Pendant que l’on s’acharne sur la petite croix qu’arbore à son cou la députée des Bouches-du-Rhône, il n’est plus question d’interdire aux « mamans voilées » d’accompagner les sorties scolaires…
Une chose est encore plus difficile que de faire bouger un mammouth : faire bouger deux mammouths. Ainsi, la loi Blanquer « pour une École de la confiance » dont le texte a fini par être définitivement établi en commission mixte paritaire comporte-t-elle quelques avancées notoires, mais les principales dispositions qui en caractérisaient l’éventuel aspect novateur ont fait l’objet tantôt de la bronca rituelle du corps enseignant, tantôt des pesanteurs et frilosités d’une société qui a désormais peur de son ombre.
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Le mammouth et les « mamans » voilées
Côté mammouth institutionnel et en dépit de l’abaissement à 3 ans de l’âge légal de l’instruction obligatoire, exit l’idée d’Établissements Publics des Savoirs Fondamentaux (EPSF) regroupant des écoles et des collèges avec un curseur remis clairement sur les apprentissages fondamentaux. Il ne faudrait pas risquer de décloisonner trop les prés carrés et les petites habitudes de chacun. Côté mammouth social, les deux dispositions prévues par le Sénat et qui contribuaient à ancrer enfin cette loi dans des problématiques auxquelles l’enseignement se heurte concrètement sont écartées. Exit la question de la présence intrusive du voile islamique lors des sorties pédagogiques par les mères accompagnantes. Exit également la possibilité de suppression des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. La reculade des parlementaires au sujet du voile islamique, qui vient s’inscrire dans la longue tradition des lâchetés et renoncements auxquels le peuple français a été contraint de s’accoutumer dans ce domaine, n’a rien de particulièrement surprenant au regard des habitudes prises en la matière.
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Il a donc été admis par des élus qui n’ont probablement pas eu envie de se compliquer la vie avec le serpent de mer islamique, que les « mamans » pourront accompagner les sorties scolaires revêtues du voile islamique. On ne reviendra pas en détail sur ce débat qui remplace désormais certains marronniers d’autrefois sur l’école et les remplacera aussi longtemps que personne ne prendra d’autorité le sujet à bras le corps.
Cachez cette croix…
Dans une vidéo remarquée sur les réseaux sociaux, la députée Les Républicains Valérie Boyer exprime en revanche sa déception et son désaccord face à cette lâche décision. Elle le fait avec un des magnifiques décolletés dont elle a le secret (et les moyens), arborant une jolie petite croix arménienne, un bijou qui rehausse, du reste, l’élégance du décolleté. Il n’en aura pas fallu davantage pour que les pavloviens de la laïcité de combat ne lui tombent dessus à bras raccourcis. Twitter a ainsi vu proliférer des publications toutes plus ineptes les unes que les autres, dans lesquelles il est reproché à l’accorte élue, réputée catholique (et alors ?), de déplorer l’autorisation du voile islamique tout en portant un petit bijou de signification chrétienne. Le philosophe Raphaël Enthoven, qui s’était déjà distingué en s’essayant sans grand succès à la théologie, entendant des voix subliminales islamophobes dans la nouvelle traduction du Notre Père (avant de s’en excuser face au tollé suscité), récidive cette fois-ci dans un petit morceau d’anthologie où toutes les confusions (sémantiques et intellectuelles) sont rassemblées dans un cocktail indigeste qui lui a valu de prendre une volée de bois vert de la part de nombreux internautes :
Quelle pire avocate de la laïcité qu’une députée furieuse que les mamans accompagnatrices portent le voile, mais qui arbore elle-même une croix bien visible ?
