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Affaire Etam: « La loi contraint l’employeur à prouver qu’il n’a pas commis de discrimination »

Entretien avec l'avocat Thibault Mercier


Affaire Etam: « La loi contraint l’employeur à prouver qu’il n’a pas commis de discrimination »
Magasin Etam. Auteurs : Yann Bohac/SIPA. Numéro de reportage : 00709801_000035

Une étudiante voilée a été empêchée de déposer son CV à un magasin Etam de Montpellier. Une vendeuse lui aurait rétorqué que la marque n’emploie pas de femmes enturbannées, s’appuyant sur le règlement intérieur du groupe qui impose la neutralité religieuse à ses employés. Qui a juridiquement tort ? Entretien avec l’avocat Thibault Mercier, spécialiste des lois anti-discrimination.


Daoud Boughezala. Il y a quelques jours, une étudiante voilée a été empêchée de déposer son CV à un magasin Etam de Montpellier. Une vendeuse lui aurait rétorqué que la marque n’emploie pas de femmes enturbannées, s’appuyant sur le règlement intérieur du groupe qui impose la neutralité religieuse à ses employés. Depuis, Etam a mis à pied cette salariée. Juridiquement, cette jeune musulmane a-t-elle raison de s’estimer victime de discrimination à l’embauche ?

Thibault Mercier.[tooltips content= »Avocat, cofondateur du Cercle Droit et liberté, auteur de l’essai Athéna à la borne. Discriminer ou disparaître« ]1[/tooltips] Dans notre société et notre droit qui sont tous deux dominés par le culte de l’anti-discrimination, cette jeune femme pourrait bien avoir quelques arguments à faire valoir.

L’article L1132-1 du code du travail dispose (dans un texte un peu fourre-tout) qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement en raison notamment de ses convictions religieuses ou de ses mœurs. Deux critères qui pourraient  être mis en avant par la jeune femme pour tenter une action en justice. Et d’ailleurs notre droit l’y incite clairement. En effet, faisant suite à deux directives européennes, les articles L. 122-45 et L. 123-1 du Code du travail sont venus renverser la charge de la preuve en matière de discrimination à l’embauche : il revient donc à l’employeur de prouver qu’il n’a pas commis de discrimination.

Dans ce glissement vers une justice théologique (ou l’antiracisme est le nouveau dogme), on voit difficilement comment la gérante Etam pourra produire une preuve matérielle de sa non-intention de discriminer. Et, sauf à pratiquer le viol des consciences, il sera bien compliqué pour le juge de « sonder son cœur et ses reins » et d’attester qu’elle est en état de grâce (comme avant la communion).

A lire aussi: Le hijab, la « French Liberté » des femmes d’Etam

Mais jouons plutôt les avocats du diable et notons qu’il existe tout de même certains garde-fous permettant à la marque de mettre des arguments juridiques à son profit. Il suffit de se rappeler la jurisprudence Baby-Loup de 2014 : dans cette affaire le règlement intérieur de la crèche imposait également une obligation de neutralité au personnel et avait entraîné le licenciement d’une salariée voilée. Après une procédure judiciaire à rebondissement, la Cour de cassation avait finalement donné raison à l’employeur.

Chaque cas est évidemment différent, mais on voit bien qu’en droit français il est permis de poser des limites à l’affichage de la religion en entreprise et notamment d’interdire le port du voile.

La mise à pied de la gérante d’Etam a-t-elle un fondement juridique ? 

Au-delà du droit, il s’agirait plutôt de s’interroger sur ce dogme antidiscriminatoire dont le non-respect suffit pour provoquer votre mort sociale ou économique. En l’espèce, à partir d’un simple témoignage dont personne n’a pu vérifier la véracité, les médias et le nouveau tribunal populaire twitteresque se sont empressés de condamner cette employée de chez Etam. La marque s’est d’ailleurs trouvée bien incapable de gérer la situation de crise de manière intelligente.

Rappelez-vous le cas très similaire de l’enseigne Starbucks l’an dernier : un employé d’une boutique à Philadelphie avait refusé l’accès aux toilettes à deux Noirs n’ayant pas consommé (règle classique pratiquée d’ailleurs dans de nombreuses brasseries parisiennes). Après une intense campagne médiatique et d’appel au boycott sur les réseaux sociaux, le PDG de la multinationale s’était empressé de s’excuser publiquement, sans que cela suffise à calmer les ardeurs des nouveaux justiciers du Web. En sus du limogeage de la gérante, la société a donc également décidé de fermer pendant une demi-journée plus de 8 000 de ses établissements pour dispenser une formation contre le racisme à ses 175 000 employés. Etam va-t-elle devoir en arriver là pour pouvoir continuer à exercer son activité sereinement ?

