Comment être contre la biodiversité, la sécurité routière ou l’enfance heureuse ? Chaque association défend son pré carré avec des arguments solides. L’Etat y répond souvent par une nouvelle loi punitive, érodant nos libertés publiques.
Environ 11 500 lois, plus de 280 000 décrets, 15 000 infractions possibles : voilà l’arsenal qui régit aujourd’hui la vie en société dans notre pays. Il est en croissance régulière. 35 lois d’envergure transformant le Code pénal ont été adoptées depuis 1999, sans compter des dizaines de textes ciblés visant à créer de nouvelles infractions, ou à alourdir les peines prévues pour celles déjà existantes. Une législation liberticide ? À l’arrivée, oui, mais ce n’est pas toujours l’intention initiale. La frénésie pénale se nourrit souvent de l’envie d’œuvrer à un monde meil-leur. La loi Gayssot punissant la contestation des crimes contre l’humanité de la Seconde Guerre mondiale a été votée en 1990, alors que le négationniste Robert Faurisson brandissait une étude pseudoscientifique « démontrant » l’impossibilité technique des chambres à gaz (le rapport Leuchter). Il fallait le contrer. Le sénateur EELV Joël Labbé a déposé en 2014 sa proposition de loi « visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires » : les rapports alarmants sur le recul de la biodiversité en France se suivaient sans que personne ne réagisse. La réforme du Code pénal d’août 2013 sanctionnant durement la pédopornographie est tombée à un moment où elle se diffusait via le web à une vitesse préoccupante.
La législation commence à devenir liberticide avec la loi Gayssot
Dans les trois cas, les résultats sont contrastés. La loi Gayssot a ouvert la voie à la vogue des lois mémorielles qui a culminé en 2001 avec la loi Taubira. Elle fait de la traite négrière occidentale – à l’exception de toutes les autres formes, notamment interafricaines, d’esclavagisme – un crime imprescriptible contre l’humanité. C’est sur ce fondement que le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) a assigné en justice en 2015 le baron Ernest-Antoine Seillière, au motif que sa famille s’était enrichie grâce à l’esclavage, il y a deux siècles. La loi Labbé, quant à elle, expose depuis début 2019 à six mois d’emprisonnement et à 150 000 d’amende un particulier qui aurait, non pas utilisé, mais oublié un vieux bidon de Roundup dans son garage. Le Code pénal réformé de 2013, enfin, instaure un véritable délit de fantasme : il prévoit une peine d’emprisonnement de cinq ans et une amende de 75 000 euros pour le fait de dessiner un mineur dans une pose pornographique, même si le dessin n’a pas été diffusé, même si c’est une esquisse !
Ces lois, comme bien d’autres, sont fort mal appliquées (voir notre entretien à paraitre demain sur Causeur.fr avec Yves Charpenel, magistrat honoraire). La plainte du CRAN n’a eu aucune suite. Les gendarmes ne perquisitionnent pas les cabanes de jardin. Des mangas mettant en scène d’improbables écolières japonaises ligotées comme des Jésus de Lyon sont en vente libre.
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Police de la pensée
Dans son avis du 4 juin 2016, la Commission nationale consultative des droits de l’homme rappe-lait « l’importance d’une politique pénale et de sécurité pensée, cohérente, stable et lisible, dont la qualité ne se mesure pas à son degré de réactivité aux faits divers ou aux circonstances du moment ». Six mois plus tard, en décembre, les députés adoptaient une proposition de loi créant un délit d’entrave numérique à l’IVG. Elle ciblait les sites en ligne pro-vie. Certains de ces sites délirent. Avortementivg.com soutient que les fœtus sont utilisés pour faire des cosmétiques ! D’autres diffusent des vidéos d’avortement difficilement soutenables, dans le but évident de culpabiliser les femmes. Il n’empêche que les interdire relève, techniquement parlant, de la police de la pensée. Pour un résultat nul, de surcroît. Deux ans et demi plus tard, les sites existent toujours.
Retour de manivelle
Sous ce qu’ils pensent être la pression populaire, les élus et l’exécutif pénalisent à tour de bras, alors qu’ils sont déjà exposés au retour de manivelle (voir entretien avec Jean-Philippe Duhamel, avocat de Martine Aubry dans l’affaire de l’amiante). Un décret anticagoule pris en 2009 avait suscité des protestations des défenseurs des libertés publiques. Les dispositions anticasseurs votées le 30 janvier 2019 vont plus loin, créant un délit de dissimulation du visage dans les manifestations puni d’un an d’emprisonnement et 15 000 d’amende ! Une disposition réclamée par les syndicats de policiers, mais probablement peu utile. Dissimuler son visage était déjà dans le Code pénal une circonstance aggravante en cas de violence. Moins spectaculaire, mais beaucoup plus grave, les parlementaires ont aussi voté fin janvier 2019 une interdiction administrative de manifester. Elle a été censurée dès avril par le Conseil constitutionnel, qui y a vu une atteinte disproportionnée « au droit d’expression collective des idées et des opinions ». « On se croit revenu sous le régime de Vichy ! » s’était exclamé le député centriste Charles de Courson pendant les débats. « Vous êtes présumés être résistants donc on vous fait “entauler” par l’autorité administrative. Mais où sommes-nous ? Réveillez-vous mes chers collègues ! Parce que le jour où vous aurez un gouvernement différent, vous verrez ! » Son intervention a suscité des protestations, mais aucun quolibet. Charles de Courson est le petit-fils de Léonel de Moustier, un des 80 parle-mentaires à avoir refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain, arrêté par la Gestapo en 1943, mort en détention.
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Le Défenseur des droits est favorable à la sanction des punitions infligées aux enfants
À brève échéance, ce n’est pas le goulag qui menace, mais l’ensablement de la frontière séparant le licite de l’illicite. Depuis la loi Abeille du 9 février 2015, le wifi est interdit dans les crèches. Les décrets d’application n’ayant jamais paru, la disposition n’est pas appliquée. Idem pour la loi de 2015 interdisant de fumer en voiture quand s’y trouve un mineur (750 euros d’amende), qui ne semble pas servir souvent. Dans ce registre, les parents s’autodisciplinent. Mais la régulation au rythme incertain et humain des mœurs suffit-elle encore quand des élus ou des lobbys groupusculaires prônent la rééducation des délinquants ?
Le dossier des punitions infligées aux enfants suggère que non. Ces punitions étaient rebaptisées « violences éducatives ordinaires » dans une proposition de loi examinée en novembre 2018. Le défenseur des droits est favorable à leur sanction par le droit. Les juristes considèrent que le Code pénal contient suffisamment de dispositions permettant de sanctionner des violences physiques sur enfant. La loi Égalité et citoyenneté de 2017, en particulier, a déjà interdit « tout recours aux violences corporelles ». Sur ce point, elle va déjà plus loin que la moyenne des familles. Pour certaines associations de droit de l’enfant, ce n’est pas assez. Les « violences éducatives ordinaires », qu’elles entendent bannir, englobent les violences psychologiques. Que ces dernières puissent être aussi dévastatrices que des claques ne fait guère de doute, mais elles prennent par-fois des formes si insidieuses que les poursuites sont chimériques. Les associations et les parlementaires qui les écoutent n’ont pas la naïveté de croire le contraire. Ils entendent en réalité en-voyer un signal, en faisant des mœurs le produit des lois. Au risque de dévaluer les lois, sans changer les mœurs.
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