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Gloire au Jeu des mille euros !


Si les épitaphes étaient encore à la mode, j’informerais volontiers les visiteurs de ma sépulture que, sous cette pierre tombale, gît un lauréat du « Jeu des mille euros ». De cela, je suis beaucoup plus fier que des peaux d’ânes que l’Université eut la bonté de m’accorder ou de la distinction dont la République me fit l’honneur pour ma contribution à la qualité et au renom de la presse française. Oui, un soir du début du XXIe siècle, à Annecy, préfecture de la Haute-Savoie, avec un partenaire attribué par le hasard des sélections préalables, je dus à Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1722-1794) la satisfaction de me voir attribuer les 500 euros du banco sous les acclamations de la foule. Louis Bozon était alors aux manettes et posa la question rituelle sur notre désir de remettre ce gain en jeu pour atteindre le nirvana du super-banco. Mon coéquipier étant du genre prudent (ou Auvergnat), nous nous en tînmes là, à la grande déception du public – « Super ! Super ! ». La question banco, envoyée par un auditeur ou une auditrice d’une lointaine province, était : « Comment s’appelait l’avocat de Louis XVI ? »[1. Malesherbes, qui avait été ministre de Louis XVI en même temps que son ami Turgot, écrivit au président de la Convention après que les deux premiers avocats pressentis s’étaient défilés : « J’ai été appelé deux fois au conseil de celui qui fut mon maître, dans un temps où cette fonction était ambitionnée de tout le monde : je lui dois le même service lorsque c’est une fonction que bien des gens trouvent dangereuse. »]. Par la suite, je ne manquai pas un passage du Jeu des mille euros dans les communes voisines de mon lieu de résidence. Et je constatai, à chaque fois, le succès populaire de ce jeu qui remplit les salles des fêtes des villes et des campagnes.

Bien entendu, le rendez-vous quotidien de 12h45 sur France-Inter ne saurait être manqué, car il permet de faire le compte virtuel de tout ce que vous auriez gagné si vous aviez été à la place des candidats du jour. La culture générale est-elle élitiste et discriminante ? Le savoir qui permet de faire bonne figure au « Jeu des mille euros » semble partagé par une partie non négligeable de la population, si l’on en juge par les brefs CV présentés à l’antenne par les candidats retenus.[access capability= »lire_inedits »] On y trouve, certes, un fort contingent d’enseignants à la retraite, mais il donne leur chance, également, à des hommes et des femmes ayant acquis, au fil du temps et de leur curiosité intellectuelle, un bagage de connaissances éclectiques.

J’entends déjà l’objection : « Combien de gens « issus de la diversité » » parviennent-ils à tirer leur épingle de ce jeu ? ». Réponse : « Pas beaucoup, en effet…et alors ? » Faudrait-il le supprimer, comme l’épreuve écrite de culture générale à Sciences Po, pour ne pas faire de peine à Mohamed, Aïcha ou Fatoumata ? Je demande alors qu’on supprime la première division du championnat de France de football, à laquelle je n’ai jamais pu accéder, malgré de méritoires efforts, jadis, au sein de l’équipe Minimes 3 de l’Olympique lyonnais (il n’y avait pas plus bas).

Créé par Henri Kubnik, le « Jeu des mille euros » est né en même temps que la Ve République, très précisément le 19 avril 1958. Il s’appelait alors « Cent mille francs par jour ». Il s’agissait d’anciens francs, unité de compte encore utilisée de nos jours par les maquignons et les bouilleurs de cru. Les tables d’équivalence en termes de pouvoir d’achat établies par l’Insee nous apprennent que 100 000 francs de 1958 représentent 1622 euros d’aujourd’hui. La dévaluation continue des gains espérés par les concurrents n’a pas empêché ce jeu de connaître un succès populaire qui ne s’est pas démenti pendant plus d’un demi-siècle, un record absolu en matière de divertissement audiovisuel. Pour la radio publique, l’objectif était alors d’installer sur l’antenne un jeu capable de concurrencer « Quitte ou double », le quizz quotidien de Radio-Luxembourg, animé par l’inoubliable Zappy Max, qui porte allègrement aujourd’hui ses 90 ans. Le principe de « Quitte ou double » était de jouer sur l’appât du gain pour inciter le candidat, un cador dans une discipline littéraire ou scientifique, à affronter des questions de plus en plus pointues, tenant en haleine un auditoire qui pourtant ne pouvait s’identifier au candidat que lors des premières questions − les « fastoches ». « Quitte ou double » rendit l’âme, sur RMC, en 1981. Peut-être était-ce un jeu de droite…

Au contraire, le « Jeu des mille euros » ne favorise pas les « crétins savants », mais tous les gens comme vous et moi qui disposent d’une honnête culture générale, couvrant une large gamme de sujets, pas forcément ceux qui révèlent que vous fûtes à l’école ou au lycée ce qu’on appelait autrefois un « polar ». Il distingue ceux qui ont l’œil et l’oreille aux aguets, un peu de mémoire hors de celle de leur ordinateur, et une émotivité suffisamment contrôlée pour conserver leurs moyens face au public qui retient son souffle pendant que l’horloge égrène les secondes, hurle sa joie quand la réponse est bonne, souffle quand elle se fait trop attendre et manifeste bruyamment sa déception quand elle est fausse. Et il faut aussi accepter la perspective de se planter devant 3,5 millions d’auditeurs.

On lui sait gré, enfin, de conserver aux candidats leur identité complète, alors que la plupart des jeux de la télévision infantilisent leurs participants en les réduisant à leur seul prénom.
Alors, grâces soient rendues à Maurice Gardett, Roger Lanzac, Lucien Jeunesse, Louis Bozon et aujourd’hui à Nicolas Stoufflet : ils ont sillonné les provinces de nos petits savoirs pour les faire partager au plus grand nombre.[/access]

Février 2012 . N°44

Article extrait du Magazine Causeur



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