« Je suis Amazonie » est le nouveau slogan des progressistes et des conservateurs unis contre Jair Bolsonaro, Président décrié d’un pays à qui l’on refuse désormais de décider du destin de sa forêt.
L’Amazonie est en flammes. Notre poumon suffoque d’une orgie de fumées. Les Brésiliens s’alarment, rejoints par la « communauté internationale ». Face au cruel Bolsonaro, les « citoyens du monde » s’organisent. Les plus audacieux vont rouspéter contre l’ambassade du Brésil de leur capitale. Les autres signent des pétitions sur internet, et cliquent sur le mot dièse #PrayforAmazonia. Ils peuvent ainsi rester chez eux, s’en remettant au bon Dieu. A l’époque des réseaux sociaux, le militantisme de salon est souverain.
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Conservateurs et progressistes unis
S’il y a un sujet sur lequel le « c’était mieux avant » fait consensus, c’est bien cette forêt mythique, qui fascina Claude Lévi Strauss bien sûr, mais intéressa aussi Hergé, qui y envoya notre bon Tintin à l’aventure dans L’oreille cassée. Mettant entre parenthèses leurs querelles de l’été, nos élites conservatrices et progressistes s’unissent contre l’incendiaire du moment, le président Jair Bolsonaro. En annonçant que la France s’opposerait à la signature de l’accord avec le Mercosur, Emmanuel Macron est allé taquiner le prince des balbutiements dans son espace favori : les jeux de gros bras et de virilité. «Les feux de forêt qui ravagent la forêt amazonienne ne sont pas seulement bouleversants, il s’agit également d’une crise internationale », a tweeté pour sa part Boris Johnson, premier ministre britannique et ténor d’un Brexit à la dure. En cas de crise majeure, nos cousins anglais restent nos meilleurs alliés.
Je suis Amazonie
Qu’en est-il de notre peuple ? Selon une enquête pour le Huffington Post du mois dernier, 66 % des Français estiment que le gouvernement n’en fait pas assez pour la planète. La batelée de fumée grise allant narguer Sao Paulo a dû soulever le cœur à certains d’entre nous, en indifférer d’autres. Mais à moins d’être atteint de cynisme ou d’une résignation au stade terminal, très peu ont dû trépigner de joie à la vue des brasiers devant leur smartphone ou leur télé. Si Jair Bolosonaro se plaît à répondre à ses détracteurs que «l’Amazonie appartient au Brésil », chacun sait à peu près la situer. Quand la forêt tropicale succombe aux flammes, c’est chacun de nous qui perd un peu de son âme.
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D’après une enquête Ipsos de l’année dernière, seulement 12 % des Français pensent que la génération suivante aura une vie « meilleure que la leur ». Des côtes méditerranéennes ou atlantiques, ceux d’entre nous qui sont en vacances suivent ces événements avec distance, ou avec une certaine indifférence. Ils rayonnent sous le soleil, ils s’abandonnent aux selfies, ils dépensent leur argent au restaurant, ils gambadent sur les bords de mer avec leurs enfants. Pour ceux qui n’ont pas cette chance, les étendues d’arbres calcinés ressassées en boucle par BFMTV risquent de ne rien arranger. Avec la fin de l’Amazonie, c’est bien la fin du monde qui se profile dans notre imaginaire collectif. Cette fin d’été au goût carbonisé sonne-t-elle vraiment la sénescence de l’humanité ?
L’apocalypse attendra
Chercheuse au CNRS, la géographe Martine Droulers a rappelé qu’il y a vingt ans, les feux amazoniens étaient beaucoup plus communs que maintenant. Dans leur ruée vers l’agriculture intensive, les agriculteurs faisaient griller en moyenne vingt mille kilomètres carrés de forêt chaque année. Si le premier mandat du président Lula a été marqué par une politique encline à la conservation de notre univers naturel, le second l’a été beaucoup moins. Quant à sa protégée Dilma Roussef, c’est elle qui a relancé la construction d’usines hydroélectriques dans la forêt lorsqu’elle était ministre des Mines et de l’énergie. De plus, la moitié de la forêt est sous statut de protection nationale, fait remarquer la chercheuse, qui s’en remet aux amendes très salées et à la conscience écolo des Brésiliens pour la conserver : depuis le sommet de Rio, les Brésiliens, et notamment les dernières générations, seraient très sensibilisés à la question de l’Amazonie, ce qui n’était assurément pas le cas un demi siècle auparavant.
De quoi rassurer certains d’entre nous. Si ça ne fait pas du président brésilien un saint homme, ça permet de battre en brèche les discours apocalyptiques qui submergent la toile. Souriez Français, ne vous laissez pas asphyxier par la psychose généralisée, continuez à profiter de votre été. Malgré leur intensité, ces incendies ne sont pas les premiers, et ils ne seront -malheureusement- pas les derniers. Ça n’empêchera guère la forêt moite et dense de rester une source intarissable de nanars du septième art, ainsi que de l’excellent L’étreinte du serpent, du réalisateur colombien Ciro Guerra. En attendant l’apocalypse, l’Amazonie n’a pas fini de nous inspirer.
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