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Cérésa, Lacoche, Jaccard: halte au jeunisme littéraire!

Les sexagénaires (ou plus) n’ont pas écrit leur dernier mot


Cérésa, Lacoche, Jaccard: halte au jeunisme littéraire!
François Ceresa © ANDERSEN ULF/SIPA

Philippe Lacoche, François Cérésa, Roland Jaccard ont largement dépassé la soixantaine. Comme le vin, les grands écrivains se bonifient avec le temps…


Cherche désespérément « vieux » mâle blanc dans la rentrée littéraire de septembre ! Curieux paradoxe, à l’heure où l’âge de la retraite est sans cesse repoussé, l’écrivain de sexe masculin né au plus tard sous la présidence de René Coty est prié de sortir des librairies. Manu militari. Une retraite anticipée (sans le nombre de trimestres suffisants) lui tend les bras. C’est-à-dire la précarité et l’anonymat. Il a beau crier dans le désert, dire qu’il en a encore sous le pied, que l’écriture est une maturation lente, plus personne ne l’écoute. Sa déchéance n’a pas vraiment l’air d’émouvoir nos pouvoirs publics, pourtant si prompts à protéger les plus faibles d’entre nous. Un jour peut-être, ce plumitif déplumé touchera le minimum vieillesse. La mort est chose plus certaine. Pas assez appétissant, trop marqué par le monde d’avant, repoussoir commercial, clivant et désobéissant, ce vieil écrivain, ronchon et grognard, ne se laisse pas si facilement intimider ou dompter.

L’édition, cette machine à broyer les ambitions intimes

Donnez-lui des Prix et des breloques, il n’en sera pas moins agacé par la glu émotionnelle de notre société sournoise, cet autoritarisme déguisé en bons sentiments. Le progressisme le débecte. L’égalitarisme l’amuse. L’humanisme l’accable. Il est infréquentable et fier de lui. Les mièvreries glissent sur sa peau ridée. Il ne croit qu’au style et aux fulgurances ; aux écorchures et à la fiction. Le roman comme seule boussole d’une expression libre et farouche. Avec de telles prédispositions, on ne l’invite plus depuis longtemps sur les plateaux de télé. Il déprime la jeunesse du pays et les annonceurs. La parité lui tourne aussi le dos. Il suffit de voir l’avant-dernier numéro du Figaro littéraire avec les forces vives de la nation littéraire, un seul homme égaré au milieu d’une armada de jeunes femmes. Le premier roman sera féminin ou pas cette saison. L’édition, cette machine à broyer les ambitions intimes, renvoie au rayon jardinage/bricolage nombre d’auteurs confirmés.

Bientôt des Ehpad littéraires

On traite finalement aussi mal nos anciens dans des mouroirs aseptisés que les écrivains de plus de 60 ans. La date de péremption est si vite arrivée. En cherchant bien dans les centaines de livres de l’automne, nos chères têtes blanches continuent à résister. Ils ont un trait commun qui manque cruellement aux nouvelles générations. Ils sont de mauvaise foi ! Ils n’ont pas vocation à instrumentaliser ou à soigner l’âme. Ils se contrefoutent de la bienséance et de cette bonté suspecte. Ils ne veulent pas participer au cirque médiatique, celui du déballage et du repentir. Leurs œuvres disparates sont néanmoins animées par une sorte de désespoir taquin. Une politesse qui échappe à la béatitude actuelle. Ils sont corrosifs par vocation et non par enjeu tactique.

Lacoche boit la nostalgie

Notre camarade des profondeurs picardes, marquis en bleu de travail, dernier représentant du journalisme localier, seigneur de l’infiniment petit, j’ai nommé Philippe Lacoche revient avec Mise au vert aux éditions du Rocher. Son héros toujours aussi fatigué, fossoyeur de l’ultra-libéralisme et noceur des rades de campagne, Pierre Chaunier se débat toujours avec ses convictions. Ce journaliste des terres abandonnées est un double tenace de l’auteur qui émeut et qui charme par son côté pinardier. Chez Lacoche, la nostalgie ne se crie pas, elle se boit à la rigueur. L’écrivain tient le cap d’une littérature sans les affres de la gôche bien-pensante. On l’aime pour ses références aux moralistes et cette atmosphère typographique. Entre chopines et caractères de plomb, Lacoche creuse un sillon prérévolutionnaire. On pense à Fallet dans sa veine acide et tendre.

Cérésa embellit les Trente glorieuses

Dans un autre genre, le dandy cabossé et playboy sans filtre, François Cérésa distille sa mélancolie dans La montre d’Errol Flynn aux éditions Écriture. On quitte les Hauts-de-France pour la Riviera. Depuis cet instant irréel de 1957 où Robin des Bois a donné sa montre à la mère de son héros. Avec Cérésa, portraitiste magistral, ambianceur des fortifs, c’est l’âge d’or d’Hollywood qui renaît. L’ami de Boudard et Nucéra s’inscrit dans une lignée d’écrivains du souvenir. Cet embellisseur des Trente glorieuses a le sens de la formule poulbote et puis, par foucade, il saisit son lecteur d’une émotion cristalline. Rares sont les écrivains à serrer les cœurs en faisant les marioles.

Jaccard, maître en impertinences et causes perdues

Dernier cowboy de ce trio d’hommes mûrs, maître Roland Jaccard, maître en impertinences et causes perdues. Dans « John Wayne n’est pas mort » aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, il canarde à tout-va. Il défend plus vite que son ombre la figure de cette légende américaine tant honnie. Un essai aussi précis qu’une Winchester, une langue au lasso qui vous entortille dans sa maïeutique d’une redoutable d’efficacité. Jaccard manie les mots dans ce western très spirituel comme aucun penseur de notre temps. Son érudition et sa cinéphilie donnent des complexes aux plus instruits. Mais ce qui fera toujours mouche chez lui, c’est son outrageante liberté. Le signe des esprits querelleurs et courageux.

Mise au vert, Philippe Lacoche – Éditions du Rocher.

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La montre d’Errol Flynn, François Cérésa – Écriture.

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John Wayne n’est pas mort, Roland Jaccard – Pierre-Guillaume de Roux.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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