Dans Rencontre du troisième type, Spielberg décrivait l’invention d’un code musical permettant d’établir un contact avec des extra-terrestres. Dans son nouveau film Cheval de Guerre, il est aussi question de rencontre entre l’homme et la bête, avec ce cheval qui traverse la Première guerre mondiale. Mais la différence, c’est que les murmures du jeune Albert à l’oreille du cheval sont formés dans une langue déjà connue : pour dresser la bête, il suffit de répéter plusieurs fois la même injonction, comme à un enfant. Joey – c’est le nom de la monture – semble comprendre les hommes. Comme s’il ne s’agissait plus pour Spielberg d’inventer une langue rendant à l’inconnu sa communicabilité, mais de domestiquer un sujet quelconque en utilisant des paroles que chacun peut comprendre du premier coup.
De là une évidente facilité du film. Si nous pouvons reconnaître à Spielberg d’avoir évité l’anthropomorphisme animalier, qui était le grand risque d’un tel projet, force est de constater que l’exceptionnel parcours de ce cheval reste toujours balisé par beaucoup d’automatismes du mélodrame. Cette simplicité est à la fois la qualité et la faiblesse de Cheval de Guerre.
D’un côté nous avons la force sauvage de l’animal transformée en pure ligne narrative : nous sont successivement présentés, à travers celui-ci, un adolescent fils de fermiers anglais, un officier de la cavalerie britannique, des soldats allemands et une famille française. Un peu comme la matière numérique de Tintin, le cheval de Spielberg est un vecteur de transition d’un chapitre à un autre, d’un camp à un autre, d’un univers à un autre.
Mais d’un autre côté, la liberté même de cette course semble étrangement bridée. Les personnages se ressemblent, le film s’allonge, le récit s’essouffle, et on se lasse peu à peu de ce sage parcours d’obstacles. Comment celui qui, il y a quelques mois encore sur nos écrans, faisait d’un film d’aventure l’occasion d’inventer de nouvelles formes en mouvement, comment ce Spielberg-là a pu faire atterrir son cheval sur une aussi morne plaine ?
Pour répondre à cette question, il faut à nouveau s’interroger sur la langue dans laquelle nous parle ce Cheval de guerre. On l’a assez fait remarquer : dans ce film tout le monde parle anglais. Avec un accent allemand peut-être, ou avec quelques notes de français, mais toujours en anglais. La donnée serait anecdotique si elle n’était pas explicitement soulignée dans une scène du film où notre cheval se retrouve coincé dans les barbelés d’un champ de bataille. Un soldat anglais et un autre allemand se rejoignent dans le no man’s land séparant leurs tranchées. Ils le libèrent, discutent naturellement en anglais – et le Britannique fait même remarquer à l’Allemand la qualité de son accent. Tout le problème du film tient dans cette courte scène célébrant un pacifisme biaisé, un universalisme à sens unique. Le fil narratif qui allie tant d’univers différents le fait toujours de la même manière, dans l’uniformité d’une langue qui s’épuise en fait à dire la même chose. Il ne s’agit pas là de débusquer un quelconque impérialisme anglo-saxon, mais de constater que Spielberg se contente cette fois-ci d’évacuer les problèmes au lieu de les regarder dans les yeux.
C’est pourtant précisément cette manière de détourner le regard qui fait les quelques belles scènes de Cheval de guerre. La mort, seule rescapée paradoxale du grand spectacle de la guerre, est tout ce qu’il y reste d’incommunicable : Spielberg semble s’obstiner à ne pas la montrer. Quand ce n’est pas l’exécution de déserteurs allemands qui est masquée par l’aile d’un moulin, c’est un raccord tragique qui fait disparaître les cavaliers britanniques de leur cheval, face aux canons allemands. Privé de ses yeux par le gaz moutarde, le personnage d’Albert retrouve finalement son cheval. Pudique ou reculant devant l’obstacle, Spielberg tient jusqu’au bout l’ambiguïté de son geste.
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