Le festival Trente Trente a programmé (18-31 janvier) à Bordeaux et en Nouvelle-Aquitaine un florilège de spectacles censés combattre les préjugés. Véritable prise de risque ou confort d’une transgression bien dans l’air du temps ?
Du bricolage artistique, des confidences parlées et dansées, un laboratoire performatif, une performance sonore et corporelle… Bienvenue à Trente Trente, le festival qui « propose un regard sur les formes courtes actuelles et convie le public à la découverte d’artistes émergents qui bousculent et réinventent le paysage des arts vivants ». Le terme important ici est « bousculer », l’équipe artistique mettant un point d’honneur à se démarquer de propositions artistiques qui seraient conformistes et moutonnières.
La pensée transgressive dominante
« Nous proposons une résistance à la pensée générale dominante, explique ainsi son directeur Jean-Luc Terrade. Notre festival se veut un espace de contradiction et parfois de désordre. Ne pas avoir affaire à une forme de normalité et d’uniformisation est quelque chose que je recherche et qui m’anime. »
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Il serait toujours possible d’ergoter sur ce que l’on entend précisément par « pensée générale dominante », tant le camp dit des progressistes l’utilise contre celui dit des réactionnaires, et vice-versa. En tout cas, dans le monde de la culture et du spectacle vivant, il paraît difficile de contester que le modèle dominant est celui d’une relecture des classiques à l’aune des questions sociétales, avec une nette prédilection pour les thèses néo-féministes et la promotion des cultures venues d’ailleurs. L’exemple récent le plus flagrant restant la fin de Carmen dans la mise en scène de Leo Muscato où l’action se déroule dans un camp de Roms et où la belle Carmen ne meurt plus sous le couteau du brigadier Don José, mais le tue d’un coup de pistolet dérobé au policier… Précisons que lors de la première, le public avait copieusement sifflé cette mise en scène un tantinet racoleuse. Preuve que les spectateurs, généralement tolérants sur les partis pris des metteurs en scène, ne sont pas prêts à avaler toutes les couleuvres.
Aucun sifflet n’a en revanche retenti à l’occasion du festival Trente Trente. Le public, souvent des habitués, venant ici en toute connaissance de cause. Assez curieusement, tout se passe comme si la transdisciplinarité en vigueur dans le monde de l’art vivant, devait trouver son pendant thématique dans la promotion de tout ce qui est « trans », et notamment de ce qui est transgenre.
De la violence du français quand on est un trans iranien
Cette année, la programmation semblait en effet plus que jamais tournée vers les questions liées à l’identité, avec en particulier la performance Farci.e de Sorour Darabi, dont la plaquette nous dit qu’il s’agit là « d’un-une artiste autodidacte iranien.ne basé.e à Paris ». Le titre, qui n’a rien à voir avec une recette sur les tomates ou la dinde, fait référence à la langue maternelle de l’artiste, le farsi, qui possède la particularité de ne pas avoir de genre. D’où la profonde détresse de Darabi quand il a dû apprendre le français, comme il le confie lui-même : « En tant que personne trans, la question du langage a été compliquée, c’est devenu violent de devoir m’identifier à chaque fois que je devais parler… Identifier mon genre dans mes phrases était très gênant pour moi. » Ah, si seulement l’élégante écriture inclusive possédait un équivalent oral…
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Autres spectacles explorant les mêmes environs : Hybridation II d’Olivier de Sagazan, performeur déjà venu à Trente Trente et qui propose ici « une expérience visuelle questionnant l’identité plus que jamais aujourd’hui en évolution et en confusion avec ses propres repères ». De son côté, Ecce (h)omo, de la chorégraphe Paul/a Pi (la barre oblique a son importance) veut faire réfléchir « avec pudeur sur la question de l’héritage en danse en troublant les notions de genre et d’Histoire », sans hésiter à se travestir pour cela et à mettre une barbe qui la fait se sentir, « non pas une autre personne, mais davantage elle-même ».
L’art qui n’intéresse que moi
Enfin, L’invocation à la muse, au-delà d’une réflexion sur l’inspiration poétique, sera l’occasion, pour Caritia Abell, de « revendiquer sa nature parasitique » et d’ « afficher crânement sa nature trans » en tirant à boulets rouges sur les normes esthétiques. D’origine afro-caribéenne, cette performeuse berlinoise est reconnue comme une artiste aux multiples facettes (praticienne du BDSM, dominatrice, photographe, modèle, etc.) inscrivant son travail dans « une démarche militante et féministe pro-sexe ».
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Sur cette nouvelle scène artistique, tout se passe comme si le miroir que tendait jadis le dramaturge à ses contemporains pour qu’il reconnaisse ses travers et éventuellement s’en amuse, n’était plus désormais destiné qu’à refléter le narcissisme des représentants des minorités agissantes. De « regardez-vous ! », le message est aujourd’hui : « Regardez-moi ! », quitte à laisser le spectateur sur la touche.
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