Errol Flynn fut un acteur au charme redoutable et à la vie hautement rocambolesque. Il affirmait avec malice prendre son whisky vieux et ses femmes jeunes…
Ava Gardner, qui avait rendu dingues les beaux mâles d’Hollywood, avait dit, à propos d’Errol Flynn : « Regardez Errol. Regardez-le donc. Quand j’étais jeune, il était le type le plus beau que j’ai jamais vu. »
On se souvient encore – un peu – de ses principaux films, Les aventures de Robin des Bois, La charge de la brigade légère, Capitaine Blood… Sa silhouette en imposait, 1m88, ses yeux clairs irradiaient un truc à la fois sensuel et mélancolique. Son sourire, rehaussé d’une fine moustache de séducteur jamais rassasié, charmait sans relâche. Je le revois dans La charge fantastique, de Raoul Walsh, sorti en 1941. Il interprète le général Custer, tué le 25 juin 1876, par des guerriers sioux. Custer et ses 285 hommes, du détachement du fameux 7ème de cavalerie, sont tous massacrés à Little Bighorn, dans le Montana. Errol Flynn est magique avec ses deux colts, visant juste, finissant avec son sabre à la main, avant d’avoir le corps transpercé de flèches.
Inoubliable, en noir et blanc.
Errol Flynn est né le 20 juin 1909, à Hobart, en Tasmanie. Il était donc australien et pas irlandais comme l’avait exigé les studios Warner. Il est mort d’une crise cardiaque, épuisé par la malaria, l’alcool et les excès de la nuit, le 14 octobre 1959, à Vancouver, au Canada. Découvrir le monde au seuil de l’été et mourir en automne, ça confère à la vie le seul sens qu’il convient : tragique. Il se maria le 5 mai 1935 avec Lili Damita, une actrice française surnommée Lili la Tigresse, qui lui donna un fils, Sean, acteur à son tour mais porté disparu au Cambodge en 1970 où il était correspondant de guerre. Errol Flynn se remaria avec l’actrice Nora Eddington avec laquelle il eut deux filles. Puis avec Patrice Wymore, également actrice, avec laquelle il eut encore une fille. On prétend qu’il coucha également avec des hommes, surtout à la fin de sa vie. L’écrivain Truman Capote figure sur la liste. Il était peut-être lassé de toutes ces actrices plus déjantées les unes que les autres. Quoique, Truman n’était pas mal non plus dans le genre névrosé alcoolique.
Malaria, alcool et excès de la nuit
Theodore Thomas Flynn, son père, était un biologiste et anthropologue connu, tandis que Marielle Young était la fille d’un marin sur le fameux Bounty. Indomptable, Errol fugua à sept ans. Depuis cet acte fondateur, il ne songea plus qu’à mettre les voiles. Sa grande passion fut la mer. Définitivement renvoyé de l’école à dix-sept ans, le bon âge pour éviter le lavage de cerveau, et pendant que son père révolutionnait le monde des savants en découvrant le premier fossile de baleine préhistorique, le jeune sémillant Errol partit en Nouvelle-Guinée et s’improvisa chercheur d’or. Il devint agent du gouvernement pour améliorer les conditions sanitaires des indigènes. Il ne put s’empêcher de séduire la femme de son supérieur. Surpris au bord d’une rivière avec l’épouse volage, il fut obligé de quitter son poste. L’aventure commençait vraiment.
Errol devient « marchand d’esclave », trafiquant de diamants, contracte la malaria, tombe dans une embuscade, fait feu, tue un indigène pour se défendre, est accusé de meurtre, est mis en taule, assure lui-même sa défense, sauve sa peau, et rebondit en montant une plantation de tabac. Le soir, il lit les classiques de la littérature mondiale que lui envoie son père. Une existence romanesque. Et ce n’est que le début. À vingt-six ans, Errol débarque à Hollywood, rencontre Jack Warner qui a l’idée de créer un couple d’inconnus au cinéma pour ses futures grosses productions. Warner réunit Olivia de Havilland et Errol dans Capitaine Blood. Le succès est au rendez-vous. Olivia a un coup de foudre pour le bel Errol, et réciproquement, mais pas au même moment. De quoi alimenter une belle embrouille. Peu importe, Flynn est désormais une star. Mais la malaria ne le quitte pas. Ni l’alcool. Le cinéma l’ennuie de plus en plus. Il faut attendre des heures avant de tourner. Ses partenaires féminines le trouvent beau mais pas pro. Lui, il ne rêve que de voguer sur les océans avec son voilier, le Zaca. Un jour, Errol arrive à Saint-Tropez avec son équipage composé d’hommes de couleur. À son bras, Nora Eddington, sa deuxième épouse, quinze ans de moins que lui. Personne sur le port ne le reconnaît. Il est enfin peinard. Il peut boire, faire la fête, contempler le soleil qui allume le feu au golfe sans qu’on lui demande un autographe.
