Si la classe politique campe sur ses positions, Emmanuel Macron court vers sa réélection. Un duel LREM/RN semble à beaucoup déjà inéluctable. Pour l’éviter, les partis politiques de droite ou de gauche doivent proposer un projet crédible et ne pas laisser à Macron le plaisir de « faire barrage ». Les Français ne sont pas des castors.
Sans doute est-il prématuré de tirer du scrutin de dimanche soir des conclusions fermes. Sans doute faudra-t-il un peu de temps pour confirmer le mouvement d’une partie de l’électorat macroniste vers EELV, et d’une part sensiblement égale de l’électorat traditionnel LR vers LREM, puis l’analyser.
Ceci étant, je ne crois pas me tromper en affirmant que ces élections européennes ont été un franc succès pour Emmanuel Macron.
Cohn-Bendit avait raison
Paradoxe ? Le président s’était fixé pour objectif de battre le Rassemblement national (RN), il a échoué. Sa majorité prétend « entendre le message écologique », mais a déjà affirmé qu’elle ne changera pas de cap. J’affirme que c’est pourtant sa victoire. Mais l’essentiel n’est pas là. Sous le ridicule apparent, Daniel Cohn-Bendit avait raison : François Mitterrand fut le premier « marcheur », en s’ingéniant à utiliser le FN de l’époque pour saboter la droite.
La percée d’EELV n’attire autant l’attention que parce qu’elle est inattendue, alors qu’au fond elle est dans la droite ligne des précédents scrutins européens. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit inintéressante ni absurde, au contraire. Si elle témoigne d’une véritable volonté de prendre à bras le corps les enjeux écologiques elle est même une excellente nouvelle, à condition toutefois de choisir une écologie lucide et pragmatique.
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Il faudra donc se souvenir que les Verts allemands, en luttant contre le nucléaire, ont favorisé les centrales à charbon, la pire décision possible au regard des évolutions climatiques. Il faudra aussi accepter que la surnatalité est le principal problème écologique de notre époque, et que cette bombe démographique, notamment africaine, ne pourra être désamorcée qu’au prix de mesures fort peu politiquement correctes.
Macron, le pari risqué de Marine Le Pen
Emmanuel Macron fera probablement quelques concessions aux écologistes. Je serais heureux de me tromper, mais il est probable qu’elles toucheront très peu les classes urbaines aisées, fortement les classes moyennes provinciales, et n’apporteront à peu près rien à la biodiversité ni au climat.
Reste l’essentiel : la confirmation aux yeux de tous de l’inéluctabilité du duel LREM/RN, face à face rêvé pour celui qui sera président sortant en 2022 et dont le seul projet crédible est de « faire barrage ». Position incohérente et pari risqué.
Position incohérente d’abord. Si le chef de l’État et de la majorité parlementaire estime qu’un parti politique est un danger pour les fondements de la République, il a le devoir d’œuvrer à l’interdire et à le dissoudre – comme il devrait le faire avec certains groupuscules d’extrême gauche, les mouvements racialistes, les émanations françaises des Frères musulmans… Mais s’il ne fait rien dans ce sens, c’est qu’il l’accepte comme une composante légitime de la pluralité républicaine, et dans ce cas il est outrancier d’adopter comme il le fait une posture de condamnation morale plutôt que d’argumentation.
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Pari risqué ensuite. Quels que soient les calculs des uns et des autres, nul aujourd’hui ne peut prétendre savoir qui sera notre prochain président. Nous sommes à trois ans du scrutin, et il peut se passer bien des choses. En 2009, qui aurait parié que nous élirions finalement François Hollande ? En 2014, qui aurait cru qu’Emmanuel Macron lui succéderait ? Et en 2019…
Mais l’incertitude n’interdit pas la réflexion. A ce titre, je trouve particulièrement intéressantes les analyses de Gilles Clavreul et Natacha Polony.
