Les supporters de l’Algérie (et leurs débordements) ne sont pas les seuls à avoir gâché la fête nationale. Hier, nos zones commerciales déprimantes – et ouvertes le dimanche – illustraient ce que nous sommes devenus : des citoyens poussant leur caddie, un jour de 14 Juillet !
Des bagnoles partout, à perte de vue. Leurs toits chauffés à blanc par le soleil. Au milieu de cette marée de tôles aveuglantes, quelques éléphants bleus d’une station de lavage flottent au vent. Autour, c’est la zone commerciale proprement dite avec ses enseignes gigantesques qui ont définitivement supplanté, dans la mémoire de nos enfants, les noms de nos maréchaux : Auchan, Leroy Merlin, But, Kéria, Boulanger, Poulain, Picard, Gémo, Chausséa, NaturéO, Maxi Zoo, Aubert…
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Allons enfants de la patrie et du caddie, le jour de gloire est arrivé
En travers des vitrines, sur des panneaux ou à même les murs des entrepôts, l’annonce des soldes et des remises : « – 30% », « – 50% », « Ouverture exceptionnelle, dimanche 14/07/2019 », « Derniers prix », « Soldes d’été », « Fermeture des accès à 19h45 ». Les portes automatiques s’ouvrent et se ferment sur une noria de caddies poussés par une population en jean, en djellaba, en short, en baskets, en savates, casquettes à l’envers, voiles à l’endroit, marcels découvrant des épaules et des bras tatoués comme les pages illustrées des anciens Larousse.
C’est jour de fête nationale. Aucun drapeau. Ni dehors, ni dedans. Aucune affiche tricolore. Aucune guirlande bleu, blanc, rouge. C’est la fête nationale. On est en France. On est partout. On n’est nulle part. On est consommateur. Uniquement consommateur.
Plutôt éco-citoyen que citoyen français
Citoyen ? Seul est prié de l’être, le geste de jeter sa canette ou son papier dans la poubelle. Ainsi en a décidé depuis longtemps le législateur qui autorisa l’ouverture des commerces le dimanche et les jours fériés. Il n’a pensé qu’à cela. Imaginer de pavoiser les zones commerciales un 14 juillet ? Non, pourquoi ? Cela ne figure dans aucun programme. Apparemment dans aucun texte. Quand le communautarisme avance, une nouvelle laïcité, prudente et consensuelle, impose au drapeau de reculer, à la nation de se faire discrète.
Lors des fêtes de fin d’années, ce sont des pyramides de Pères Noël rouges à barbe blanche qui attendent le consommateur à l’entrée des grandes surfaces. A Pâques, ce sont des basses-cours entières de poules et de lapins coiffés d’un gros nœud doré qui l’accueillent. Lors du Ramadan, même débauche de produits, orientaux cette fois. Souvent une petite librairie orientée, pour petits et grands, les accompagne où il est possible de tout savoir sur la religion musulmane jusqu’aux flatulences susceptibles d’invalider la prière. Un peu plus tard, dès les premières grosses chaleurs, ce sont des empilements de cartons de rosé chargé d’égayer les soirées barbecue entre copains. « Le rosé, c’est en Provence qu’il est né ». L’abus de publicité nuit gravement à la santé du pays. Deux boules de pétanque ont achevé leur course près du cochonnet et d’un verre de rosé. « L’incontournable vin rosé ! »
Pendant ce temps, les supporters algériens…
Pour le 14 juillet, rien. C’est jour de fête nationale. On remplit son caddie. C’est un dimanche tranquille. Un dimanche comme les autres. Sur le bitume brûlant du parking, une petite brise feuillette un journal au pied d’un panneau de chantier : des milliers de supporters algériens descendus un peu partout dans les rues de France avaient sorti le drapeau algérien, s’en étaient drapés. Il y eut des débordements sur les Champs-Elysées, des vitrines cassées, des magasins pillés, des interpellations, des blessés parmi les forces de l’ordre. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a jugé « inacceptables » les « dégradations et incidents » commis jeudi soir. A-t-on fait usage du LBD ? Quelle question ! Les drapeaux étaient algériens.
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C’est jour de fête nationale. Après le défilé militaire, les drones et le spectacle de l’homme volant, le Président de la République a adressé un message aux familles de soldats tombés sur le terrain et à ceux qui sont déployés sur les théâtres d’opération. Il a rappelé que « depuis 1880 ce défilé rassemble les autorités de l’État et les Français autour de leur armée, de ses emblèmes, drapeaux et étendards aux trois couleurs de la République et portant en lettres d’or les valeurs de nos soldats : Honneur et Patrie ». Il a dit aussi que « notre sécurité et notre défense passent par l’Europe ». Laquelle ? Celle des nations et des citoyens ou celle des enseignes et des consommateurs ? Qui imagine des mitrailleuses montées sur des caddies comme, en Libye, sur des 4 x 4 ?
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