La « Gay Pride » va venir assourdir samedi prochain des Parisiens déjà assommés de chaleur. L’Ifop publie une enquête pour la Fondation Jasmin Roy et la DILCRAH sur la perception qu’ont les Français de l’homosexualité, et des préjugés qui y sont liés. Alors que l’explosif dossier de la PMA va bientôt être ouvert par le gouvernement, l’enquête montre par ailleurs qu’une majorité de citoyens n’est plus réticente à l’homoparentalité. Entretien avec François Kraus, directeur du pôle Politique/Actualité à l’Ifop.
Martin Pimentel. Après le débat virulent sur le « Mariage pour tous », on affirmait un peu partout qu’il y avait un regain d’homophobie dans la société française. Quand on regarde votre étude, on voit au contraire que la perception de l’homosexualité s’est améliorée de façon constante depuis 1975. Qu’en est-il exactement ?
François Kraus. Sur le long terme, c’est évident qu’il y a un phénomène notable de normalisation de l’homosexualité dans l’opinion. Mais nous observons tout de même un petit raidissement en 2012, à partir de l’annonce de la loi Taubira. Et on avait observé la même chose sur la période 98-99 sur le PACS. Mais une fois ces périodes de débat passionné passées, vous avez raison : la tendance à la normalisation continue.
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Causeur. En 1975, 42% des personnes interrogées pensaient que l’homosexualité était « une maladie que l’on doit guérir ». Elles ne sont plus que 8% aujourd’hui. Comment expliquez-vous cette évolution spectaculaire ?
François Kraus. Dans les années 80, la gauche arrive au pouvoir et dépénalise l’homosexualité [NDLR: en 1982, Mitterrand met fin à la discrimination qui donnait la majorité sexuelle dès 15 ans aux hétérosexuels et à 21 ans pour les homosexuels]. Vient ensuite le PACS en 1999. L’effet de normalisation par la loi favorise l’acceptation sociale. L’évolution législative contribue notamment à banaliser l’image du couple homosexuel. Mais la loi n’a pas précédé les choses, il y avait une tendance de fond déjà établie, un phénomène profond inhérent aux sociétés industrielles, à savoir la diffusion des valeurs post-matérialistes. Il y a eu mai 68, et tout un renouvellement générationnel.
Ceux qui avaient 20 ans dans les années 70, et qui sont aujourd’hui sondés, n’ont pas du tout le même rapport à la sexualité que les générations précédentes. Ensuite, l’accès généralisé au bac dans les années 80 a favorisé une hausse très forte du niveau d’instruction. Enfin, la population soumise au discours répressif de l’Église sur cette question de l’homosexualité est de plus en plus minoritaire, car on observe sur la même période une sécularisation très forte de la société française. Mon collègue Jérôme Fourquet l’a mis en avant dans son dernier livre.
Les musulmans n’ont pas le monopole de l’homophobie !
Causeur. Jérome Fourquet parle justement d’archipel. Si on reprend ce terme, dans quels segments de l’archipel de la population française est-il préférable d’être homosexuel ? Et je fais allusion ici avec mes gros sabots à un sujet qui fâche : dans votre étude, 63% des musulmans considèrent toujours l’homosexualité comme « une maladie » ou « une perversion » en 2019. Ils ne sont que 14% chez les catholiques et 10% chez les athées…
François Kraus. Il y a assurément des effets liés à la religion et à l’islam en particulier. Mais il y a aussi des effets de structure liés à la composition même des musulmans, lesquels sont sur-représentés dans les catégories populaires et les catégories moins diplômées, et concentrés dans les banlieues « populaires ». Il y a en outre un effet lié à la pratique religieuse et à la fréquentation des offices. La pratique religieuse affecte de façon très forte le rapport à l’homosexualité, et pas que dans l’islam. Ceux qui n’accepteront pas que leur enfant soit homosexuel sont ceux qui vont dans un lieu de culte toutes les semaines, que ce soit à la messe ou à la mosquée. En 2016, notre enquête IFOP pour l’institut Montaigne montrait déjà que les musulmans sont des gens qui attachent beaucoup plus d’importance que le reste de la population à la religion et aux préceptes moraux de cette dernière dans leurs comportements. Cela se traduit par une morale sexuelle beaucoup plus rigoriste, et une plus forte rigidité à l’égard de toute transgression de la norme hétérosexuelle.
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Causeur. Moi, je retourne dans l’archipel français, et je pense qu’il vaut mieux être homosexuel dans la France périphérique des gilets jaunes qu’en banlieue en Seine Saint-Denis…
François Kraus. Aujourd’hui, c’est effectivement dans les banlieues populaires et dans certaines minorités ethniques et religieuses que l’homophobie est la plus répandue. Mais je mettrais un bémol : c’est aussi lié au niveau social et culturel général [pas uniquement à la religion ou à la minorité ethnique NDLR], et aussi à la position sur l’échiquier politique gauche / droite. En gros, plus on est pauvre, peu éduqué, très pratiquant et situé à la droite de l’échiquier politique, plus la perception de l’homosexualité demeure imprégnée de préjugés homophobes. Je vois où vous voulez peut-être m’emmener… Il faut comprendre que les musulmans n’ont pas le monopole de l’homophobie! C’est chez les ex-électeurs fillonistes et électeurs lepénistes que vous retrouverez les préjugés les plus importants, et vous conviendrez qu’ils sont peu nombreux parmi les musulmans ! Dans ce portrait de l’homophobie, on retrouve en fait la logique de l’archipel chère à Jérôme Fourquet.
