Atteint de la maladie de Parkinson, le critique littéraire Serge Koster fait le deuil de son ami écrivain disparu Michel Tournier. Tournier parti est un dialogue avec les morts illustres, les vivants et la maladie. Un exercice spirituel au style ciselé.
Critique littéraire de renom et écrivain raffiné, Serge Koster signe ici un hommage à son ami Michel Tournier, le célèbre auteur du Roi des aulnes ou de Vendredi et la Vie sauvage, décédé le 18 janvier 2016. À l’opposé d’un tombeau littéraire, Tournier parti ne contient pas un gramme de marbre. C’est un livre nerveux, vif, fragmentaire : des éclats en orbite et deux planètes jumelles. En effet, alternent des souvenirs relatifs à Michel Tournier avec des notes nocturnes où l’auteur consigne les épreuves auxquelles le soumet « Miss Parkinson » et les analyses qui en résultent ; comme si deux types de souffrance travaillaient simultanément l’écrivain, celle du cœur et celle du corps, se rejoignant au point aveugle de la mort ; la mort qui a pris l’ami dont on fait le deuil et qui menace également le malade. Pour autant, le dispositif n’est ni compliqué, ni complaisant, ni même franchement morbide ; et c’est ce qui en fait la pertinence.
A lire: Dans la peau de Serge Koster
C’est qu’en dépit de son sujet, le livre de Koster est étonnamment vivant. D’abord en raison de son style, mordant, alerte, à la fois ciselé et trépidant. Ensuite, parce que Tournier y est moins embaumé que prolongé : des échos, des débats, des conversations, que Koster continue comme si son interlocuteur privilégié l’aiguillait toujours. « Disant adieu à Tournier, je ferme derrière moi la porte de l’enseignement de la littérature. Dans l’entrebâillement se glisse un lambeau de mémoire sur le tissu de laquelle j’écris le mot “STYLE”. » Et Koster de digresser sur les figures de la langue, ces « fleurs de la rhétorique », de rappeler le classicisme de Tournier et de faire débattre en lui Proust et Léautaud aux armes contraires. Ainsi se mêlent plusieurs dialogues : avec les morts illustres, avec Tournier parti, avec les vivants qui restent, avec la maladie qui le persécute ; dialogues qui tous élaborent une réflexion nécessaire bien qu’éparse, dans une langue employée pour faire le deuil, pour aimer et pour survivre, celui qui la manie ne doutant pas du pouvoir des mots.
A lire aussi : Le roman noir, c’est de la grande littérature
Quand on lui demande s’il écrit, Serge Koster répond par la négative, ou évoque quelques notes, et puisque tout le monde lui trouve bonne figure, il sait garder secret son martyre, quand sa femme, seule confidente, demeure son meilleur analgésique. C’est le livre qui recueille les traces du combat occulte. Ni tombeau ni complainte, il constitue seulement un exercice de survie, qui devient exercice spirituel, tentative de maîtriser la maladie et d’accepter l’idée de la mort dans le miroir de l’ami défunt. « Les derniers temps toutefois, et sans qu’il sût rien de ma maladie, nos démarches chancelantes et nos visages amaigris accréditaient l’idée que hors les lettres nous luttions à présent sur le même ring. » Ne s’appesantissant jamais, les phrases de Koster ont l’éclat du scalpel et font de cette rumination anarchique un bel objet baroque craché contre la mort. Nous serons sauvés par le style.