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« Le Kazakhstan est un discret géant de la diplomatie mondiale »

Un rôle méconnu


« Le Kazakhstan est un discret géant de la diplomatie mondiale »
Lors d'un déplacement à Nour-Soultan au Kazakhstan, Bruno Le Maire (à gauche) a rencontré le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev (à droite). Photo issue du compte Twitter de Bruno Le Maire (30/07/2019)

Trop souvent ignoré par les puissances occidentales, le Kazakhstan s’installe néanmoins et de plus en plus comme un acteur important de la diplomatie mondiale, en jouant notamment la carte du multilatéralisme. Route de la Soie, conflit syrien, lutte contre le terrorisme : les diplomates kazakhstanais, au premier rang desquels le nouveau président Tokaïev, se manifestent par leur activisme sur la scène internationale.


Le président François Mitterrand, qui fut le premier chef d’État européen à visiter le Kazakhstan indépendant en septembre 1993 (après avoir reçu à Paris un an auparavant en visite d’État Noursoultan Nazarbaïev récemment élu) avait de façon prémonitoire envisagé l’émergence géopolitique de ce géant d’Asie centrale :

« La France voit dans le Kazakhstan un pays carrefour aux confins de la Russie, du monde chinois et l’Oumma musulmane et donc un partenaire de première importance (…) Nous sommes également témoins du talent avec lequel la diplomatie kazakhe s’est déployée ces derniers mois dans les enceintes internationales où elle a rapidement trouvé la place qui lui revenait ».

À l’époque, le président Mitterrand avait tenu à relever la tentative de médiation que le Kazakhstan avait entreprise dans le difficile et toujours actuel conflit du Haut-Karabakh.

Un rôle de médiateur et d’intercesseur que le Kazakhstan a assumé dès son indépendance donc, et qui continue aujourd’hui. La récente crise politique qui secoue actuellement Kirghizstan après l’arrestation de l’ancien président menace la stabilité du pays. Or, là encore, le Kazakhstan joue un rôle décisif en orchestrant la réponse diplomatique des pays voisins, qui craignent un embrasement social et politique dans cette nation instable d’Asie centrale.

Le Kazakhstan est bel est bien un discret géant de la diplomatie mondiale. Un statut d’ailleurs confirmé par le ministre français de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire : en visite officielle le 30 juillet dernier à Nur-Sultan (le nouveau nom de la capitale kazakhstanaise Astana), le ministre a qualifié le Kazakhstan de « partenaire stratégique pour la France » prouvant ainsi un peu plus que cet immense pays (2 717 300 km2 soit cinq fois la France) est devenu en l’espace de quelques années un poids lourd de la géopolitique mondiale. M. Le Maire, dont c’était le premier déplacement en Asie centrale depuis sa prise de fonction, a d’ailleurs signé plusieurs accords entre les deux nations dont les relations, déjà étroites depuis une dizaine d’années, ne cessent de se renforcer.

La France, partenaire principal du pays au sein de l’Union européenne (UE), a ainsi investi pas moins de 15 milliards de dollars au Kazakhstan entre 2005 et 2018, dont 4,5 milliards d’euros (un montant en hausse de 32,5 %) au cours de la seule année 2018.

Le ministre français s’est également entretenu avec le nouveau président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, fraîchement élu le 9 juin dernier avec plus de 70 % des suffrages exprimés. Après 30 années au pouvoir, l’ancien chef de l’État, Noursoultan Nazarbaïev, cède ainsi la place à un diplomate de renom. À la fin de ses études, M. Tokaïev devient en effet deuxième secrétaire du ministère des Affaires étrangères soviétique, avant d’être affecté à l’ambassade de l’URSS en Chine. En 1994, il accède au poste de ministre des Affaires étrangères d’un Kazakhstan nouvellement indépendant, poste qu’il retrouvera en 2002 après avoir été Premier ministre. En 2011 enfin, il est nommé Secrétaire général adjoint des Nations unies, et Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève.

