La polémique autour du burkini reprend. La récupération de la figure de Rosa Parks par des militants islamistes organisés et décidés nuit gravement à l’ordre public. Comme la cigarette nuit à la santé?
Voici une bibliothèque municipale, comme il y en a beaucoup en France. Un homme y entre, cigarette fumante à la bouche. La personne à l’entrée lui fait remarquer qu’il est interdit de fumer à l’intérieur de la bibliothèque, pour des raisons d’hygiène, de sécurité et d’agrément des usagers, et l’invite donc à l’éteindre avant d’entrer. L’homme sourit, prononce quelques mots d’excuse, éteint sa cigarette et entre dans la bibliothèque. Une scène banale.
Une polémique récurrente depuis 2016 : Tous nos articles sur le burkini
Supposons maintenant que l’homme, au lieu d’éteindre sa cigarette, se mette à protester, argue du fait que sa cigarette allumée correspond à un mode de vie qui est le sien, que cette cigarette qu’il fume participe en quelque sorte de son identité, et qu’un règlement l’empêchant de fumer où et quand il le veut n’est rien d’autre qu’une intolérable discrimination à son encontre. Que ferait alors le personnel de la bibliothèque ?
Cigarette et burkini? Même combat.
Sans doute s’opposerait-il à l’entrée de l’homme, au nom du respect du règlement intérieur et de la loi sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics.
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Supposons alors que notre homme tente un coup de force et que le lendemain dix à vingt personnes, fumeurs et fumeuses par lui rameutés, entrent simultanément dans la bibliothèque pour y stationner, cigarettes et pipes à la bouche, pendant près d’une heure, présentant leur action comme un acte de « désobéissance civile » destiné à dénoncer « un traitement discriminatoire », et allant jusqu’à convoquer pour l’occasion les mânes de Rosa Parks.
Rosa Parks a de quoi se retourner dans sa tombe
Il me paraît clair que cette argumentation serait rapidement balayée : la proscription d’un acte, d’un comportement ou d’un accessoire n’est en rien comparable à la proscription d’une personne. Pour dire les choses simplement : ce n’est pas le fumeur ou la fumeuse qui sont interdits d’entrée, mais la cigarette – et même, pour être plus précis, la cigarette allumée. Ce n’est pas le fumeur ou la fumeuse en tant qu’individus qui sont proscrits, mais le fumeur ou la fumeuse en train de fumer. Tant que, fumeur ou fumeuse par ailleurs, ils s’abstiennent de fumer dans la bibliothèque, rien ni personne ne les empêche d’y entrer. Cela n’a rien à voir avec une interdiction ou une ségrégation portant sur la couleur de la peau, tant il semble évident qu’il est aussi aisé de jeter sa cigarette que difficile de modifier la couleur de son épiderme. On ne peut pas mettre sur le même plan la proscription d’un acte et la proscription d’un être. Il est relativement aisé de s’abstenir d’un acte ; il est fort malaisé de modifier son être.
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Lorsque les militantes islamistes de Grenoble dénoncent une « discrimination » à leur égard et en appellent à Rosa Parks pour justifier leur opération-commando, elles jouent (sciemment ou pas) sur cette confusion entre « être » et « faire ». Car dans la réalité, aucune ni aucun musulman ne s’est jamais vu interdire l’entrée d’une piscine au motif de sa religion. On n’a jamais vu aucun personnel de piscine dire à qui que ce soit : « Vous êtes musulman ? Alors, vous n’avez pas le droit d’entrer. » La vérité, c’est que la question ne se pose jamais – et c’est bien normal. Mais en revanche, tel accessoire de bain ou tel comportement peuvent être proscrits, pour des raisons de sécurité, d’hygiène ou d’agrément des usagers. Le bermuda est proscrit, le short est proscrit, la baignade nu est proscrite. Affirmer que l’interdiction du burkini est « une discrimination envers les femmes musulmanes », c’est poser en principe que le burkini participe de l’identité de la femme musulmane et constitue pour elle une seconde peau dont il lui est physiquement impossible de se départir. C’est affirmer que le burkini est partie intégrante de « l’être » de ces femmes, tout comme sa peau noire était partie intégrante de l’être de Rosa Parks. C’est évidemment une absurdité.
On ne fume pas à la bibliothèque
Donc, répétons-le : interdire tel ou tel accessoire dans tel ou tel lieu public n’est pas une discrimination envers une personne. Face à la proscription d’un accessoire ou d’un acte, chacun est renvoyé à sa liberté comme à sa responsabilité : le fumeur peut cesser de fumer et entrer dans la bibliothèque, ou vouloir continuer à fumer et dès lors ne pas entrer. La femme qui voulait se baigner peut choisir de mettre un maillot autorisé par le règlement, ou décider de ne pas se baigner. Mais ni le fumeur ni la femme ne peuvent prétendre que le règlement les « discrimine » en tant que personne ni en raison de leur croyance ou de leur mode de vie. S’ils affirment cela, ils se trompent ou ils mentent.
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