Par opposition au #HijabDay, un mouvement se répand à travers les pays musulmans: des femmes voilées célèbres apparaissent publiquement sans leur tissu islamique. Et provoquent l’ire des islamistes qui croyaient voir en elles des « soeurs »…
En réaction à la campagne #Hijabday, lancée le premier février, et destinée à faire la promotion du voile, certaines féministes, parmi elles l’écrivaine Jamila Benhabib, lancent le #NoHijabDay. Il s’agit avant tout de dénoncer le danger de la normalisation du port du foulard islamique : « Si ce voile n’était qu’un vêtement comme un autre, il ne serait pas imposé avec autant de vigueur et de rigueur aux Iraniennes et aux Saoudiennes, pour ne citer que ces deux exemples. », déclare l’initiatrice du mouvement.
En Occident on se voile, en Orient on se dévoile
Tandis que la campagne « Hijab day » vise d’abord les pays occidentaux, puisque celle-ci est en anglais et que la majorité des femmes, dans la plupart des pays musulmans, sont déjà voilées, il est intéressant de constater que, pendant ce temps-là, dans certains pays musulmans, notamment l’Egypte, l’aura sacrée qui entoure la question du voile commence à s’écailler, de plus en plus de femmes, célèbres ou anonymes, font le choix de sortir têtes nues, malgré les regards réprobateurs, voire parfois les menaces de mort.
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En août dernier, l’annonce du retour de l’actrice Hala Shiha a fait grand bruit en Egypte. Et pour cause, la femme de 39 ans était, il y a peu, une figure de proue de l’Islam radical. Ces 12 dernières années, elle avait incarné pour les islamistes le chemin de la parfaite rédemption. Car en plus d’avoir renoncé à une carrière d’actrice très prometteuse pour se consacrer à Allah, Hala était devenue une militante très active dans les cercles intégristes, notamment dans la mouvance des Frères musulmans, avec qui, comme nous le verrons plus tard, elle entretenait des relations assez ambiguës. Et voilà que non seulement elle reprend le cinéma, art jugé décadent par les islamistes, mais elle a en plus l’outrecuidance de revenir sans le voile. Autant dire une véritable trahison, il est aisé d’imaginer le dépit, voire la détresse des islamistes de tous bords face à cette fracassante nouvelle. « L’étape du niqab est parmi les plus belles choses qui me soient arrivées, déclarait-elle en effet publiquement en 2015. Porter le niqab était comme une seconde naissance, je me sentais absoute de tout péché. »
Comment une actrice a fini par porter le voile
Rien ne prédisposait pourtant Hala à endosser un tel « costume » ; issue de la grande bourgeoisie d’Alexandrie, elle est la fille d’Ahmed Shiha, un artiste plasticien égyptien connu, et d’une Libanaise. Ses parents sont loin d’être conservateurs ; ses trois sœurs et elle reçurent une éducation assez libre, les valeurs qui leur étaient inculquées étaient plus universelles qu’islamiques. Hala a déclaré à plusieurs reprises que son père l’avait toujours soutenue et encouragée à faire ses propres choix. Hala a entamé sa carrière d’actrice en 1997 dans une série télévisuelle, puis a tourné quelques films. En 2002, le public égyptien la découvrait dans Allampi, un film qui connaîtra un succès énorme. En 2003, elle était très affectée par le décès brutal d’un de ses amis acteurs, Alaa Wali El-Din, et c’est à partir de ce moment qu’a commencé sa quête existentielle. Elle avouera que cet évènement fut très traumatisant, cette première confrontation avec la mort lui a fait craindre l’après-vie, et l’a poussée à une profonde remise en question. En 2005, sa recherche existentielle l’amène à fréquenter des cercles islamiques, notamment Hanane Turk, une célèbre actrice voilée, dont les positions en faveur du voile sont notoirement connues. Hala avouera que cette dernière a joué un rôle prépondérant dans sa « révélation mystique ».
Elle raconte avoir mis le hijab après une vision apocalyptique du « jour du jugement dernier ». Elle se marie une année plus tard avec Youcef Harisson, un converti d’origine italo-canadienne installé en Egypte, surtout connu pour être un prédicateur salafiste très actif, et annonce son retrait définitif du cinéma. Quelque temps plus tard, elle met le niqab, le voile intégral.
