Paris au mois d’août, le film de Pierre Granier-Deferre avec Charles Azanvour sort enfin en DVD .
Nous l’attendions depuis si longtemps. Notre arlésienne sépia d’avant les travaux d’excavation, d’avant les défigurations successives. En ce milieu des années 60, les édiles municipaux n’avaient pas succombé au grand remplacement architectural. Le factice et la laideur n’avaient pas leurs entrées dans les ministères. La vieille cité luttait avec ses armes fragiles, telle une beauté de pierre qui refuse de se farder le jour de la noce forcée. Même la tractopelle et le béton ne concurrençaient pas la faucille et le marteau dans les convictions politiques des ouvriers. Les Halles tenaient debout. La Samaritaine et la Belle Jardinière se regardaient en chiens de faïence. Les trottinettes, ces déjections alcalines, ne jonchaient pas les trottoirs de la capitale. La vulgarité des panneaux publicitaires ne souillait pas la vue des habitants.
Une douceur de vivre au goût amer
Plusieurs fois, j’ai sollicité Pathé jusqu’au harcèlement pour que ce film ressorte. C’était une question de mémoire affective et d’intérêt patrimonial majeur, comment Paris au mois d’août réalisé par Pierre Granier-Deferre en 1966 avec Charles Aznavour et Susan Hampshire dans les rôles principaux pouvait rester enfermé dans les bobines de l’histoire ? Certains anciens se souvenaient d’une lointaine et hypothétique diffusion à la télévision française, je ne croyais pas vraiment ces illuminés cathodiques. Des fétichistes s’échangeaient bien quelques VHS effilochées au prix du diamant à Anvers, derrière des zincs dépolis de banlieue. Le long-métrage faisait frissonner notre nostalgie à fleur de peau et ravivait notre désir d’humanité. Il agissait comme une musique déchirante et populaire, sortant d’un banal piano à bretelles. On pressentait inconsciemment que se nichaient dans ce film disparu, une douceur de vivre au goût amer et la vision d’un éden recouvert de pavés luisants. Un Paris enfoui, non trafiqué, insolent, protégé des démolisseurs, sous cloche dans sa nudité primitive.
Quand j’ai appris la nouvelle par François J., l’activiste « hussard », j’ai d’abord cru à une mauvaise blague. Le hussard catalan est potache, il aime jouer avec mes nerfs sensibles. Lorsqu’il s’agit de René Fallet et de la ville lumière drapée dans sa robe de bure, je perds la raison et mon sens de l’humour. Philibert H., l’amie d’Agathe Fallet et préfacier de Pierre Mérindol, m’a confirmé par téléphone que le DVD existait bien. Il était né le divin garnement. L’objet tant convoité après des années d’attente. Une version restaurée 2K et scan 4K avec le soutien du CNC dans un coffret comprenant un DVD et un Blu-Ray est à la vente depuis le 24 avril dernier. Fébrile, les mains moites, après un passage express à la FNAC la plus proche de mon domicile, le film tant désiré prenait place dans mon lecteur. Si vous êtes fâché avec Paris, ce que la ville est devenue, ce qu’elle véhicule de faux-semblants, ce retour aux sources est un enchantement. Les rues se vident en ce mois d’août 1966. Le chant des oiseaux remplace, peu à peu, le concert des klaxons. Le Pont-Neuf n’a jamais paru aussi juvénile. Les grilles du Luxembourg laissent filtrer la mélodie du bonheur.
Apéro, tiercé, belote
Cette escapade fugace dans le temps nous rappelle combien notre pays traçait sa route, indifférent aux modes et aux chantages. Jadis, on venait à Paris pour effleurer cette légèreté-là, s’imprégner de cet air si particulier, instable en diable, se laisser porter par les élans du cœur. Le roman de René Fallet raconte un amour d’été, entre Henri Plantin, vendeur au rayon pêche de la Samar et Patricia Seagrave, cover-girl anglaise, Pat pour les intimes. De ces emballements que l’on conserve pieusement durant toute une vie. Il n’y avait qu’à Paris que la morale se foutait des classes sociales et des convenances. Avant l’arrivée de Pat dans son existence mécanique, Henri jonglait entre l’apéro, le tiercé, la belote, la pêche à la ligne et sa petite famille unie. Seule l’ombre de la mère Pampine, cette concierge délatrice à l’ancienne, noircissait le tableau d’un ménage solide. Et puis, l’épouse et les enfants sont partis à Concarneau en vacances. Henri erre dans un Paris de cartes postales. Les Champs-Elysées sont déserts. Les Tuileries somnolent. Les Quais se dorent la pilule. Seuls les abords du tombeau de l’Empereur enregistrent un volume sonore comparable à la Place de la Concorde, un soir d’hiver, à la sortie des bureaux. Cet homme marié, en quête d’aucune aventure, tombe sur Pat. Comment résister à cette blondeur assassine qui lui demande : « J’ai perdu le Panthéon » avec un accent à vous fissurer l’âme. Paris et Pat sont deux mots qui vont très bien ensemble. Pat court, danse, boit du lait, descend une bouteille de Beaujolais, prépare le thé, veut se baigner dans la Seine, donne à manger aux pigeons, vole des fleurs, se déshabille ou prend un bain de soleil sur le toit.
Dans sa jupe courte dessinée par Louis Ferraud, elle est la promesse d’un été brûlant. Henri peut compter sur ses fidèles copains Gogaille (Michel de Ré) ou Civadusse (Daniel Ivernel) dans son opération de séduction. Il s’invente une autre vie pour briller à ses yeux. Il découvre, effaré et subjugué, que Pat n’est pas indifférente à cet anonyme dans la foule. Il se met à espérer et à gamberger. En août, on a tous les droits. « Il n’est pas trop tard pour avoir douze ans » comme le dit si bien Aznavour.
Paris au mois d’août, un film de Pierre Granier-Deferre d’après le roman de René Fallet – Coffret Pathé
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