Dans votre essai Athéna à la borne. Discriminer ou disparaître (Pierre-Guillaume de Roux, 2019), vous brocardez « l’obsession de la non-discrimination qui sévit en France ». N’est-il pas légitime de prétendre aux mêmes droits, indépendamment de son ethnie, de sa race ou de sa religion ?

La République française ne reconnaissant classiquement qu’une communauté, la communauté nationale, il apparaît dès lors logique d’interdire la discrimination fondée sur l’ethnie, la prétendue race (pour reprendre le nouveau terme officiel) ou encore la religion. Le problème est que ces lois anti-discriminatoires ont produit l’inverse de ce qu’elles recherchaient à l’origine. D’un idéal d’égalité et d’intégration, nous sommes arrivés à un état de ségrégation. Chacun est désormais incité à voir ce qui nous divise plutôt que ce qui nous rassemble. Influencés par la vision multiculturelle américaine, nous avons assisté à une dénationalisation de l’Etat par les communautés

Sachant qu’il existe maintenant des discriminations interdites pour quasiment chaque comportement humain, nous avons été témoins de l’atomisation de société en d’innombrables individus, communautés et groupes de réclamations. La loi a ainsi permis une concurrence victimaire de tous contre tous. Et l’on voit bien que les SOS Racisme, LICRA, et autres associations de défense des LGBT n’ont de cesse de s’attaquer au ciment culturel qui unissait le pays et ont mis à mal toute idée de bien commun.

Par ailleurs, ce fétichisme de la non-discrimination est fortement empreint d’une sorte de marxisme culturel qui nous pousse à analyser les rapports sociaux en termes de dominants-dominés ou de bourreaux-victimes. Par exemple, l’Occident est défini dans l’opinion dominante (à défaut d’être l’opinion majoritaire) par une structure patriarcale, homophobe, raciste et sexiste (à abattre urgemment !). Toute différence considérée, à tort ou à raison, comme supérieure est dès lors « oppressante » et doit être gommée. Tout homme est désormais un « porc » en puissance, un Blanc est nécessairement un « colonisateur esclavagiste » et émettre un jugement de préférence esthétique sur la minceur d’une femme devient « grossophobe »…

Pourtant si une nation condamne toutes les formes de discrimination se fondant sur la religion, l’opinion politique, les mœurs ou le sexe, elle fait alors fi de son héritage culturel. Par un relativisme très moderne, elle demeure alors indifférente à toutes les conceptions du Bien.

Cette neutralité, somme toute très libérale, n’est en outre pas partagée par toutes les communautés présentes en France. Certaines n’hésitant alors pas, comme l’a montré Eric Zemmour, à retourner nos principes droits-de-l’hommistes contre nous. Doit-on ainsi considérer le voile comme un simple critère d’expression religieuse ou serait-il également une affirmation culturelle et militante ?

Vous critiquez « l’idéologie dissolvante » négatrice des différences au service de la fiction d’un « individu interchangeable ». Dans le cas de l’affaire Etam, « l’idéologie du Même » (Alain de Benoist) n’est-elle pas plutôt du côté des entreprises et administrations qui imposent aux musulmanes de retirer le voile au travail ?

Cette affaire serait ici un contre-exemple car je pense qu’au contraire les entreprises participent grandement au développement de « l’idéologie du Même ». Cela fait bien longtemps que des politiques dites de discrimination positive y ont été mises en place. BNP Paribas, Total, Sodexo ou encore L’Oréal, pour ne citer qu’elles, font partie du nombre toujours croissant de sociétés qui pratiquent la « diversity inclusion » pour promouvoir la « diversité » dans leur entreprise (et parmi leurs partenaires). Et cela va bien au-delà de l’égalité des chances et des salaires car dans les faits cela entraîne une incitation à l’embauche des « minorités visibles », la promotion de la théorie du genre ou encore le respect strict de la parité hommes-femmes. Adieu la promotion au mérite, ou la prime au travail bien fait ! Désormais le simple fait de faire partie d’un groupe dit « opprimé » peut vous faire gravir les échelons.

Très hypocritement, cette diversité promue n’est d’ailleurs que d’apparence car les employés sont incités à mettre en avant des caractéristiques visibles et quantitatives de leur personne (couleur de peau, sexe, religion, orientation sexuelle) plutôt que qualitatives (intelligence, conscience professionnelle, capacité d’organisation, etc.). Et dans les faits, ces politiques de promotion de la diversité mènent paradoxalement à une uniformisation de pensée et d’opinion auquel le politiquement correct omniprésent en entreprise n’est bien sûr pas étranger. Et de l’uniformisation des salariés à l’uniformisation des clients et des hommes, il n’y a qu’un pas…

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