Le couple a trois enfants, et vit entre l’Egypte et le Canada où les deux époux officiaient dans un centre islamique, selon le journal Alyoum-Assabi. Durant cette période, le couple devient quasi mythique dans l’islamosphère ; l’histoire de la conversion de Youcef à l’Islam, ainsi que le renoncement de Héla à la vie superficielle du cinéma pour suivre la voie d’Allah, était un récit grandement relayé et glorifié durant plus d’une décennie.
Être une femme dévoilée, tu sais c’est pas si facile…
Seulement à la fin de cet été, l’actrice publie une photo d’elle les cheveux libres, avec pour toute légende : « Je suis de retour. » La nouvelle se répand très vite, Hala explique sur les réseaux sociaux que cette décision découlait d’un choix personnel, qu’elle n’attaquait pas l’Islam, mais admettait avoir compris que le voile n’était pas aussi spirituel qu’elle le pensait, que le comportement était bien plus important que l’habit.
Les réactions ne se sont pas fait attendre ; beaucoup de messages de félicitations, et énormément de critiques. Il faut comprendre que cette soudaine reconversion est un véritable coup dur pour les cercles islamistes, c’est l’incompréhension pour certains, le désarroi pour d’autres. Certains n’hésitent pas à qualifier le geste de l’actrice de trahison, on l’accuse d’avoir été « achetée » par les ennemis de l’Islam, dans le but de pervertir la jeunesse musulmane. L’acte d’enlever le voile n’est pas anodin : il met à mal la rhétorique islamiste selon laquelle les femmes sont heureuses et épanouies en le portant. Le hashtag #ReviensHala fait son apparition, des internautes supplient l’actrice de retrouver la raison, on lui rappelle sa responsabilité vis-à-vis des milliers d’âmes qui l’avaient prise pour modèle, ainsi que les châtiments atroces qu’Allah réserve à celles qui quittent le droit chemin.
Islamistes, le choc des photos
Mohamed Essaoui, un prédicateur salafiste, prétendu ami proche de Youcef, a mis en ligne une vidéo où il était en larmes, implorant d’une voix tremblante l’actrice de se repentir. Pour lui, il s’agirait d’une « rechute » dans « les tentations du monde », le diable a égaré l’âme de la jeune femme. Il a condamné sa décision, estimant qu’elle « avait déçu les femmes et les jeunes filles musulmanes pour qui elle était un exemple vivant de piété ». D’ailleurs, celles qui étaient naguère ses « sœurs » l’attaquent férocement. La première salve est lancée par Khadija Al-Shater, qui n’est autre que la fille de Khairat Al-Shater, celui qui fut numéro 2 des Frères musulmans durant de nombreuses années, avant d’être arrêté en 2013, puis condamné à perpétuité en 2015. Khairat Al-Shater, elle-même militante très active dans les cercles islamistes, a posté une longue publication sur Facebook dans laquelle elle fait part de son incrédulité face à cette nouvelle, exhortant Hala, « son âme sœur », à retrouver ses esprits, et à s’éloigner des égarements des tentations terrestres, elle lui rappelle à quel point elles étaient proches, et combien elle aimait la pureté de son âme. Elle évoque la vision du jour du jugement dernier que l’actrice avait eue avant de mettre le voile, n’hésitant pas au passage à déclarer qu’elle faisait partie des élus, les bien-aimés de Dieu, et l’implore de redevenir la Hala qu’elle connaissait et de remettre son voile.
« J’ai pris cette décision de mon propre chef, sans aucune pression de qui que ce soit »
Hala nie publiquement entretenir une quelconque amitié avec la fille de l’ex-membre des Frères musulmans, elle admet néanmoins que leurs enfants étaient scolarisés dans la même école. Face à la virulence de certaines réactions, Héla change de ton : sans explicitement les citer, elle accuse les Frères musulmans et les mouvements qui s’en rapprochent d’instrumentaliser la religion à des fins politiques : « Douze ans auparavant, j’étais convaincue du bien-fondé de ma démarche, durant cette période, j’ai dû reconsidérer beaucoup de notions, j’ai découvert que beaucoup de ceux qui revendiquaient la piété se travestissaient de l’habit de la religion pour servir leurs intérêts personnels, maintenant, je fais aussi une chose dont je suis 100 % convaincue, j’ai pris cette décision de mon propre chef, sans aucune pression de qui que ce soit. », se défend-elle dans un tweet.