Les résultats des #ElectionsEuropeennes2019 trahissent la profondeur des fractures territoriales. C’est la grande leçon du scrutin, plus que les résultats nationaux. C’est rien moins que la cohésion nationale qui est en jeu. pic.twitter.com/C9R19ldCST
— Gilles CLAVREUL (@GillesClavreul) 26 mai 2019
Qu’on me permette d’y ajouter quelques remarques.
Parce que ce n’est pas leur projet
A l’origine, le « en même temps » d’Emmanuel Macron a pu susciter l’espoir de l’ouverture, de la capacité à prendre le meilleur de la gauche et de la droite, du dépassement de vieux clivages inadaptés aux défis contemporains. Le désenchantement fut à la hauteur de cette espérance, et pendant des semaines il a porté un gilet jaune. Entre les concessions aux communautarismes et le mépris de « ceux qui ne sont rien », ce sont l’universalisme républicain et le respect qu’une démocratie doit à tous ses citoyens qui ont été bafoués.
Renouer avec la démocratie et la République supposera donc deux clarifications. À gauche, refuser fermement le communautarisme et le relativisme, quels que soient les grands principes dévoyés dans lesquels ils essayent de se draper. À droite, accepter que la défense des valeurs constitutives de l’Occident impose l’exemplarité des responsables politiques mais aussi économiques, le respect des laissés-pour-compte et leur écoute, et la condamnation de toute forme de racisme véritable – y compris le racisme anti-Blancs déguisé en anti-racisme, mais pas seulement.
De tous les côtés de l’échiquier politique, il faudra garder à l’esprit que notre civilisation repose pour l’essentiel sur trois piliers : le monde hellénistique, la chrétienté (y compris ses sources juives et ses influences celtes et germaniques), les Lumières. Nul n’est tenu de tous les aimer, mais de tous les respecter et les préserver : que l’on néglige n’importe lequel des trois, et tout s’effondre.
Je n’oublie pas l’écologie : ensemble, l’admiration rationnelle des Anciens pour les équilibres du Cosmos, le magnifique Cantique de Frère Soleil, et le profond romantisme de l’Aufklärung peuvent aboutir à beaucoup mieux qu’à la fin des cotons-tiges et à des grèves de lycéens.
Où vous voyez-vous dans trois ans ?
Au final, quatre partis ou courants politiques ont aujourd’hui une responsabilité toute particulière, et j’ose le croire, la capacité de se montrer à la hauteur des enjeux. Ils le doivent à leurs électeurs et sympathisants, mais aussi et surtout à la France. De grands mots ? Non, un constat.
À EELV il incombe de faire de l’écologie intellectuellement rigoureuse, mais surtout pas du gauchisme peint en vert : notre espèce aspire à la liberté, à la dignité et à la vérité, pas seulement à la survie.
À la gauche républicaine et humaniste, du Printemps républicain à Michel Onfray en passant par la presque inclassable Natacha Polony, il incombe de ne rien céder mais d’oser, parfois, tendre la main à la droite.
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À LR, malgré un échec aussi inattendu que cuisant, il incombe avec les remises en cause nécessaires de ne pas succomber à la tentation de se « macroniser », et de prouver dans la défaite que les convictions portées étaient sincères : c’est la seule manière d’être crédibles, et peut-être à terme de convaincre.
Au RN enfin, vainqueur du scrutin, il incombe de voir et de dire clairement que l’origine ethnique est distincte de l’adhésion aux fondamentaux d’une civilisation, et que c’est la seconde qui importe vraiment. Ne pas le faire serait sombrer dans les griffes de ses vieux démons, et se condamner au mieux à une position d’éternel second et de sinistre faire-valoir, trahissant ainsi un électorat de moins en moins protestataire et de plus en plus convaincu – et qui, en majorité, n’a rien de la caricature raciste et imbécile que certains en font.
À tous les quatre, il incombe de réfléchir, de débattre, de s’engager, d’agir. À chacun de nous aussi, quelles que soient nos convictions.
Il reste trois ans. Et tous les siècles à venir.
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