Plus que la chute du prix du pétrole, la faillite du système militaire et économique chaviste est responsable de la crise vénézuélienne. Le sort du président Maduro, formé et appuyé par Cuba, se trouve entre les mains de l’île castriste.
Le Venezuela connaît une grave crise politique depuis la dernière élection d’Hugo Chavez, en 2012, qui s’est envenimée depuis l’élection de son successeur Nicolas Maduro, en 2013, et plus encore après les élections législatives de décembre 2015. Malgré leur caractère très inéquitable, ces élections ont donné une victoire écrasante (122 députés sur 165) à l’opposition unie, la MUD (Mesa de la Unidad Democratica), alliance de plusieurs partis dont l’axe est constitué, d’une part, de Primero Justicia, parti de centristes issus de la démocratie chrétienne et, d’autre part, de trois partis membres de l’Internationale socialiste, Accion Democratica, Voluntad Popular et Un Nuevo Tiempo, qui totalisent à eux trois 62 élus sur les 112 de la MUD.
Cette victoire paradoxale de l’opposition dans une situation autoritaire traduit le rejet massif du régime de la part de la population. La situation, extrêmement préoccupante, ne cesse de s’aggraver : une crise humanitaire, alimentaire et sanitaire sans précédent pousse les Vénézuéliens à quitter en masse leur pays. En septembre 2018, environ 3 millions de personnes (soit près de 10 % des 31 millions d’habitants) avaient émigré à l’étranger. Or, contrairement à ce que l’on entend souvent, notamment pour dédouaner le régime chaviste, la crise économique ne résulte qu’en partie de la baisse du prix du baril depuis 2014. L’épuisement des ressources clientélistes chavistes provenant du pétrole est dû bien davantage à la chute drastique de la production nationale causée par l’abandon de l’appareil productif dans ce secteur où le renouvellement technologique et la compétence des cadres sont primordiaux.
Cuba y muerte
La crise est en fait, essentiellement, l’effet d’une économie nationale livrée à la prédation, à l’impéritie et à l’incurie, ainsi qu’à une militarisation de l’administration et à une soumission à Cuba. Au début des années 1960, Fidel Castro avait en effet souhaité lier le destin de Cuba à celui du riche Venezuela. Mais clairvoyant, le président vénézuélien Romulo Betancourt y avait fait résolument barrage. Hugo Chavez va alors permettre de réaliser ce vieux rêve cubain. En proclamant le « socialisme du XXIe siècle », Chavez a ouvert la voie aux Cubains qui vont progressivement s’emparer de tous les rouages de l’État vénézuélien : les missions sociales, les forces armées, les transports (notamment aérien) et jusqu’aux services de l’état civil. Depuis la mort de Chavez en 2013 et l’avènement de Nicolas Maduro, formé à Cuba, le castrisme règne en maître sur la destinée du Venezuela derrière une fiction de démocratie électorale.
L’exode de la population a donc été induit à la fois par les expropriations (692 entre 2002 et 2016, les entreprises les plus rentables étant cédées à des militaires) et les fermetures d’entreprise (plus de 500 000 entre 1999 et 2018), un antisémitisme inédit (entre 2009 et 2012, de 60 à 80 % des 18 000 juifs du pays ont émigré), la répression politique (à partir de 2002, la répression systématique commence et en septembre 2018 on dénombre 357 prisonniers politiques), et plus généralement par la violence au quotidien, le chômage, la faim et les problèmes de santé. Face à cette situation dramatique et faute d’avoir pu trouver un modus vivendi avec l’exécutif, le 23 janvier 2019, à la date symbolique commémorant la chute du dictateur Pérez Jiménez en 1958, la majorité législative a formellement destitué Nicolas Maduro et a nommé le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaido, président par intérim en vue de l’organisation d’une élection présidentielle libre.