L’Egypte à voile et à vapeur
À l’instar de Hala, de plus en plus de musulmanes font la démarche d’enlever leur voile. Le phénomène commence à timidement émerger à partir de 2013, surtout en Egypte, où entre 2017 et 2018, plus d’une quinzaine de personnalités publiques, actrices, journalistes, chanteuses ont fini par se montrer les cheveux découverts. En mai 2015, une campagne initiée par Chérif Choubachy, journaliste et intellectuel égyptien, invitait les femmes qui portaient le voile par contrainte à « retrouver leur dignité », en renonçant à « ce symbole de soumission », allant même jusqu’à le qualifier de « cheval de Troie de l’obscurantisme ». L’appel a reçu quelques encouragements et soutiens, noyés sous un flot de menaces et d’insultes. Les internautes les plus zélés avaient appelé à « crucifier Chérif Choubachy sur la place Tahrir », car celui-ci avait porté atteinte à l’un des fondements des valeurs islamiques. Il faut préciser que, depuis plus de trois décennies, le discours dominant autour de la question affirme que le voile est une obligation divine. Mais de plus en plus de voix d’intellectuels et de théologiens s’élèvent pour dénoncer cette « mystification » arguant que cette prescription n’est pas clairement consignée dans le Coran ou la Sunnah, ce qui expliquerait peut-être ce mouvement de prise de distance avec le voile entrepris par certaines femmes.
Le contexte politique pourrait également être en cause ; depuis la destitution en juillet 2013 de Mohammed Morsi, président issu des Frères musulmans, le port du voile est parfois perçu comme signe de ralliement au mouvement islamiste. Or, une grande partie de la population égyptienne accuse les Frères musulmans d’avoir instrumentalisé la religion au profit de la politique.
La députée islamiste qui se dévoilait devant le Moulin rouge
Le phénomène se constate également au Maroc. Fin décembre 2018, des photos de vacances de la députée Amina Maelainine fuitent sur Internet. Connue pour être une figure emblématique du PJD, parti islamiste, on la voit prendre la pose en jean devant le Moulin rouge à Paris, cheveux au vent et bras nus. Un autre visage que celui qu’elle arbore au Maroc, où elle ne se montre jamais sans son voile. Beaucoup de Marocains ont dénoncé cette hypocrisie, qualifiant son voile « d’uniforme politique ». La députée n’a pas nié l’existence de ces photos, mais a appelé au respect de la vie privée.
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Aujourd’hui, elles enlèvent le haut
Plus proche de nous, bien que moins politisé, le phénomène se constate également en Europe, Wassila Bk, chanteuse de rap, dont le clip officiel de la chanson « Mollo » comptabilise plus de 5 millions de vues, portait un foulard à ses premiers pas dans la musique. La jeune fille était alors très critiquée par la communauté musulmane. Selon eux, son activité artistique contrevenait aux principes de pudeur et de pureté exprimés par le voile islamique. Plus tard en signant avec un important label de disque, son foulard est remplacé par un turban à la Mennel, avant de disparaître entièrement, laissant place à de longues boucles brunes. Elle n’échappe pas non plus aux critiques.
Lucia Canovi, youtubeuse Française convertie à l’Islam, mariée à un Algérien, installée en Algérie, se présente comme agrégée de Lettres modernes et se fait principalement connaître pour sa vidéo qui étaye la théorie de la terre plate. Elle s’est également montrée sans le hijab après l’avoir porté près d’une décennie. Dans une vidéo, elle explique que les musulmans ont, à tort, donné trop d’importance à un simple bout de tissu.
Bien avant l’émergence de ce mouvement, en 2011, le roman Burkini de la Libanaise Maya Al-Haj, dont la traduction française est parue aux Éditions Erick Bonnier, augurait déjà du phénomène. L’héroïne du livre, une artiste-peintre voilée, travaille paradoxalement à esquisser des corps nus, et porte cependant le voile sans contrainte, et sans conviction religieuse. Après bien des tergiversations et questionnements liés au corps et à la féminité, l’héroïne décide finalement de l’ôter. Pour Maya Al-Haj, son roman parle d’abord de libre choix, elle explique que de la même manière que son personnage avait décidé de porter le voile de sa propre initiative, le cheminement qui l’a mené à se dévoiler était tout aussi légitime. Une équation qui reste à résoudre pour la majeure partie du monde musulman : la réalité ne fonctionne majoritairement, et pour l’instant, que dans un sens.
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