Quelle meilleure façon de donner le sentiment que « laïcité » est l’alibi d’une guerre de religions ? Grotesque droite 🙃 https://t.co/DFStuybG6e— Raphaël Enthoven (@Enthoven_R) 15 juin 2019
Question grotesque, le combo est éloquent. Confondre un bijou, en l’occurrence discret, avec un vêtement qui signifie et met en scène la soumission des femmes aux hommes, relève au mieux de l’absence de discernement, au pire de la mauvaise foi. Le voile signifie non pas la soumission à Dieu mais la soumission d’une partie de l’humanité à l’autre partie. Il signifie que le corps des femmes est impur et tentateur et qu’il est de la responsabilité des femmes de se mettre à l’abri des convoitises qu’elles pourraient susciter chez des mâles supposés incapables de réfréner leurs pulsions. Réduire le combat contre le voilement à une simple question de laïcité procède à la fois de l’obsession militante, du fond de commerce et de la cécité. Ce qui ne signifie toutefois nullement que le voile ne soit pas également le cheval de Troie de l’islam politique. Hani Ramadan ne s’y est du reste pas trompé, approuvant la confusion de Enthoven, et insistant au passage sur l’impudeur d’un décolleté (pardi), lui qui avait exprimé on ne peut plus clairement qu’une femme ne portant pas le voile valait moins qu’une pièce de deux euros circulant de mains en mains par le passé : « Très juste pour une fois sur cette question. De plus, une croix ostensiblement visible sur un large décolleté offre un contraste qui ne plaide pas en faveur de la morale du Christ. Notre sœur Valérie n’a pas l’air de s’en rendre compte ».
Tous pris dans la tenaille identitaire
Gilles Clavreul, le cofondateur du Printemps Républicain, probablement entortillé dans la tenaille identitaire dont ce groupuscule ne cesse de rebattre les oreilles à qui veut l’entendre, y est allé quant à lui de son couplet confusionniste. On est surpris d’un tel manque de solidité intellectuelle et juridique, lorsqu’on sait par ailleurs que la loi du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse » précise, sur ce sujet : « la loi ne remet pas en cause le droit (…) de porter des signes religieux discrets. Elle n’interdit pas les accessoires… ». Les mères musulmanes désireuses d’accompagner leurs enfants en sortie péri-scolaire pourraient donc parfaitement arborer une petite main de Fatma, comme d’autres une croix ou une étoile de David sans que cela ne pose le moindre problème à personne.
Mais, évidemment, il n’est pas question de simplement signifier par un signe discret ses convictions personnelles à tel ou tel ensemble social… Non, il est question avec le voile de manifester une inégalité entre le traitement du corps des femmes et le traitement du corps des hommes dans l’espace public, inégalité aboutissant de facto à une ségrégation de l’espace public ainsi qu’à une sécession religieuse. Les tenants bornés d’un laïcisme de combat (qui l’est surtout de salon en réalité!) feignent de ne pas voir la différence, et c’est grave.
Poncifs et confusion imbéciles
Par ailleurs, ces militants reprennent les poncifs cognitivement déficitaires (au mieux) d’un Christophe Castaner qui comparait le voile islamique avec le « voile de nos mamans catholiques ». Nous attendons de voir les photos de la grand-mère du Ministre de l’intérieur… Ou, pire encore, ceux d’un Aurélien Taché pour qui le voilement imposé des fillettes n’a pas grand chose de différent du « serre-tête » des jeunes filles catholiques… On attend que le député LREM nous dise dans quel pays catholique les jeunes filles sont incarcérées, fouettées et parfois tuées parce qu’elles ne portent pas de serre-tête. Rires dans l’assemblée !
L’une des raisons de cette imbécile confusion tient à la volonté de certains combattants d’une laïcité obtuse de solder leur vieux fond bouffe-curé à peu de frais (taper sur les cathos ne mange pas de pain), tout en essayant de donner des gages de non-fascisme et de non-islamophobie sur leur gauche (en général, en vain). En essayant, surtout, d’accaparer la question de la laïcité en chassant de ce terrain la droite. La « grotesque droite » de Raphaël Enthoven. À ce niveau d’ineptie intellectuelle, est-il encore besoin de répondre, tant le procédé est voyant et grossier ? Il ne s’agit ici de rien d’autre que d’une tentative de captation de la cause de la laïcité à des fins d’autopromotion.
Venir, enfin, donner des leçons d’émancipation féminine à Madame Boyer, a quelque chose d’assez piquant lorsqu’on observe le spectacle concret que cela produit, ne serait-ce qu’en termes d’images, lesquelles valent toujours mieux qu’un long discours. Enfin, il conviendrait de rappeler que l’on peut défendre la laïcité face aux assauts qu’elle subit de la part d’un islam politique polymorphe, tout en ayant des convictions spirituelles ou tout simplement en assumant son histoire culturelle…
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