Causeur. Je veux bien vous croire. Ce qui est paradoxal – et je sais bien que c’est très mal de stigmatiser… – c’est que vous trouvez des élus de gauche dans les territoires que nous évoquons qui semblent nier l’évidence. C’était le cas il y a encore 10 jours d’un élu de Saint Denis, qui, lors de la gay pride qui a eu lieu là-bas, affirmait que selon lui « il n’est pas plus compliqué d’être LGBT à St Denis qu’à Paris. »
François Kraus. Je vous renvoie vous et cet élu sur une autre étude que nous avons réalisée le mois dernier pour la Dilcrah et la fondation Jean Jaurès. C’est la seule enquête réalisée en France où nous interrogeons uniquement des homosexuels. Elle montre clairement que les personnes qui souhaitent le plus quitter leur quartier, leur ville ou leur lieu d’enseignement car elles souffrent d’actes ou de paroles homophobes sont les personnes LGBT qui vivent dans ces quartiers et/ou qui sont de confession musulmane. Ce sont les LGBT appartenant aux minorités religieuses ou ethniques qui sont les premières victimes de l’homophobie, et ceci dans une proportion beaucoup plus forte que l’archétype du « gay blanc CSP+ du centre-ville » …
Toutefois, ne mélangeons pas deux choses : notre enquête confirme en effet l’adhésion des conceptions mentales et culturelles rigoristes de ces minorités ethniques, mais nullement plus de passages à l’acte ou d’agressions physiques de ces mêmes minorités envers les personnes LGBT. On n’a pas ce genre de données, et c’est important de le rappeler à vos lecteurs.
72% des Français interrogés estiment qu’un enfant va s’épanouir de la même manière élevé par deux mères
Causeur. Si on passe sur le sujet chaud bouillant de la filiation et de l’homoparentalité, là aussi, les Français semblent très bien accepter les familles homoparentales, finalement ?
François Kraus. Oui, et ce n’est pas nouveau. Dans le contexte actuel de l’ouverture souhaitée de la PMA à plus de femmes et de la transcription dans l’état civil français des enfants nés d’une GPA à l’étranger, on voit une reconnaissance accrue des modèles parentaux sortant de la norme hétérosexuelle. Il y a une adhésion forte au principe qu’un enfant a autant de chances d’être aussi bien élevé par un couple gay que par un couple hétérosexuel. Malgré les crispations de l’opinion observées par le passé, on a vu des progressions spectaculaires : 72% des Français interrogés estiment qu’un enfant va s’épanouir de la même manière élevé par deux mères et 68% pensent qu’un enfant va s’épanouir de la même manière élevé par deux pères. Que ce soit pour les lesbiennes ou pour les gays, c’est une augmentation de 16 points depuis 2013 ! 87% des Français pensent en outre que les couples de même sexe doivent avoir les mêmes protections juridiques que les autres familles, et 65% pensent que l’état civil des transsexuels devrait pouvoir être changé sur demande sans être conditionné à une opération. Tout ceci montre une tolérance forte des “cisgenres” hétérosexuels sur ces questions.
Causeur. Justement, parlons de tous ces termes que reprend votre étude (LGBT, cisgenres et autres joyeusetés)… Interrogée sur France inter, Sylviane Agacinski regrette que « nous adoptions le vocabulaire des militants LGBT et le vocabulaire des laboratoires de technologies reproductives américains. » Elle craint l’avènement d’un homme désincarné : on serait en train de passer du corps charnel au corps fabriqué, selon elle. Et il faut bien reconnaître qu’un certain militantisme réclame le droit à la PMA pour demain, et parle déjà de la GPA pour après-demain. En tant que sondeur, pensez-vous que ces questions vont saturer le débat dans les prochaines semaines ?
Sens Commun ou la Manif pour Tous seront selon moi beaucoup moins en capacité de mobiliser sur la PMA que sur le mariage homosexuel
François Kraus. Non, car la question de la PMA est beaucoup moins clivante que ne le fut le mariage pour tous. D’abord, le consensus semble assez net cette fois-ci selon les dernières enquêtes. 2 Français sur 3 y sont favorables. Cela concerne uniquement des femmes, et dans l’inconscient collectif la maternité est consubstantiel de la féminité. Y compris chez des Français plus âgés ou plus religieux, le besoin de maternité apparaît comme un besoin existentiel et les Français réfractaires à ces évolutions voient mal comment refuser l’aide de la science dans cette volonté qu’a la femme d’enfanter. Sens Commun ou la Manif pour Tous seront selon moi beaucoup moins en capacité de mobiliser là dessus. La GPA, qui implique de son côté un risque de marchandisation du corps, est plus porteuse pour ces mouvements, et interpelle aussi à gauche. Je note enfin que le contexte d’atomisation de la vie politique française actuelle et singulièrement de la droite fait qu’il n’y a pas de relais politiques structurés sur ces questions comme c’était le cas en 2012.
Causeur. Si je retourne feuilleter votre étude sur l’homophobie, je vois aussi que l’acceptation vis-à-vis de démonstrations publiques de l’homosexualité progresse. Un détail m’interpelle toutefois : 47% des moins de 25 ans que vous qualifiez de « cisgenres » sont plus inquiets à l’idée de prendre une douche après le sport avec un homosexuel que ne le sont leurs aînés. Les plus jeunes sont-ils plus homophobes ? Ou alors, le fait que des homosexuels ne se cachent plus pourrait-il être contre productif ?
François Kraus. Vous extrapolez ! Je pense que c’est surtout que les jeunes font plus de sport, ou vont plus à la salle de sport, où les douches collectives sont plus rares qu’autrefois. Mais le fait que dans les plus jeunes, il y ait effectivement plus de personnes musulmanes ou de minorités ethniques est peut être aussi une explication structurelle de ce chiffre…
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