En inventant de toutes pièces une attaque de black blocs contre l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière en marge du 1er mai, le ministre de l’Intérieur révèle la supercherie de la loi anti-fake news. Faut-il y voir l’énième dérive d’un régime qui voudrait des médias aux ordres ?
Ce qui vient de se produire à l’occasion des manifestations parisiennes du 1er mai avec le mensonge sur l’attaque de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière est quelque chose d’assez extraordinaire.
Une sacrée leçon politique
Extraordinaire d’avoir vu un pouvoir d’État dévoyé un niveau rarement atteint sous la République. Extraordinaire le spectacle d’une presse nationale aux ordres de ce pouvoir. Extraordinaire cette mobilisation d’une classe intellectuelle et médiatique se lançant dans la surenchère pour applaudir un mensonge d’État dont l’évidence aurait pu sauter aux yeux en usant d’un minimum d’esprit critique.
Mais finalement, quelle leçon politique nous a fourni le déroulement de la journée du 2 mai et quel révélateur de la crise qui secoue la société française !
Chacun sait maintenant ce qui s’est passé dans l’après-midi du 1er mai sur le boulevard de l’Hôpital et dans l’enceinte de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière. Le cortège de la manifestation a été scindé en trois par les forces de police, chaque partie faisant l’objet de charges et d’intervention de canon à eau. Cette stratégie volontairement dangereuse enferme les manifestants dans des nasses dont ils ont cherché à s’échapper de peur d’éventuelles violences policières.
C’est ce qui s’est produit avec l’intrusion de groupes pacifiques quelques instants auparavant, dans un parking dépendant de l’hôpital. Les gens, espérant que les policiers se contenteraient de disperser la manifestation sur le boulevard, ont vu avec effroi les policiers entrer dans le parking et y lancer leurs charges alors qu’il n’y avait aucun incident. Éparpillement des manifestants dans l’enceinte de l’établissement qui est une véritable ville avec ses bâtiments et ses rues. Les policiers ont poursuivi leur stratégie folle de chasse à l’homme dans cet entrelacs, provoquant naturellement la panique.
Zéro black bloc
Un groupe ne comprenant aucun black bloc ni casseur s’est alors réfugié sur une passerelle, et pour se mettre à l’abri, a tenté de rentrer dans les locaux de ce qui s’est révélé être le service de réanimation de l’hôpital. Avec le professionnalisme et le sang-froid qui caractérise le personnel soignant en général et celui des services de réanimation en particulier, ceux qui étaient de service en ce 1er mai se sont opposés calmement à l’intrusion. Et au fur et à mesure, les choses se sont calmées. Pour mesurer la réalité de cette présentation, l’idéal est de voir les vidéos des événements et d’écouter le témoignage du personnel soignant impliqué. Cette réalité a été travestie par le ministre de l’Intérieur, complètement déshonoré pour l’occasion. Il n’y a pas, en présence, deux versions de ce qui s’est passé comme le prétendent ceux qui se sont imprudemment engagés, quitte à multiplier les contorsions. Il n’y en a qu’une. Celle de la vérité factuelle.
C’est la première leçon. Pour le service de ses petits intérêts politiciens, en période électorale, celui qui a la responsabilité de l’ordre public n’a pas hésité à profiter des excès des forces de l’ordre sous ses ordres et a proféré une série de contrevérités ahurissantes pour disqualifier ceux qui exercent leur droit constitutionnel de manifestation. Après les avoir traités de lépreux, de fainéants, d’illettrés, de foule haineuse, d’antisémites, de factieux, on les qualifie de monstres assoiffés de sang qui s’attaquent au sanctuaire absolu qu’est le service de réanimation d’un hôpital. Chacun sait que Christophe Castaner n’aurait jamais dû être nommé à ce poste, cette dernière initiative n’en est qu’une nouvelle est atterrante illustration.
Quand Libé sauve l’honneur de la presse
La seconde leçon concerne toute la cohorte de ceux qui se sont précipités pour soutenir l’insoutenable. Le caractère invraisemblable de la présentation et des accusations sautait pourtant aux yeux. Malgré cela, précipitation et abdication de tout esprit critique et symptômes de l’allégeance au pouvoir dominant ont conduit l’essentiel des médias, à l’exception heureuse de Libération, à emprunter la voie du déshonneur professionnel. Accompagnés par une collection de personnalités lancées dans une surenchère assez obscène, bombardant Twitter et autres réseaux de messages de courroux solennel condamnant les atrocités. On ne va pas dresser la liste de ceux qui qui voient revenir maintenant les boomerangs, occupés à des contorsions risibles pour se justifier et à essayer d’effacer les messages qui seraient passés au travers des captures d’écran. Citons simplement Martin Hirsch directeur de L’APHP qui n’a pas hésité à évoquer la possibilité d’une volonté meurtrière contre les malades dans « l’attaque » du service de réanimation. Et ce conseiller à l’Élysée auteur d’un statut Facebook vengeur vilipendant les terroristes jaunes et noirs, curieusement disparu dans l’après-midi. Et peut-être aussi Raphaël Enthoven, doublement imprudent, d’abord par le relais empressé du mensonge castanérien, puis par un engagement aventureux à manger son chapeau s’il s’avérait qu’il avait tort. Il va falloir s’exécuter Monsieur Enthoven, votre dignité est à ce prix, et sachez que le panache est le seul moyen de réussir ses échecs. On réservera un ban pour Éric Naulleau qui n’a dit que des bêtises et a ensuite tout laissé.
