Thomas Morales livre son recueil de chroniques annuel Tais-toi quand tu écris. Sur son podium défile, comme à l’accoutumée, de l’indémodable.
Chaque semaine, Thomas Morales nous poste sa petite lettre, affranchie à l’ancien franc, dans des boîtes moins jaunes que des syndicats, et moins voyantes qu’un gilet de sauvetage routier.
Punk pour le no futur, milord pour le travail de sape
A la fin de l’année dernière, l’éditeur Pierre-Guillaume de Roux a pris l’habitude de les réunir dans un volume que l’on peut mettre au pied du sapin au moment des vœux, au fond du jardin, quand vient l’heure des œufs.
L’avantage des chroniques de Thomas, c’est qu’elles résistent à toutes les basses saisons et n’ont donc aucune date limite de consommation.
Ce dernier recueil, Tais toi quand tu écris, est pourtant un peu plus millésimé que les précédents, couvrant la période de la dernière pestilentielle érection, et de sa campagne rase, rasante et harassante.
Élégant, enlevé, tranchant double, notre Morales toujours en berne, toujours punk pour le no futur et milord pour le travail de sape ! Côté pile : on endosse le Barbour ou la veste Renoma. Côté face: Never Mind the Bollocks version live en bande son.
Du temps où Paris était encore dans Paris
Nous voilà donc encore transportés en des temps plus légers, où le marteau-pilon ne faisait pas les trois huit. Paris était encore dans Paris, les demoiselles à Rochefort et les parapluies à Cherbourg, le Break Volvo et le tweed dans le garage et le dressing du paternel. Flics et voyous trinquaient même encore au pastaga dans des troquets du vieux Nice : un semblant d’ordre régnait, tout ne cramait pas, lon était en plein dans ce qu’on surnommerait plus tard les Trente Glorieuses.
Les fleuves jaunes laissent aujourd’hui un goût bien plus amer sur les langues. Mais Thomas considère qu’il ne sert à rien de gueuler comme un veau sauce de Gaulle. Il écrit sans trop élever le ton. La pente prise offre souvent des pourcentages hors catégorie niveau connerie, mais en maillot jaune ou à pois, notre Charly Gaul chronicoeur ne change ni son braquet ni son vieux fusil d’épaule. Sans trop de mots plus hauts que les autres, notre Tom Pouce (si pratique pour faire du stop) offre sa tranche de sédition à la hussarde et à la coule, tournant le dos à la start-up nation sans avenir et aux autostrades de la propagande continue.
Il voulait faire Bébel
Tout ce qui n’a pas été patiné par le temps, rodé sur toutes les nationales ou départementales de l’Hexagone, tout ce qui n’a pas pris la poussière sur une platine vinyle, été tourné au 16 millimètres ou réchauffé directement dans des vieux pots, l’indiffère. On lui envie de savoir mener une guerre aussi froide que sa colère de tout voir partir en couille dans le vieux pays.
Oncle Tom repasse toujours le même (micro) sillon dans les champs cotonneux du rêve, de la nostalgie et de la mélancolie. Celui-ci laisse des traces aussi profondes que la France entre Paris et Berry. Le refrain d’«Ouh, là, là Land» tourne en boucle. Et le disque craque un peu sous les diamants d’antan…
Cavaleur sans moustache à la Rochefort ou à la Marielle, et sans espoir de conquête, l’âge des Rastignacqueries étant passé, notre camarade, quand il s’épanche sur son passé, révèle parfois une anecdote éclairante. Ainsi nous confia-t-il un jour que lorsque l’on lui demandait, gamin ce qu’il souhaitait faire plus tard, ce n’était ni cosmonaute, ni pompier, ni flic, ni voyou mais un peu tout cela à la fois : Jean-Paul Belmondo ! Oui, Thomas voulait simplement faire « Bébel » quand il serait grand. Les ambitions enfantines ne sont jamais dénuées de noblesse.
L’avenir de nos souvenirs
Notre ami rejoue d’ailleurs au quotidien quelques scènes du Magnifique de son très cher Philippe de Broca. Laissant Bob Saint-Clar et ses cascades à une doublure, il peut camper un François Merlin fort crédible : comme celui-ci, Thomas aime le voyage en solitaire, en marginal, en la bouclant et en cognant comme un sourd sur le clavier de la Remington portative.
Et qui d’autre que lui pour reprendre à son compte – d’auteur – cet extrait de la lettre originale à France, d’un autre exilé, aux yeux sensibles, à oreille absolue et à pétoulet si ferme qu’il l’afficha un jour au nez et à la barbe de la France pompidolienne : « Mais qui peut dire l’avenir de nos souvenirs ? »
En pinçant autant pour la ligne claire de Chardonne que celle de Pascal Thomas ou Polnareff, Thomas Morales vit en chimérique…
Tais-toi quand tu écris, Thomas Morales (Pierre-Guillaume de Roux)
Tais-toi quand tu écris : Les tribulations d'un chroniqueur
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