Accueil Édition Abonné Avril 2019 Législatives en Israël: et si Benyamin faisait chuter Netanyahou?

Législatives en Israël: et si Benyamin faisait chuter Netanyahou?

Grand favori, "Bibi" pourrait néanmoins trébucher à cause de soupçons de corruption


Législatives en Israël: et si Benyamin faisait chuter Netanyahou?
Affiche de campagne de Benyamin Netanyahou à Tel Aviv (Israël), mars 2019. ©Oded Balilty/AP/SIPA / AP22318752_000002

Le 9 avril, les élections législatives israéliennes mettront aux prises le Premier ministre sortant Benyamin Netanyahou, au pouvoir depuis dix ans, et une liste de généraux. Grand favori, « Bibi » pourrait néanmoins trébucher à cause de soupçons de corruption. Car l’homme d’Etat d’envergure cache un animal politique roué et un homme privé mesquin.


Le 9 avril, quelque 6,3 millions d’électeurs israéliens se rendront aux urnes pour participer aux élections législatives et départager les 43 partis qui se disputent leurs suffrages. Démocratie parlementaire unicamérale, Israël a adopté la proportionnelle intégrale – on vote pour une liste au niveau national. Ce mode de scrutin est souvent accusé de conférer un poids excessif aux appareils partisans qui décident qui sera sur la liste et en quelle place, même s’il est en partie corrigé par les primaires qui permettent aux électeurs de rectifier ces choix. En tout état de cause, l’élection du 9 avril se jouera d’abord sur une dimension personnelle – la rencontre d’un homme et d’un peuple.

Contrairement à une idée reçue, notamment dans une France hantée par la légende noire de la IVe république, la version israélienne de celle-ci arrive à allier représentativité, stabilité et gouvernabilité : en 71 ans, il y a eu 21 élections et 12 Premiers ministres, dont huit ont exercé le pouvoir plus de cinq ans.

Netanyahou, un animal politique

La preuve par Benyamin Netanyahou, Premier ministre depuis dix ans et bien placé pour se maintenir à la tête de l’exécutif : en ajoutant son premier mandat de Premier ministre (1996-1999), cet homme de 70 ans est resté plus de treize ans au pouvoir et a toutes les chances de battre le record – treize ans et cent vingt-sept jours – de David Ben Gourion.

Cette extraordinaire longévité, cette capacité à dominer la scène politique israélienne pendant si longtemps, il les doit d’abord à ses talents. Intelligent et cultivé, « bosseur » infatigable, il est en même temps un animal politique hors pair. Déterminé dans sa quête du pouvoir aussi bien que dans son exercice – deux étapes qu’il ne sépare pas –, il a toujours su instrumentaliser avec efficacité et sans états d’âme hommes, femmes, partis et institutions. Doué d’une sorte de machiavélisme, de charisme, de prestance et surtout d’un talent rhétorique (appuyé par une belle voix), il a non seulement pris le contrôle du Likoud, principale formation politique de la droite, mais il a méthodiquement éliminé en son sein tous ses rivaux potentiels.

Un Donald Trump volontaire

Tout ceci pourrait sans doute être dit d’un très grand nombre d’hommes et de femmes politiques, mais chez Netanyahou chaque trait de ce portrait est plus prononcé, chaque élément plus radical, faisant de l’ensemble un phénomène et un personnage hors du commun que certains comparent à Donald Trump. Avec sa rhétorique outrancière, son recours immodéré aux « fake news », sa guerre contre les médias et les élites et sa façon de les court-circuiter en utilisant les réseaux sociaux pour s’adresser directement au peuple, il a devancé (et peut-être même inspiré) le président des États-Unis. Il y a toutefois une différence de taille : Trump exprime sa nature profonde, Netanyahou met en œuvre une stratégie, le premier ne peut pas faire autrement, le second a froidement choisi cette façon de faire de la politique. Et, aussi déplaisants voire immoraux qu’ils puissent être, ces mêmes traits de caractère qui lui permettent de dominer la politique israélienne font de Netanyahou un homme d’État de grande envergure.

