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Alain Finkielkraut: « Le progressisme: un thé dansant à bord du Titanic »

Émettre la moindre réserve sur le foot féminin est hasardeux


Alain Finkielkraut: « Le progressisme: un thé dansant à bord du Titanic »

 


« L’Esprit de l’escalier », l’émission culte d’Alain Finkielkraut et d’Élisabeth Lévy, est de retour en exclusivité une fois par mois sur RNR.TV

Ce mois-ci:
Homo aequelis festivus ;
Le progressisme : un thé dansant à bord du Titanic ;
L’union des droites est-elle souhaitable ?


 

Homo aequelis festivus

Nous ne vivons pas, Dieu soit loué, sous la férule d’un régime illibéral. Les contre-pouvoirs ne sont pas muselés ni persécutés au nom de la souveraineté populaire. La presse et la justice font leur travail en toute indépendance. Les gouvernements doivent, bon gré mal gré, s’accommoder de l’existence des lanceurs d’alerte. Nous aurions tort cependant de nous pavaner et de regarder de haut les démocratures d’Europe centrale et orientale car, chez nous aussi, l’espace du désaccord raisonnable ne cesse de se réduire. Une seule conception du Bien prévaut. Un code de la route pointilleux et sévère régit la vie intellectuelle. Mais ce n’est pas l’État, ce sont les médias et les réseaux sociaux qui sanctionnent les dérapages. Alors que, nous dit la publicité, les Bleues sont en train d’écrire l’histoire, il est interdit d’émettre la moindre réserve sur le football féminin. Nous ne sommes pas conviés, en effet, à admirer un spectacle sportif, nous devons, toutes affaires cessantes, nous mettre au garde-à-vous devant un spectacle édifiant. Cet événement, dit le journal Le Monde, est « une victoire de l’égalité ». Et qui, sinon l’esprit du mal, oserait aujourd’hui entraver la marche de l’égalité ? L’enthousiasme organisé ne tolère pas les réfractaires. Comme l’a souligné Bérénice Levet, « il ne s’agit plus de prendre plaisir à assister à un match de football ou à le visionner entre amis, mais de soutenir la cause des femmes  ». Philippe Muray avait raison : au XXIe siècle, les fêtes rythment la vie. J’ajouterai que ces fêtes ne sont jamais simplement festives, elles célèbrent toutes l’égalité. Sous le règne d’Homo aequalis festivus, le divertissement lui-même est annexé par la vertu.

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Or, je ne suis pas convaincu de la vertu de cette vertu. La différence du masculin et du féminin a longtemps servi à justifier l’inégalité entre les sexes. Ce scandale a cessé et c’est très bien. Mais pourquoi devrait-on maintenant sacrifier la différence sur l’autel de l’égalité ? Pourquoi faudrait-il que l’émancipation se confonde avec l’indifférenciation ? Et quand bien même la différence ne serait pas naturelle, quand bien même, comme le serinent les études de genre, elle serait inscrite dans la culture par les poètes et les peintres, pourquoi faudrait-il jeter cette culture comme un paquet de guenilles ? Maintenant que les poètes cèdent la place aux rappeurs et les peintres à Jeff Koons, un autre monde est en train de naître, un monde de rugbywomen et de boxeuses, un monde où tout peut prendre la place de tout, le monde désolant de l’interchangeabilité générale.

Megan Rapinoe (Etats-Unis ), joueuse de la Coupe du monde féminine de football : demi-finale entre la France et les Etats-Unis, 28 juin 2019.
Megan Rapinoe (Etats-Unis ), joueuse de la Coupe du monde féminine de football : demi-finale entre la France et les Etats-Unis, 28 juin 2019.

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C’est un crève-cœur pour qui se souvient de la part prise par les femmes à l’embellissement de la Création, de voir les joueuses, quand elles ont marqué un but, singer les postures masculines les plus ridiculement prétentieuses. Il ne manque – pour combien de temps ? – que les tatouages. L’égalité méritait mieux.

Le progressisme : un thé dansant à bord du Titanic

Alors qu’il avait tout à perdre, François-Xavier Bellamy a pris le risque d’entrer en politique parce qu’il est inquiet pour le destin de la civilisation française et de la civilisation européenne. Il pense comme Albert Camus, dès 1957, que la tâche de notre génération n’est pas de refaire le monde, mais d’empêcher qu’il ne se défasse.

Visiblement, sa vision tragique de l’histoire n’a pas pris. Malgré sa force de conviction et son langage dépourvu de tout élément de langage, la liste qu’il a conduite aux européennes a recueilli 8 % des suffrages. Et dès l’annonce des résultats, les jeunes pousses et les vieux caciques du parti Les Républicains ont juré qu’on ne les y reprendrait plus  : avec une rare élégance, ils se sont empressés de désavouer leur candidat et ils ont rejoint, l’oreille basse, le périmètre gestionnaire que leur alloue le système médiatico-politique.

Le progressisme indécrottable de ce système me fait penser à un thé dansant à bord du Titanic. Ce n’est pas en fermant les yeux sur la tragédie qu’on l’empêchera d’advenir. Et puisque le passéisme a très mauvaise presse de nos jours, regardons devant nous : quel sera le visage de la France dans cinquante ans ? À quoi ressembleront les villes de Mulhouse, de Roubaix, de Nantes, d’Angers, de Toulouse, de Tarascon, de Marseille et tout le département de la Seine Saint-Denis ? De la nation française à l’archipel français : tel est le sens de l’histoire en cours. Où est le progrès ? Tous les progressistes, certes, ne sont pas des docteurs Pangloss. De plus en plus, l’angoisse écologique fait entendre sa voix. Mais ceux qui nous rappellent à nos devoirs envers les générations futures préconisent, pour épargner le ciel et la terre, l’extension indéfinie du parc éolien. Ils oublient que l’écologie a aussi une dimension esthétique et qu’il ne sert à rien de sauver la planète si c’est pour la rendre hideuse et inhabitable. Sur ce point, Renaud Camus a parfaitement raison : « Il faut lutter contre la prolifération des éoliennes parce qu’une vie qui se déroulerait de toute part dans leur ombre et sous leurs palans assassins des oiseaux ne mérite pas qu’on se batte pour elle ni d’être vécue. » Est-ce cela la France que nous voulons laisser à nos enfants : un pays fragmenté, éclaté, archipellisé et constellé d’éoliennes ?

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L’union des droites est-elle souhaitable?

Marion Maréchal a appelé à l’union des droites et aussitôt on a vu se reformer contre elle, de Laurence Parisot à Gérard Larcher, l’union sacrée de l’antifascisme. Cette invocation pavlovienne des valeurs n’est pas la bonne réponse.

Deux Europe aujourd’hui se font face  : une Europe pénitentielle à l’ouest, qui renie son propre héritage et ne jure que par l’Autre ; une Europe sans honte ni regret à l’est, qui veut en finir avec toute forme d’autocritique ou de mise en question et qui, sous la houlette des Premiers ministres polonais ou hongrois, s’est engagée dans un Kulturkampf pour la promotion des identités nationales, saintes, héroïques, immaculées. Marion Maréchal semble avoir choisi le deuxième terme de cette alternative. Or, l’union des droites n’aura de sens et de légitimité que si elle les refuse tous les deux. Entre l’économisme des uns et le populisme des autres, nous sommes loin du compte.

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Été 2019 - Causeur #70

Article extrait du Magazine Causeur




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Alain Finkielkraut est philosophe et écrivain. Dernier livre paru : "A la première personne" (Gallimard).

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