Deux livres et une exposition arlésienne reviennent sur la vie et l’œuvre hors norme de Fernand Pouillon (1912-1986), architecte-star radié de l’ordre puis réhabilité. L’homme, qui vivait son métier comme un sacerdoce, mérite sa place dans le panthéon des architectes aux côtés des Perret, Baltard et Le Corbusier.
« Celui qui dissimule un poteau commet une faute, celui qui fait un faux poteau commet un crime. » L’aphorisme est d’Auguste Perret et définit, mieux qu’une encyclopédie en trois volumes, ce qui fait la particularité de l’architecture. Tous les autres arts requièrent une part de dissimulation habile. Qui voudrait sentir le plan détaillé de l’auteur à la lecture d’un roman ? Quoi de pire que ces films qui respectent leur scénario à la ligne près ? Pour le bâtisseur, la donne est différente : la structure, le squelette, c’est l’œuvre, ce qu’il faut admirer. Le travail de Fernand Pouillon (1912-1986) en est l’une des plus fascinantes illustrations. Aujourd’hui encore, ses immeubles dégagent une force d’attraction peu commune et sa vie romanesque au possible vient parachever l’édifice. Architecte-star puis radié de l’ordre, promoteur, bâtisseur en France, en Algérie et en Iran, éditeur, écrivain, prisonnier en cavale puis officier de la Légion d’honneur… Pouillon a repoussé nombre de limites, dans son métier comme dans sa vie, les deux ne faisant qu’un chez cet homme dévoué à la construction. La réédition de ses Mémoires d’un architecte, la publication d’un livre de photographies sur ses années algériennes et une exposition sur le même thème à Arles remettent Fernand Pouillon à sa juste place, parmi les architectes qui devraient être connus de tous comme Perret, Baltard et Le Corbusier.
« Oui, c’est possible »
Avec sa haute et maigre silhouette de 1,90 m, son visage creusé par un caractère de fer et le stress des chantiers, Pouillon fait un Don Quichotte idéal. Mais un Quichotte qui construirait des moulins. Dès le début, sa carrière est jalonnée de défis qu’il accueille généralement d’une phrase : « Oui, c’est possible. » Les circonstances dictent leur loi. En France, dans les années 1950, il s’agit de reconstruire. En Algérie, il faut bâtir au plus vite et au meilleur prix pour sortir les plus pauvres des bidonvilles. Un projet pourrait résumer son alliage d’audace, de volonté et de génie : l’opération dite des « 200 », à Aix-en-Provence. 200 logements à construire en 200 jours pour un budget de 200 millions de francs. Pari tenu. « J’ai promis, pour la fin d’année, 1 000 logements en construction. Vous me suivez ? » lui demande Jacques Chevalier, le maire français d’Alger. « Oui, c’est possible. »
Pouillon relève le gant et répond par un système global et non par un de ces « gestes architecturaux » déracinés et dopés à l’ego. Le livre Fernand Pouillon et l’Algérie : bâtir à hauteur d’hommes le montre parfaitement : les édifices construits peuvent être monumentaux, mais sont toujours conçus pour les habitants, en fonction de leurs moyens financiers et de leur mode de vie. On peut ne pas aimer ces bâtiments, mais jamais ils ne provoquent la sensation de vacuité ressentie en longeant la Fondation Louis Vuitton, par exemple. Ces immeubles sont d’abord habités par leur fonction. Cette dernière se fond dans un paysage et des vies quotidiennes. C’est ainsi que l’esprit vient aux lieux.
Le « système Pouillon » se caractérise par une recherche d’efficacité et de rapidité. Toutes les cloisons des appartements algérois, par exemple, sont des éléments porteurs. Inutile de finasser. Mais l’esthétique et le sens du détail ne sont pas négligés pour autant. L’architecte travaille avec des céramistes et des sculpteurs, soigne les bassins intérieurs, l’une de ses passions. Il privilégie la pierre face à l’acier ou au verre. Un choix économique, mais pas seulement : la pierre lui permet d’échapper au dogme très en vogue de la préfabrication pour les grands ensembles, elle vieillit bien, se conjugue parfaitement avec la lumière méditerranéenne. Car l’œuvre de Pouillon offre aussi l’occasion de regarder autrement le sud de la France. Le massacre de la région par la promotion immobilière ne doit pas faire oublier un patrimoine architectural à part, composé de grands immeubles (jetez un œil à la bibliothèque universitaire Saint-Charles ou au Building Cannebière à Marseille), de villages reconstruits (Les Sablettes) et de villas superbement sobres (Villa Barthélémy à Cassis). Ici, la construction se débat entre la chaleur et l’ombre, la misère et l’opulence, l’exubérance et la simplicité. Fernand Pouillon l’a compris mieux que quiconque.
En 1955, grande décision stratégique : l’entrepreneur Pouillon crée le Comptoir national du logement (parce que l’achat d’un logement devait devenir « aussi simple que celui d’un paquet de cigarettes au comptoir d’un tabac »). Un aboutissement et le début d’une chute vertigineuse.
Cavale et prix littéraire
Les appartements de la résidence Salmson-Le Point du Jour à Boulogne-Billancourt se vendent moins bien que prévu. Certains partenaires financiers lâchent Pouillon, d’autres (élus et confrères) veulent sa peau. Le scandale éclate : en 1961, l’architecte est arrêté pour abus de biens sociaux, conduit en prison puis hospitalisé en raison de son état de santé. Il propose la vente de tous ses biens pour renflouer les pertes. Un matin de l’année 1962, il s’évade de la clinique et part en cavale à travers la Suisse et l’Italie grâce à ses connexions avec le FLN. Mais il revient pour le début de son procès et assure lui-même sa défense. Verdict : quatre ans de réclusion. Il sera libéré au bout d’un an à cause de son état de santé. Dans sa cellule, il écrit Les Pierres sauvages, un roman présenté comme le journal du moine cistercien chargé de terminer la construction de l’abbaye du Thoronet. Un texte intrigant, traduit dans plus de 30 langues et distingué par le prix des Deux Magots à sa sortie, dans lequel éclate la passion de Pouillon pour son métier vécu comme un sacerdoce.
Radié de l’ordre des architectes (il sera réintégré à la fin des années 1970), il ne peut plus travailler en France. Le salut passe une nouvelle fois par l’Algérie. Il y revient pour construire notamment plusieurs ensembles hôteliers aux volumes parfaits. Une étrange période, certes active mais sans l’urgence des années d’après-guerre. En 1974, Fernand Pouillon découvre le château de Belcastel (Aveyron), en ruines. Il commence sa rénovation sans savoir qu’il s’affaire sur sa dernière demeure. Il y meurt le 24 juillet 1986. Une seule volonté pour sa tombe : qu’elle ne porte aucun nom.
Les photos du livre Fernand Pouillon et l’Algérie: bâtir à hauteur d’hommes sont exposées aux Rencontres d’Arles, du 1er juillet au 22 septembre.
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