Les réseaux étant pleins de ces vidéos, captures d’écran, explications gênées, voir les uns et les autres patauger dans l’embarras et la confusion, voire un cynisme tranquille, est une vraie gourmandise. Et que dire du spectacle de la caricature de la crise générée par Emmanuel Macron : France d’en haut contre France d’en bas.
Répression partout, justice nulle part
C’est justement là que se loge la troisième leçon. Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron a accentué les atteintes aux libertés publiques. Comme seule réponse à la crise politique qu’il a provoquée, il a ensuite instrumentalisé la police à des fins de répression violente dont la brutalité et les illégalités se multiplient sous le regard des caméras dont tous les citoyens disposent aujourd’hui si bien qu’on retrouve des vidéos effarantes à foison sur les réseaux. Sous le regard stupéfait de la presse et des institutions internationales, on y voit dans toute la France les membres forces de l’ordre se comporter trop souvent comme des nervis.
Emmanuel Macron, bénéficiant d’une complaisance désolante de la magistrature, a instrumentalisé la justice et mis en place une répression judiciaire d’une brutalité inconnue depuis la guerre d’Algérie. Il ne faut pas se tromper, la panique des manifestants sur la passerelle devant le service de réanimation de la Salpêtrière a pour origine cette peur justifiée de la violence policière et de la brutalité judiciaire qui multiplie gardes à vue illégales et peines de prison délirantes.
Enfin, Emmanuel Macron a instrumentalisé une Assemblée nationale croupion, composée de parlementaires godillots qui acceptent sans broncher de voter des textes gravement liberticides, sans que le Conseil constitutionnel d’Alain Juppé n’y voie d’inconvénient.
Monopole de la vérité
Et c’est ainsi que nous avons eu la fameuse loi anti-fake news. L’adoption de cette loi a été préparée par une campagne de propagande rythmée par des sondages biaisés, la diabolisation systématique des réseaux, la dénonciation de la haine que ceux-ci véhiculeraient. Elle a donné au pouvoir des outils juridiques pour s’arroger une forme de monopole de la vérité. Rappelons que ce texte répressif permet de porter des coups à la liberté d’expression dans des proportions plus qu’alarmantes. Compétence a été donnée au juge des référés statuant sous 48 heures de dire ce qu’est la vérité objective, avec le pouvoir d’interdire tout autre récit et de lourdement sanctionner hébergeurs et plates-formes. Le ministre du numérique nous a annoncé une nouvelle loi réprimant la liberté d’expression pour soi-disant : « lutter contre la haine sur les réseaux ». La cible évidente est Internet, avec comme objectif de faire taire toute parole n’émanant pas du pouvoir et de ceux qui le soutiennent – la plus grande partie de la presse entre les mains des grands intérêts financiers. Étonnante situation qui amène les principaux producteurs de fake news, c’est-à-dire les pouvoirs d’État, à renverser l’accusation pour porter atteinte à la liberté d’expression. Karl Rove qui fut le conseiller de George Bush au moment du déferlement des mensonges d’État pour justifier la guerre d’agression contre l’Irak a théorisé cette stratégie. « Les journalistes se réfèrent à la réalité et croient que des solutions émergent de l’étude d’une réalité discernable.[…] Mais ce n’est plus la façon dont fonctionne le monde […] Maintenant, nous sommes un empire, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. »
Christophe Castaner et ses relais ont eux aussi voulu créer leur propre réalité. Or, il vient de se produire un événement de portée considérable où Internet et les réseaux ont permis de mettre à bas ce qui n’était rien d’autre qu’une fake news d’État et de restaurer la vérité à la face de tous. Le ministre de l’Intérieur a officiellement proféré un mensonge visant à disqualifier ceux qui s’opposent au pouvoir qu’il incarne, mensonge relayé par une presse complaisante et connivente. Ce sont les informations irréfutables et partagées circulant sur les réseaux sociaux qui ont obligé les menteurs à faire piteusement machine arrière. La réalité et la vérité ont été rétablies grâce aux citoyens qui ont pris les vidéos, les ont publiés, ont témoigné grâce au média qu’est Internet.
Qui est complotiste ?
Le matin du 2 mai, les Français écoutant Christophe Castaner, ouvrant leur journal, allumant leur télévision et leur radio apprenaient qu’une bande de black blocs avait pris d’assaut le service de réanimation d’un grand hôpital afin d’y commettre des violences et de mettre en danger la vie des patients. 12 heures plus tard, sous les coups de la prise de parole des citoyens mobilisés, le mensonge s’effondrait. Le pouvoir et ses épigones étaient contraints de reculer en désordre. On sait maintenant qui est producteur de fake news, qui ment, qui est complotiste, et qui est violent.
Et on sait aussi pourquoi ces gens-là qui ont peur de la vérité, veulent verrouiller les outils de notre liberté d’expression.
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