Malgré les dénégations des « niveau-montistes », nos esprits se crétinisent à bas bruit. Dépérissement de la langue, perte de la syntaxe, abandon de la culture générale : notre espèce redescend la pente du progrès intellectuel. Darwin, au secours !
Joe Bauers, un Américain très moyen, dépourvu de toute ambition et aspérité, est sélectionné pour une expérience qui, par une suite de ratages, le propulse (avec une jolie brune) en 2505 dans un monde de crétins parlant, précise la voix off, « un patchwork composé du patois des péquenots et des bimbos décérébrées agrémenté d’argot des villes et autres grognements ». Faire des phrases ou lire sont des activités de « tafioles ». Tout est déglingué, y compris heureusement les moyens répressifs, et les villes sont livrées à des montagnes d’ordures, plus personne ne sachant recycler les déchets. La famine menace, car l’eau est désormais réservée aux toilettes tandis qu’on arrose les cultures à la boisson énergétique (vendue par la multinationale qui a pris le pouvoir, au cas où vous auriez oublié que c’est le capitalisme qui rend bête). Les humains, dont les performances reproductrices semblent inversement proportionnelles à celles de leur cerveau, sont à la fois des brutes et des grands enfants, qui s’abrutissent devant des écrans dispensant humour débile, sexe à deux balles et violence à jet continu. Dans l’émission vedette, intitulée « Oh ! Mes burnes », qui ressemble à un best of des scènes les plus idiotes de chez Hanouna, genre nouilles dans le slip, on voit le principal protagoniste se faire vigoureusement empoigner les parties, déclenchant des hurlements de joie dans le public. Le président Camacho, sorte de croisement entre un gangsta-rap et une pom-pom girl, hilare et couvert de breloques, a conquis son siège en remportant cinq fois de suite le tournoi « Grosse patate dans ta gueule ». Dans ce futur lointain et si proche, on vote en levant ou en baissant le pouce.
Idiocracy: une fiction, pour le moment
Renommé « Pas Sûr » – peut-être histoire de suggérer que la disparition de l’intelligence est concomitante de celle du doute –, Joe Bauers est soumis à un test de QI. Il se révèle être le premier homme depuis des lustres à donner une réponse correcte à la question « Vous avez un seau de huit litres et un seau de vingt litres, combien de seaux avez-vous ? » Ce type lambda et même un peu moins suivant nos critères est, cinq siècles plus tard, le plus intelligent du monde. En apprenant à ses nouveaux contemporains l’usage de l’eau, Pas Sûr sauve le monde – très provisoirement, car l’évolution reprend sa course vers l’abîme en conférant de nouveau les meilleures capacités reproductrices aux plus cons.
Bien sûr, c’est de la science-fiction. L’ennui, c’est que cette pochade burlesque nous rappelle quelque chose : nous. Idiocracy, film de Mike Judge sorti en 2007 (puis en DVD sous le titre Planet Stupid), est à vrai dire criant de vérité. Allumez votre télé, regardez autour de vous – et dans votre miroir –, écoutez les conversations de bistrot ou de métro, demandez-vous quels instincts nous poussent à agir, vouloir – ou envier. Vous conviendrez que nous possédons déjà beaucoup des traits de l’humanité abêtie du film – ce « nous » concernant au moins, à des degrés divers, l’ensemble du vieux monde développé. Peut-être sommes-nous en effet les premières générations dans l’histoire de l’espèce humaine à connaître une régression intellectuelle. Pardon pour la mauvaise nouvelle, mais vous avez déjà de sérieuses chances d’être plus malin que votre progéniture gavée au numérique.
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Comment ça, le niveau baisse ? Les vieux cons dans votre genre disaient déjà ça sous Clovis ! Sans doute. Et à toutes les époques suivantes. Sauf que cet argument est parfaitement irrecevable. Qu’on ait déjà dit « tout fout le camp », et qu’on se soit souvent trompé, ne permet nullement d’affirmer que cela ne sera jamais vrai. Avec un tel syllogisme, l’idée même qu’un changement puisse avoir lieu autrement que dans le bon sens est impensable, et l’hypothèse selon laquelle l’évolution pourrait, après des siècles de conquête de l’esprit, faire repartir une humanité privée d’adversité en sens inverse, direction l’âge des cavernes, proprement scandaleuse. Comme l’écrit Renaud Camus[tooltips content= »Décivilisation, Fayard, 2011. Voir aussi La Grande Déculturation, Fayard,2009. »]1[/tooltips], « un des traits caractéristiques de l’époque est qu’elle
