George Soros et 17 milliardaires américains opposés à Donald Trump réclament une plus forte taxation des très hauts revenus. Drapés dans leur vertu, ces nababs ne s’attaquent pas aux vices du capitalisme, pourtant principale cause des inégalités de revenus.
Les détracteurs du néolibéralisme en seront pour leurs frais. Voici que s’élève, du sein même de l’establishment américain, un appel pressant à réduire les inégalités. Le diagnostic qui tombe de la bouche de George Soros et de 17 autres représentants emblématiques de l’expérience en cours est dénué de toute ambiguïté : « L’Amérique a la responsabilité morale, éthique et économique de taxer plus notre richesse. Une taxe sur les très riches pourrait aider à résoudre la crise climatique, améliorer l’économie, améliorer la santé, créer des opportunités et renforcer nos libertés démocratiques. [tooltips content= » Lettre publiée le 24 juin dernier sur le web. »](1)[/tooltips] » Cet appel, d’où émane toujours le parfum de la « moraline » évoquée en son temps par Nietzsche, tombe quatre mois après un sondage indiquant que 74 % des électeurs américains, incluant 65 % de républicains, soutiendraient une telle mesure. On observe au passage que les effets politiques de la grande récession de 2009 se font sentir avec retard : huit ans pour le retour en grâce du protectionnisme, onze pour la taxation des très grandes fortunes. L’élection de Barack Obama et la gestion mi-chèvre, mi-chou qui s’en est ensuivie ont prolongé l’expérience commencée avec Ronald Reagan, tout en brouillant les cartes.
Des inégalités à l’américaine
Les faits plutôt que les arguments. En Amérique, tout est disproportionné, les inégalités comme le reste. Et, le néolibéralisme aidant, la disproportion s’est accrue de telle façon que les anciens nababs comme Henry Ford, John Pierpont Morgan ou John Rockefeller seraient relégués aujourd’hui dans la seconde division des fortunes. La disproportion affecte également les inégalités de fortune et les inégalités de revenus. S’agissant des fortunes, un millième des Américains les plus riches détiennent environ un cinquième de la richesse totale du pays contre 7 % à la fin des années 1970, à l’aube de l’expérience néolibérale, et l’équivalent de la totalité de la richesse placée entre les mains des neuf dixièmes de leurs compatriotes les plus pauvres ou les moins riches [tooltips content= » Selon le Bureau national de la recherche économique, considéré comme la source la plus fiable des statistiques économiques américaines. »](2)[/tooltips]. S’agissant des revenus, citons deux illustrations des plus significatives. Doug McMillon, le PDG de Walmart, plus grand distributeur classique américain, s’adjuge plus de mille fois le salaire moyen de son entreprise : 23,6 millions de dollars contre 21 952 dollars, là où John Rockefeller restreignait sa rémunération à quarante fois le salaire le plus bas de ses employés. On retrouve un rapport d’ampleur comparable pour le banquier Jamie Dimon, payé 30 millions de dollars par an pour présider la banque fondée par John Pierpont Morgan, qui appelle aujourd’hui à dépenser plus pour les infrastructures et la santé en taxant la classe la plus riche.
Dans ce contexte, qu’en est-il des esprits ? Tous les nouveaux réformateurs proclament la supériorité intrinsèque du capitalisme, le pire des systèmes économiques à l’exception de tous les autres, aurait dit Winston Churchill. Un mouton noir cependant s’est glissé dans leur troupeau : Ray Dalio, créateur du fonds d’investissement Bridgewater, à la tête de 17 milliards de dollars, proclame que « le capitalisme est cassé », comme les ouvriers de la RDA disaient « Kommunismistkaputt » après la chute du mur de Berlin. Mais nous sommes en régime d’opinion. Or, le sentiment général s’est transformé : seulement 45 % des jeunes adultes américains ont encore une vue positive du capitalisme contre 68 % en 2010.
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Horizon novembre 2020
La course présidentielle étant maintenant lancée, le « manifeste des dix-sept » a ouvert un débat qui pourrait décider de l’issue du scrutin tout autant que l’état de l’économie et de l’emploi à la rentrée 2020. Cette déclaration est au cœur du champ thématique des démocrates. La taxation des super-riches pourra figurer en tête de liste du programme du candidat désigné par les primaires avec le soutien actif des contribuables intéressés. Tous les candidats actuels à l’investiture démocrate envisagent cette taxation qui pourrait être à un président démocrate ce que le protectionnisme est pour le président actuel et qui conjugue efficacité économique et supériorité morale. Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts, située comme Bernie Sanders à la gauche de la gauche, mais capitaliste proclamée, évalue à 275 milliards de dollars annuels le rendement d’une taxe de 2 % sur les fortunes supérieures à 50 millions de dollars, soit un gros tiers du déficit budgétaire courant qui pourrait ainsi être effacé à moins, plus probablement, que les sommes soient réaffectées à des dépenses écologiques, de santé et d’infrastructures.
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Il nous manque un « discours sur l’origine des inégalités »
Le beau propos de Soros et ses comparses ainsi que celui des candidats démocrates a néanmoins un goût d’inachevé. L’impôt qu’ils proposent, et qui n’est qu’une forme déguisée de mécénat économique, social et écologique, est en quelque sorte l’hommage de la vertu au vice : taxer les dégâts collatéraux du néolibéralisme revient à les entériner, en laissant hors du débat les conditions de leur formation. Or, les inégalités ne tombent pas du ciel et si la fortune pourrait être taxée, les inégalités de revenus sont fort peu traitées par les nouveaux réformateurs.
Autant en effet, on peut accepter – tout en les taxant –, des inégalités de fortune issues d’un talent économique ou financier, autant on peut réprouver les inégalités de revenus dont on peine à voir la justification théorique ou pratique. En Amérique, mais aussi chez nous, à un moindre degré, l’éventail des revenus s’est ouvert de deux manières. Par le bas d’abord, du fait de la stagnation du revenu réel de près d’une moitié d’Américains, mondialisation et création de valeur obligent. Mais aussi par le haut, du fait que plusieurs catégories de « métiers » se sont hissées au-dessus de leur condition antérieure : les patrons et les cadres supérieurs, on le sait, les financiers aussi, mais encore les comptables, les juristes, les membres du « show bizz » et certains journalistes relevant de la sphère audiovisuelle, sans parler des sportifs professionnels. Cet ensemble disparate en apparence présente un point commun : les bénéficiaires, qui fixent eux-mêmes leurs rémunérations ou les négocient en position de force, échappent au marché du travail. Étrangement, contrairement à la « masse salariale », ces rémunérations ne sont pas un coût pour les entreprises concernées. C’est encore un aspect déroutant du système qui nous englobe. On attend encore le discours sur l’origine des inégalités en régime néolibéral.
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