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À la suite de plusieurs États latino-américains, les États-Unis et l’Union européenne ont alors pris position clairement en faveur de l’opposition démocratique. Par ailleurs, les défections du camp chaviste, tant civiles que militaires, se sont multipliées ces dernières années (notamment le général Raul Baduel, ancien compagnon de Chavez, dès 2009, Luisa Ortega Diaz, procureur de la république, en 2017, et, début février 2019, le général d’aviation Francisco Estéban Yanez Rodriguez). Mais Nicolas Maduro peut encore compter sur une partie des forces armées qui lui reste fidèle et sur l’appui de Cuba. Aussi, les négociations organisées sous l’égide du Vatican fin 2016 puis début 2018 n’ont-elles mené à rien, pas plus que la table ronde de Montevideo début février 2019.
Le « castro-chavisme »
Hugo Chavez avait été élu démocratiquement à une large majorité en 1998. Il faisait alors figure de sauveur, promettant de revivifier la vie politique nationale et faisant rêver à un retour de l’État providence passé. Le Venezuela connaissait à l’époque une crise de son système redistributeur et intégrateur mis en place dans les années 1960. Sous l’effet conjugué d’une explosion démographique, de la corruption et de la sclérose du modèle de développement, les personnes exclues des systèmes scolaire, de santé publique et d’accès au travail légal s’étaient multipliées.
Les années 1960-1970 avaient été deux décennies « glorieuses » pour le Venezuela qui était devenu à la fois un modèle démocratique et social et un refuge pour les persécutés des régimes dictatoriaux environnants. À la suite de Romulo Betancourt (président de 1959 à 1964), leader fondateur du parti Action démocratique et promoteur de l’OPEP en 1960, son camarade Raul Leoni (président de 1964 à 1969) avait modernisé et diversifié l’appareil productif national. Certes, l’industrie pétrolière contribuait de façon majeure à la redistribution, mais Leoni veilla à développer notamment l’industrie sidérurgique et l’agroalimentaire afin de ne pas dépendre entièrement de la rente pétrolière « dangereuse et immorale ».
Pendant les premières années de son régime, Chavez donna l’impression de rétablir cette époque de justice sociale. Mais l’autoritarisme politique se renforça au rythme de la mise en coupe réglée de l’économie par la « boliburguesia » (la « bourgeoisie bolivarienne », groupe de parvenus enrichis grâce au régime). La presse a été muselée, la radio et les fréquences de télévision progressivement mises au service du pouvoir. L’opposition politique a été ouvertement persécutée après avoir été de plus en plus contrainte dans ses moyens d’expression et d’action, et jusque dans le choix de ses candidats (les principaux leaders de l’opposition étant un à un invalidés, voire emprisonnés et condamnés sous des prétextes fallacieux). Quant au président Chavez, bien qu’ayant un parlement à sa main, il a commencé à gouverner par décret dès 1999 grâce à la proclamation renouvelée pour une raison ou une autre de l’état d’urgence. Nicolas Maduro a continué avec la même méthode : en août 2013, « état d’urgence électrique », novembre 2014, vote de la loi habilitante (accordant les pleins pouvoirs au président), mai 2017, renouvellement de l’état d’exception.
Car ce que le chavisme appelle « démocratie » n’a rien à voir avec l’élection libre. Le peuple devient l’antipeuple lorsqu’il vote contre le chavisme. La nouvelle Assemblée nationale issue du vote du 6 décembre 2015 est donc considérée comme une assemblée « bourgeoise » qui ne représente pas le « peuple ». Dans cette logique de type bolchévique, l’idée même de l’alternance est contre-révolutionnaire. Cette logique autoritaire et prédatrice est certes présente au cœur du chavisme dès l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez et sa constitution de 1999. Mais à partir de la tentative calamiteuse de coup d’État de 2002, l’autoritarisme politico-militaire de Chavez converge avec celui du communisme cubain, le système combinant corruption et dirigisme économique centralisateur.
Une transition vers la démocratie ?
