux-mêmes, Matzneff ayant rapidement été exfiltré, il n’en reste pas moins que rien ne saurait excuser la violence, même à petite échelle.
Si personne ne peut cautionner les manières grossières de ces jeunes, qui desservent leur cause plus qu’autre chose, je suis en revanche très satisfaite de voir que la pédophilie est de plus en plus farouchement combattue, – ce qui était loin d’être une évidence il y a encore quelques années. Telle était la colère que ces jeunes ont voulu faire entendre, malgré l’emploi de moyens illicites : la pédophile reste une réalité aussi abominable qu’inexcusable, et elle ne saurait être tolérée sous couvert de littérature.
Matzneff, pédophile revendiqué de longue date
Car Matzneff s’est toujours librement revendiqué comme pédophile, – pardon, je devrais dire « philopède », une tournure élégante que l’auteur affectionne pour faire oublier l’ignominie qui se cache derrière cet état de fait. Il existe bien, et fort heureusement, un principe cardinal qui veut que l’on fasse la différence entre l’homme et l’artiste ; sinon, on serait voué à en jeter plus d’un aux oubliettes, ce qui serait absurde. Je n’appelle donc certainement pas au « boycott » de Matzneff, pas plus qu’au boycott de David Hamilton, de Roman Polanski, de Céline et autres grands maîtres dans leurs différentes disciplines. Il ne faut surtout pas céder à l’aberrante tentation néo-féministe de condamner les productions artistiques en raison des crimes (prouvés ou non) de leurs auteurs.
Défendre l’homme qui couchait avec des garçons de douze ans, vraiment ?
Ce que je ne tolère pas, en revanche, et ce qui est indigne, c’est la manière dont certains défendent Gabriel Matzneff. Rolland Jaccard écrit « qu’il ne ferait pas de mal à une mouche ». Pourtant, il est presque inutile de rappeler que Matzneff n’a jamais cessé de faire l’éloge de ses voyages à Manille, durant lesquels il couchait avec des petits garçons de douze ans (Mes amours décomposés). Il ne faut pas s’y méprendre : ce tourisme sexuel n’était autre que de la pure pédophilie, car comment qualifier autrement des rapports avec de si jeunes enfants, de surcroît souvent exploités par des réseaux sans foi ni loi ? Le problème n’aurait pas été le même s’il s’était agi d’une simple attirance « pour les filles de seize ans » : cela ne tombe pas sous le coup de la loi, et l’on ne peut faire grief aux hommes d’avoir des préférences sexuelles, tant que le consentement reste le maître-mot. Trop d’hommes sont hélas voués aux gémonies pour avoir osé exprimer leurs goûts en la matière (je pense à Yann Moix ainsi qu’à bien d’autres). Or, chez Matzneff, on se situe dans une sphère radicalement différente, puisqu’il revendique fièrement des rapports pédophiles qui, par définition, ne sont jamais librement consentis par les mineurs de moins de quinze ans.
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Je veux bien que cet homme soit « d’une autre époque », dans laquelle, il est vrai, la pédophilie était beaucoup moins réprimandée. Est-ce pour autant une raison ? Aujourd’hui, pour de tels faits, Matzneff pourrait être lourdement condamné par la justice.
Jamais au nom de la littérature !
Sur Facebook, je reçois des dizaines de messages d’insultes pour avoir publiquement critiqué les propos abjects de l’écrivain. Les uns m’avancent que tous ses discours sont prononcés « au nom de la littérature » ; or, Matzneff ne se situe pas dans la fiction, mais bel et bien dans le champ autobiographique, faisant allègrement, en son propre nom, du prosélytisme pédophile. Les autres me disent encore que « même de grands écrivains l’ont fait », minable argutie de ceux qui ne cherchent même pas à dissimuler leur basse et honteuse complaisance.
Mais il est heureux de voir que le bon sens l’emporte, les rares apparitions sociales de Matzneff faisant état de la condamnation générale dont il est l’objet.
Rappelons une dernière fois que, loin de censurer l’écrivain, c’est l’homme et lui seul que nous rejetons, au nom de tous les enfants abusés. Parce qu’à douze ans, on ne peut jamais être consentant, et ce n’est pas « avoir de la bouillie dans la tête » que de le dire, Monsieur Matzneff.
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