Chaque mois sur RNR.TV, Alain Finkielkraut commente l’actualité face à Elisabeth Lévy. Un rythme qui permet, dit-il, de « s’arracher au magma ou flux des humeurs ». Vous retrouverez ses réflexions dans chaque édition mensuelle de Causeur.
L’oubli de la nature
Le 6 mai 2019, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique de la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a lancé l’alerte : sur les huit millions d’espèces animales et végétales existantes, un million risquent de disparaître à brève échéance de la surface de la Terre ou du fond des eaux. Et cette mort annoncée n’aura rien de naturel. Elle sera due à l’urbanisation forcenée, à la pêche intensive et à la surexploitation des terres agricoles.
Le projet moderne consistait, depuis Descartes et Francis Bacon, à se rendre maître et possesseur de la nature pour améliorer le sort de l’humanité. Comme l’a montré Leo Strauss, « la philosophie ou science ne devait plus être entendue comme essentiellement contemplative et orgueilleuse, mais comme active et charitable ». Scientia propter potentiam, disait-on, mais la puissance n’était pas à elle-même son propre but. Elle devait rendre possible une prospérité toujours plus grande. Cette entreprise a quelque chose de grandiose et elle mérite amplement l’éloge qu’en fait un personnage de Middlemarch, le chef-d’œuvre romanesque de George Eliot : « Caleb Garth hochait souvent la tête en méditant sur la valeur, sur l’irremplaçable puissance de ce labeur aux myriades de têtes et de mains grâce auquel le corps social se trouve nourri, vêtu et logé. Cette force s’était emparée de son imagination dès l’enfance. Les échos du gigantesque marteau fabriquant un toit de maison, une quille de navire, les signaux que se lancent des ouvriers, le ronflement des fourneaux, le bruissement tonitruant des machines formaient à ses oreilles une musique sublime ; l’abattage et le chargement