Un pays actif sur la scène internationale

Le nouvel homme fort de Nur-Sultan est donc un familier des arcanes diplomatiques. Un choix logique, le Kazakhstan se distinguant depuis son indépendance par son activisme sur la scène internationale. Jouant la carte du multilatéralisme, le pays a notamment présidé l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) – une première pour un ancien membre de l’Union soviétique, aboutissant à la signature, fin 2010, de l’importante « déclaration d’Astana ». Le Kazakhstan joue également un rôle majeur au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), et reste, à ce jour, le seul des États centrasiatiques à bénéficier d’un accord de partenariat renforcé avec l’UE.

Une image, pour décalée qu’elle soit, résume à elle seule l’importance prise par le Kazakhstan sur la scène diplomatique : celle de l’ancien président français, François Hollande, coiffé lors de sa visite de décembre 2014 à Astana d’une chapka, offerte par son homologue kazakhstanais. Si l’évènement n’a pas manqué de susciter la risée sur la toile, il a éclipsé le fait que Noursoultan Nazarbaïev s’était alors imposé comme conseiller du président français dans la crise ukrainienne, parvenant à modifier son agenda en lui proposant d’effectuer un détour par Moscou afin de briser la glace avec Vladimir Poutine, et rapprochant ainsi deux membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Un beau succès diplomatique pour un « petit » pays, qui a par ailleurs réussi à rallier quelque 80 États à sa récente initiative onusienne visant à lutter contre le terrorisme.

Le Kazakhstan, hub de la future « route de la Soie » chinoise

Le Kazakhstan est également appelé à devenir une pièce maîtresse de la future « route de la Soie » chinoise, qui sera probablement l’axe commercial et politique majeur du XXIe siècle. Un vaste programme reliant « l’usine du monde » au Proche-Orient, à l’Afrique et à l’Europe, annoncé en grande pompe par Xi Jinping en 2013 à… Astana. Le Kazakhstan représente, en effet, un point de passage obligé pour les futures voies terrestres ralliant le Caucase et la Turquie, et ce alors que le trafic terrestre de conteneurs entre la Chine et l’Europe, trois fois plus rapide que son équivalent marin, double chaque année. Pas question pour autant pour Nur-Sultan de devenir un vassal de Pékin : la récente arrestation par les services de renseignement kazakhstanais d’un espion à la solde de la Chine a rappelé que le pays comptait bien devenir un acteur stratégique de l’économie mondiale tout en préservant farouchement son indépendance.

Si la diplomatie kazakhstanaise doit puiser des trésors d’équilibre pour ménager ses partenaires — et voisins — russes et chinois, elle sait aussi s’imposer comme interlocuteur incontournable lors de la résolution de crises et conflits parmi les plus meurtriers. Éclipsant le processus de Genève, les accords d’Astana demeurent à l’heure actuelle la seule porte de sortie de la guerre civile en Syrie, et l’unique espace où les différentes parties du conflit entretiennent encore le dialogue. Un nouveau round de négociations s’est ainsi tenu à Nur-Sultan les 1er et 2 août derniers, réunissant autour de la table délégations russe, iranienne et turque, ainsi que les représentants du régime de Bachar Al Assad, de l’opposition syrienne et des Nations Unies.

Pays souvent méconnu en Occident, le Kazakhstan arrive donc à s’imposer comme un pivot de la diplomatie mondiale, intermédiaire et partenaire entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient. D’ailleurs les visites de chef d’États français se multiplient et s’intensifient : après De Gaulle en 1966 (premier dirigeant occidental autorisé à visiter le cosmodrome de Baïkonour) et François Mitterrand en 1993, ce sont Nicolas Sarkozy en 2009 et François Hollande en 2014 qui se sont déplacés à Astana pour nouer des relations avec cette puissance eurasiatique. Emmanuel Macron, invité par son homologue kazakhstanais, devrait quant à lui faire le déplacement dans les prochains mois.

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