De son point de vue, un accord définitif avec les Palestiniens n’est pas possible. Il croit également pouvoir transformer la question palestinienne, aujourd’hui pierre angulaire de la géopolitique régionale, en nuisance gérable comme il y en a tant d’autres. Que l’on partage ou pas sa vision d’Israël, du Proche-Orient ou du monde, force est de reconnaître que Netanyahou a compris mieux et avant beaucoup d’autres les évolutions majeures du début du XXIe siècle, et les opportunités stratégiques qu’elles créaient. Il a donc misé sur une alliance avec la droite conservatrice et religieuse américaine, la libéralisation de l’économie israélienne et l’approfondissement des relations avec des gouvernements arabes qui n’ont pas signé d’accord officiel avec Israël. Ainsi a-t-il réussi à désigner l’Iran comme la source principale des tensions et d’instabilité, et à contourner la question palestinienne – deux exploits diplomatiques. Si on y ajoute une grande prudence dans le maniement de l’outil militaire – il ne fait pas beaucoup confiance aux généraux –, son bilan est plutôt bon. À condition, bien sûr, de partager son analyse de départ. Jusqu’ici, ses adversaires – jusque dans son propre camp – n’ont guère à lui reprocher que son machiavélisme glacial et sa vision du monde, sans pouvoir réellement entamer sa domination de la scène politique.

Benyamin aime la bonne chère

L’ennui, c’est qu’en plus de ces deux « Bibi » – l’homme politique et l’homme d’État –, il faut compter avec un troisième : l’homme privé.

Les histoires rapportant son attachement très particulier à l’argent – au sien surtout –, ainsi que le comportement excentrique de sa femme, circulent depuis le premier mandat de Netanyahou, il y a une vingtaine d’années. Des scandales relatifs à des déménagements, des travaux dans les résidences officielles et privées, les rapports avec le personnel ont régalé la presse. Mais, depuis deux ans, il s’agit d’affaires d’une tout autre envergure. La première s’inscrit plutôt dans le sillage des histoires connues du couple Netanyahou, qui aime les bonnes choses, mais déteste passer à la caisse : pendant de longues années, certains de leurs amis milliardaires les ont ravitaillés en caisses de champagne (rosé) et cigares. La police estime la valeur de ces cadeaux réguliers à quelque 100 000 euros et soupçonne une relation de corruption. Tout cela n’est pas joli-joli, mais pas bien grave non plus.

Les deux autres scandales seraient – si les faits étaient avérés – autrement plus sérieux. Il s’agit de marchés supposément conclus avec des propriétaires de médias – dont celui qui possède le journal à plus gros tirage du pays –, qui auraient obtenu des avantages économiques conséquents en échange d’un meilleur traitement de Netanyahou et de sa femme. L’un aurait bénéficié d’un avis favorable de l’État pour une transaction qui lui a rapporté 250 millions d’euros, l’autre d’une législation allégeant la concurrence dont il souffre. Enfin, la dernière affaire concerne de supposés pots-de-vin versés à des proches du Premier ministre dans le cadre de gros contrats d’armement (achat de sous-marins) négociés avec l’Allemand Thyssen.

La décision définitive de le poursuivre dans ces affaires n’a pas encore été prise et Netanyahou nie en bloc, crie au complot et attaque la police, le procureur général et les juges, qu’il accuse de vouloir fomenter un coup d’État judiciaire. Cependant, même si l’effet que produiront ces affaires dans les urnes n’est pas clair, il est quasiment certain qu’elles le poursuivront longtemps. L’insubmersible Bibi pourrait même être contraint de quitter la vie politique pour se concentrer à sa défense.

Le troisième corps de Netanyahou

Face au Premier ministre sortant, la nouvelle formation « bleu blanc » dirigée par trois anciens chefs d’état-major (Beni Ganz, Moshé Yaalon et Gabi Ashkenazi) et Yaïr Lapid, le chef du parti centriste, arrive en tête dans les récents sondages. Mais il faut rappeler à ceux qui ont la mémoire courte qu’en 2015, les derniers sondages avant le vote avaient laissé croire à une victoire du Camp sioniste (alliance de travaillistes et d’anciens membres de Kadima, le parti créé par Sharon en quittant le Likoud). De même, aux élections de février 2009, le Likoud n’était pas arrivé en tête… mais cela n’a pas empêché de Netanyahou de former des coalitions et de diriger tous les gouvernements depuis. Il est vrai qu’à l’époque, le grand public ne connaissait guère le troisième Bibi.

Malgré le large soutien dont il bénéficie, Benyamin Netanyahou pourrait donc ployer sous le poids de son troisième corps. Un certain nombre d’électeurs risquent d’être influencés par les gros scandales et les mesquineries minables qui font désormais office de casseroles accrochées à ses basques. Et une mise en examen signifierait la fin de sa longue et extraordinaire carrière.

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Avril 2019 – Causeur #67

Article extrait du Magazine Causeur




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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