« Caissière », « chômeur », « race »… Certains mots choquent en public et sont remplacés par un charabia positif qui nous embobine et nous fait voir la vie en rose.
Le « normal » est scandaleux, car par définition il sous-entend qu’il y a des choses ou des comportements anormaux, donc c’est de la discrimination. Tout de nos jours est potentiellement blessant, en particulier dans les mots et il convient de faire stopper cette maltraitance sémantique.
Ils nous disent des mots d’amour…
Pour l’instant, nous tentons de gommer nos maux par des mots, et par des expressions qui éloignent le danger. Ainsi, notre vie devient un chemin de roses. Nous ne vieillissons plus : nous avançons en âge, les crèmes antirides s’acheminent vers des crèmes anti avancement en âge ; d’autant qu’il n’y a plus de vieux, au mieux des seniors qui font la « silver économie » (rapport aux temps argentés !), comme pour les bouillies on a le premier âge… puis le troisième âge, le quatrième âge, et on attend le cinquième. De toute façon, on ne meurt plus, on décède (plus cool) et nos chers disparus ne sont pas morts, ils nous ont juste quittés… Des suites d’une longue maladie et certainement pas d’un cancer.
Socialement, de quoi se plaint-on ? Les postes ont remarquablement bien évolué et les caissières sont devenues des hôtesses de caisse, c’est quand même autre chose ! L’instituteur est le professeur des écoles (c’est beau), il faut dire que le programme suit. Ainsi, vous connaissiez les rédactions, les dissertations, les explications de texte… mais certainement pas « l’écriture d’invention » ? Dont la dénomination est un barbarisme en soi ! L’Education nationale est une source d’inspiration inépuisable pour réinventer les précieuses ridicules en « live », pardon : les « précieux ridicules » (pas de sexisme) souvenez-vous aussi du référentiel bondissant (un ballon) et allez vite dire à votre fils de faire sa « lecture cursive » ?
Salauds de « démunis » !
Les pauvres ne le sont plus vraiment dans les mots, ils sont défavorisés, ou encore « à faible revenu », voire « parmi les plus démunis », RMIstes… De toute façon, ils ne sont plus chômeurs car ils sont demandeurs d’emplois… sauf quand ils ne demandent rien. Et c’est de notre faute parce que c’est trop compliqué pour qu’ils sachent quoi demander (pas faux). Christophe Castaner a franchi une nouvelle étape dans le positif. Selon lui, ils sont « en situation de non emploi » ; d’ailleurs côté patron on ne licencie plus, on réduit les effectifs. Nos paysans devenus agriculteurs sont maintenant des « exploitants agricoles » bien qu’il ne faille pas bon exploiter quoique ce soit, ni la terre ni les hommes… pour un peu qu’ils exploitent un ouvrier agricole ça risque de mal tourner ; on pourrait les appeler par exemple « entrepreneurs cultivateurs terriens » ?
Le « migrant » définit par un terme générique tous ceux qui transitent de quelque façon que ce soit, droit ou pas droit, papiers ou pas, réfugiés politique ou suspects, le tout étant de ne surtout pas faire de différence et, horreur parmi les horreurs, de les « stigmatiser ». On ne les expulse certainement pas, au mieux « on les éloigne » (Gérard Colomb).
Bruno Le Maire supprime les « impôts »
Il faut avoir de l’imagination et de l’esprit de répartie pour innover comme Cédric Villani. Quand on lui demande pourquoi son rapport est en retard de deux mois, la réponse vient du tac au tac : « Pas du tout : il s’inscrit dans un nouveau calendrier » !
Fini les voyous des films de Belmondo, restent des jeunes défavorisés qui se livrent à des incivilités, pas des délinquants, non ! De la même façon, les gens du voyage sont en principe plus sympathiques que des gitans, en plus la Gitane peut évoquer une cigarette et cela pourrait être pris pour de la publicité subliminale pour le tabac…
Le camping lui-même a disparu : le campeur fréquente maintenant « l’hôtellerie de plein air » avec ses étoiles, c’est du haut de gamme.
Plus d’impôts : selon les ministres (Bruno Le Maire ou Elizabeth Borne) ce sont des « prélèvements » ou encore, voilà qui nous réjouit l’âme : « De nouvelles ressources ». Est-ce que cela calmera les contribuables ?
Fini les « fautes » d’orthographe !
Plus question de culpabiliser qui que ce soit, sauf les riches (à volonté). Ainsi, une linguiste professeur de sociologie s’indignait-elle récemment que l’on parle de « fautes d’orthographe ». Non pas que l’on en fasse, mais qu’on les baptise ainsi, car l’aspect moral de la faute serait insupportable pour le contrevenant, il convient donc, selon cette dernière, de parler « d’erreur d’orthographe », vos enfants vont adorer les dictées sans fautes.
La bienveillance est partout : plongez-vous dans les récits de conte de fées des magazines féminins sur les « familles recomposées » avec des descriptions idylliques qui vont vous remonter le moral si vous vous sentez une âme de marâtre. Il faut « faire famille » dans le sens ou il faut faire groupe, bienvenue aux ex.
La météo des bons sentiments
Et puis il y a les vrais interdits, les mots définitivement bannis comme « race » (je n’ose même plus l’écrire, même pour mon beagle). La météo s’y met, il ne pleut plus : on a une dépression sur nos têtes et ça personne ne le conteste ! C’est probablement pour cela que nous sommes les premiers consommateurs d’antidépresseurs. Il ne fait d’ailleurs plus jamais beau et lorsque c’est le cas, c’est seulement l’anticyclone des Açores qui est bloqué au dessus de l’Hexagone.
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« Changez ces mots que je ne saurais ouïr »… pour les seins, on les montre mais malheur à celui qui regarde, Tartuffe est toujours là.
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