Une dictature peut être défaite par la violence : à travers une guerre extérieure, une guérilla, une guerre civile ou d’un coup d’État. Ainsi, face au rejet massif du régime par la population vénézuélienne, l’intransigeance du groupe maduriste peut faire craindre le déclenchement d’une guerre civile généralisée, d’autant que les armes circulent librement au Venezuela. Par ailleurs, l’épuration régulière des forces armées depuis 2002, envoyant à la retraite un grand nombre de militaires critiques des dérives du régime et surtout du désastre national produit par le chavisme, ainsi que les défections successives de militaires à tous les niveaux de la hiérarchie laissent envisager la possibilité d’un coup d’État. Enfin, les forces militaires états-uniennes présentes en Colombie, pays frontalier, et les menaces verbales de Donald Trump alimentent le spectre d’une intervention extérieure.
Tous ces scénarios violents qui ne garantissent nullement une restauration démocratique sont vigoureusement rejetés par l’opposition démocratique unie. Depuis la victoire électorale aux législatives de décembre 2015, l’opposition vénézuélienne a en effet explicitement choisi l’option de la « transition vers la démocratie », c’est-à-dire une sortie pacifique et négociée de la dictature grâce à l’organisation d’une élection présidentielle libre refondant un ordre institutionnel démocratique. Pour inciter le pouvoir chaviste à cette négociation, l’Assemblée nationale a même voté le 16 janvier 2019 une loi d’amnistie pour tous « les civils et militaires qui collaborent avec la restauration de l’ordre constitutionnel ». Toutefois, il reste difficile de trouver des interlocuteurs au sein du régime.
Par ailleurs, les derniers développements de la crise migratoire et humanitaire ont poussé l’opposition vénézuélienne et ses alliés à l’étranger à mettre en place des circuits d’acheminement et de distribution d’une aide humanitaire massive (alimentaire et sanitaire notamment). Le 16 février, le président par intérim Guaido, désormais reconnu comme tel par de nombreux pays, a accrédité 3 000 jeunes volontaires pour participer à la réception et à la répartition de ces biens de première nécessité. Quelques cargaisons ont pu déjouer le blocage décrété par le régime chaviste, mais une livraison de médicaments très sensibles effectuée par la France a été retenue en plein soleil pendant plusieurs heures le 17 février. Car Maduro s’oppose à l’entrée de toute aide et tente vainement d’exalter la population en affirmant que « le Venezuela n’est pas un pays de mendiants ».
Les gouvernements d’Allemagne, d’Espagne, de France, d’Italie et du Royaume-Uni ont cependant confirmé une aide conjointe de 18,5 millions de dollars. Par ailleurs, les présidents chilien et paraguayen ont fait le déplacement à Cúcuta, en Colombie, à la frontière avec le Venezuela, pour manifester leur soutien total à l’acheminement de l’aide humanitaire. Le 23 février, les premiers convois d’envergure doivent arriver à la population vénézuélienne, mais Vladimir Padrino Lopez, ministre de la Défense et commandant en chef des forces armées, a affirmé qu’il ferait doubler le nombre de militaires à la frontière pour l’empêcher, quitte à contraindre les convois à « passer sur les cadavres ». La violence du régime est alarmante, mais elle peut tout autant être le chant du cygne qui annonce son effondrement prochain.
Le bras de fer engagé autour de l’arrivée de l’aide humanitaire pourrait alors constituer une spécificité de la transition à la démocratie au Venezuela : face à l’impérieuse nécessité de venir en aide à la population et aux assurances d’impunité données par l’opposition, on peut espérer qu’une fracture décisive se produira enfin au sein du pouvoir chaviste. Maduro serait alors contraint de se réfugier à Cuba qui renoncerait pour sa part à son emprise impérialiste sur le Venezuela, probablement grâce à la promesse discrète des gouvernements étrangers, notamment européens, d’une aide financière à la grande île, elle aussi en proie à la faillite castriste…
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