Une existence romanesque
Lui qui aimait dire, le regard malicieux, qu’il prenait son whisky vieux et ses femmes jeunes, est rattrapé par un scandale fin 1942. Deux apprenties actrices, Betty Hansen et Peggy Satterlee, âgées de dix-sept ans, portent plainte contre la star pour relations sexuelles, délit que le code pénal américain qualifie à l’époque de viol. L’affaire est grave. Flynn le comprend immédiatement et engage un ténor du barreau, Jerry Geisler. Le procès dure plusieurs semaines et fait les gros titres des journaux – avant les combats de la Seconde Guerre mondiale. Geisler se bat avec acharnement, démontant les témoignages des deux jeunes filles, dont l’une est en réalité majeure. Flynn obtient un non-lieu. Peggy Satterlee, dégoûtée, lâche aux journalistes : « Je savais que les femmes du jury l’acquitteraient. Elles étaient juste là à le regarder, en adoration, comme s’il était leur fils ou quelque chose du genre. » Errol se dit qu’il aurait mieux fait de rester sur le port de Saint-Tropez, car le mal est fait. La mauvaise réputation lui colle au caleçon. C’est la traversée du désert. Son cœur commence à donner des signes de fatigue. Il oublie son texte. Il picole sec, se drogue, se couche quand le soleil se lève. Pourtant il tourne d’excellents films, comme Les racines du ciel, de John Huston, sorti un an avant sa mort, où Juliette Gréco le dévore du regard. Il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de Romain Gary. La littérature vient faire un clin d’œil à celui qui aurait voulu être écrivain et qui finit en « symbole phallique universel » selon sa propre expression. Avec l’aide d’un « nègre », Il rédige ses mémoires, que l’on dit arrangés, comme le rhum dont il raffolait. Dans My Wicked, Wicked Ways, il écrit : « Ce que j’aimerais être à soixante-dix ans ? J’espère de tout cœur que j’aurai encore eu huit épouses. » Incorrigible Errol.
Vivre des émotions fortes, tutoyer Fidel Castro
Les Éditions du Sonneur ont la bonne idée d’éditer deux textes d’Errol Flynn, Moi et Castro et Ce qui m’est arrivé en Espagne, où il se fait correspond de guerre, sur fond de révolution cubaine et de Guerre civile espagnole. On y découvre un homme courageux et plein d’humour, qui veut vivre des émotions fortes que ne lui procurent pas les studios d’Hollywood. Il frôle la mort dans les rues de Madrid en ruine, sous les tirs de mitraillettes et d’obus, en compagnie de son copain, le docteur Erben, rencontré en Nouvelle-Guinée, et probablement espion au service des nazis. Errol Flynn note dans un style sec, lucide : « Il était déroutant et même ahurissant de prendre conscience que des êtres humains tentaient de se tuer alors qu’ils ne s’étaient jamais vus et ne nourrissaient aucun différend personnel. » Il ajoute, loin du lyrisme d’un Malraux : « Ils s’assassinaient à l’aveuglette ; sur ordre, au nom de causes qu’ils comprenaient à peine, pour autant que l’on puisse comprendre ce genre de choses. » Tout cela ne signifie rien, en effet.
En 1959, Errol se rend à Cuba, il rencontre Castro et ses partisans. Il roule sur les routes défoncées en sa compagnie, il est blessé à la jambe par un éclat d’obus de mortier à central Palma, il assiste aux combats dans les rues de Santiago, écrivant : « Je me couchais dans un caniveau et noircis de notes mon carnet de reportage. Mon ventre trempait dans l’eau de façon peu confortable. » Errol, entre deux combats, apprend l’art oratoire à Castro qui lui demande de l’appeler Fidel et de le tutoyer.
J’aime définitivement Errol Flynn. Pour son allure, sa désinvolture – il se fraye un chemin parmi les révolutionnaires cubains en signant des autographes – son extravagance, en un mot sa liberté. À son propos, il avoue : « Depuis l’enfance, j’ai toujours été attiré – sans doute par romantisme – par l’idée de cause, de croisade. Et c’est ainsi que derrière la façade du noceur impénitent se cache un jeune homme qui n’a pas perdu foi dans la vie. Je suis toujours ravi de voir les sans-grades, les anonymes du monde entier se révolter, je suis avec eux, je suis l’un d’eux. »
Ah, j’allais oublier. Errol a publié un roman, L’Épreuve de vérité. Les preuves de vérité, à chercher dans un roman, et pas ailleurs. Farceur Flynn !
Errol Flynn, Moi et Castro suivi de Ce qui m’est arrivé en Espagne, Éditions du Sonneur.
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