J’ai vu coup sur coup deux excellents films politiques, au meilleur sens du terme: Vice d’Adam McKay, en janvier, et la Chute de l’empire américain, de Denys Arcand, sorti ces dernières semaines. Deux réussites totales dans des genres a priori différents — car le film politique est d’une grande plasticité.
De l’art d’être un salopard
D’un côté, la biographie d’un salopard en chef bien réel, épaulant pour son plus grand profit un crétin patenté (Bush Junior, magnifiquement interprété par Sam Rockwell), de l’autre une fiction autour des aventures d’un naïf aux prises avec quelques dizaines de millions de dollars indéclarables au fisc canadien.
De part et d’autre, le fric — car comme disait l’autre barbu, le facteur économique est déterminant en dernière instance. Deux fictions — le documentaire politique, c’est encore autre chose, et de Frédéric Rossif à Romain Goupil, nous savons faire. Et la fiction, écrite ou filmée, bien mieux que le documentaire ou l’essai, est capable de dire l’essentiel d’une époque sans se préoccuper de l’exactitude de détail, que les vrais créateurs laissent aux historiens et aux comptables de poils à couper en quatre.
Pendant ce temps, le cinéma français se regarde le nombril avec insistance, et s’enfonce dans des histoires de couples plus ou moins recomposés ou différents, de la grosse rigolade franchouillarde aux problèmes existentiels en gros plans interminablement muets.
Un Z qui veut dire Zéro
J’ai commencé par penser que nous avions perdu la main — puis je me suis demandé si nous l’avions jamais eue. Certes, tout Godard est politique — mais parfois de si loin, et dans un langage cinématographique si abscons (Remember Weekend ?) qu’il en devient illisible, étant entendu qu’on « lit » un film de Godard, on ne le regarde pas. Alors quoi ? Le Président, d’Henri Verneuil ? 1961 ! Les Grandes familles, de Denys de la Patellière ? 1958 ! La Belle équipe, de Duvivier ? 1936 ! Comme la Marseillaise… Je vais finir par croire que le Professionnel (Lautner, 1981, avec une célèbre musique de Morricone) était un film politique…
Les films politiques qui ont nourri mes années de formation étaient italiens — Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Elio Petri, 1970), le Conformiste (Bertolucci, 1971), l’Affaire Mattei (Francesco Rosi, 1972). Quand les capitaux étaient français, le metteur en scène — Costa-Gavras — était grec (et les Grecs savent faire du cinéma politique, ô combien !). Voir Z ou l’Aveu.
Qui liquidera l’Algérie ?
Pendant que les Américains liquidaient cinématographiquement le Viet Nam, d’Apocalypse now à Voyage au bout de l’enfer ou Platoon, quel film avons-nous produit sur la guerre d’Algérie ? Une allusion à la torture dans le film d’Alain Resnais, Muriel, a failli rapporter au metteur en scène une interdiction totale, heureusement qu’il était marié avec la fille de Malraux. Rien qui soit à la hauteur des Centurions (Mark Robson, 1966, adaptant un livre écrit par un Français, Jean Lartéguy — mais voilà, il n’a pas eu le bonheur d’être aimé à gauche, son éloge des paras gênait les admirateurs du Petit Père des peuples) ou de la Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo (1971 — un film que les militaires américains ont passé et repassé en boucle aux stagiaires et apprentis en coups d’Etat de l’Ecole des Amériques, un film que les gouvernements uruguayen et mexicain ont interdit de peur qu’il ne donne des idées aux peuples les mieux asservis).
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Même les Algériens ont fait un film (admirablement lyrique) sur une guerre qu’ils n’ont jamais gagnée sur le terrain, mais qu’ils ont su revendiquer pendant que nous nous enfouissions la tête dans le sable du désert (Mohamed Lakhdar-Amina, Chronique des années de braise, 1975, revenu de Cannes en 1975 avec la Palme d’or).
Soyons objectif : Avoir vingt ans dans les Aurès, malgré ses naïvetés cinématographiques, était un film intéressant. Mais à part ça ? On me dit du bien de l’Ennemi intime — mais je ne l’ai pas vu, si Dupontel est un immense acteur, Benoît Magimel me donne des boutons.
Le cinéma des bons sentiments
Et depuis ? Les Espagnols savent en finir avec la guerre civile (la Isla minima, chroniquée ici-même, avait un arrière-fond politique tenace), les Argentins savent régler les comptes de la dictature (l’Histoire officielle en 1986, ou Dans ses yeux, en 2009), les Allemands savent liquider l’Allemagne de l’Est (Good Bye Lenin ! en 2003, et mieux encore, la Vie des autres en 2007). Les Britanniques même savent faire — voir Billy Elliott, les Virtuoses, The Full Monty et la plupart des films de Ken Loach ou de Stephen Frears. Et j’en passe.
Pendant ce temps, les Français creusent encore leur nombril, et vu l’hypertrophie de ce point d’ancrage dans l’utilisation du compas national, ils n’ont pas fini de forer… L’auto-fiction a saisi le cinéma après avoir englouti la littérature. Il ne reste plus qu’à mettre en scène les mésaventures d’Edouard Louis et de…
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