Sous la pression des islamistes qui ont provoqué des émeutes meurtrières au Pakistan en novembre dernier, le gouvernement pakistanais a accepté de procéder à la révision du procès d’Asia Bibi, le mardi 29 janvier. Cette ouvrière agricole pakistanaise et chrétienne, accusée de blasphème, a pourtant été acquittée par la Cour Suprême, dont les jugements sont normalement définitifs.
Asia Bibi affirme qu’étant allée cueillir des baies avec d’autres ouvrières par un temps très chaud, elle but de l’eau du puits du village en employant un gobelet mis à la disposition du passant. Elle plongea plusieurs fois ce gobelet dans le seau qui servait à tirer l’eau du puits.
Une autre ouvrière, Mafia Bibi, l’accusa d’avoir pollué l’eau de tout le puits en y jetant le seau, parce qu’elle était chrétienne.
Au Pakistan, dans ces milieux, le chrétien et le juif sont en effet considérés impurs, à cause d’un certain verset coranique[tooltips content= »Le Coran, 9, 28. Voir à ce sujet mon livre Fatwas et Caricatures, la stratégie de l’islamisme, Salvator 2015, chap. 10. »]1[/tooltips]. Mafia apprenait alors le Coran, et elle répétait visiblement comme un perroquet ce qu’on lui disait. Mais elle ne connaissait pas la charia, et le mépris l’aveuglait. Sinon, elle se serait dit que les conquêtes islamiques auraient été impossibles si le contact du mécréant avait rendu l’eau impure. Car les valeureux moudjahidine seraient littéralement morts de soif si, pendant la conquête de l’Inde, ils n’avaient pu boire aux puits auxquels avaient bu des chrétiens, des hindous, des sikhs et des bouddhistes. Et les ancêtres de Mafia Bibi seraient restés hindous.
Asia Bibi refuse de se convertir à l’islam
Mahomet dit que « l’eau est un purificateur que rien ne rend impur ». Et tout en le citant, les grands oulémas sunnites expliquent que l’eau reste pure s’il y en a un certain volume – largement inférieur à celui du puits dont il était question, et qu’utilisait tout le village. Du point de vue de la charia, Asia Bibi n’avait pas pollué le puits, mais seulement le gobelet et le seau ; il suffisait de les plonger dans ce puits pour qu’ils soient rituellement purs.
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C’est probablement ce que l’imam Qari Sallam dit à Mafia quand elle lui raconta l’histoire. Mais pouvait-il faire perdre la face à une croyante en matière de charia, pour innocenter une mécréante ? L’histoire de l’impureté du puits devait être oubliée. Les vraies paroles d’Asia Bibi aussi : de l’aveu d’Asia, celle-ci refusa de se convertir à l’islam à l’appel de Mafia, disant qu’elle n’y avait pas intérêt car le Christ était mort sur la croix pour sauver l’humanité ; elle avait même demandé ce que Mahomet avait fait pour sauver les hommes.
Le lynchage d’Asia Bibi
Ces paroles auraient pu être utilisées pour condamner Asia, car elles mettaient Jésus au-dessus de Mahomet. Mais il n’y avait pas intérêt à répercuter l’argument utilisé par les missionnaires chrétiens pour convertir les musulmans. En lisant l’acte de condamnation de la Cour de justice en 2010, on voit que Qari Sallam a en fait accusé Asia Bibi d’avoir dit que « des vers dans ses oreilles et dans sa bouche » auraient causé la dernière maladie de Mahomet, qui dura un mois ; et d’avoir déclaré que Mahomet avait épousé sa première femme Khadija « par intérêt », parce qu’elle était riche, et qu’après l’avoir volée, il l’avait chassée de sa maison.
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Le vendredi, Qari Sallam annonça le blasphème dans un sermon transmis à tout le village par haut-parleurs. Une foule armée de bâtons et de matraques alla chercher Asia dans le champ de baies, la battit et la ramena au village. Il y avait au moins cent hommes qui frappaient l’ouvrière de toutes leurs forces quand elle se trouvait à leur portée.
L’imam arrêta les coups en s’avançant jusqu’à Asia. Il lui proposa de se convertir à l’islam pour garder la vie sauve, mais elle refusa. Alors il s’éloigna, et la bastonnade reprit. C’est l’arrivée de la police qui sauva Asia du lynchage.
Une accusation en carton
Si l’affaire Asia Bibi fit tant de bruit – alors qu’il y en a tant d’autres aussi tragiques -, et si la Cour suprême l’a acquittée, c’est parce que les arguments de l’accusation ne tenaient pas :
1- Une ouvrière agricole analphabète, d’une pauvreté extrême, vivant dans un village de musulmans qui ne la fréquentent pas, n’a aucun moyen de savoir que Mahomet a épousé une femme riche appelée Khadija, et qu’il a été malade un mois avant de mourir. Et un non-musulman qui connaît ces détails sait aussi que l’histoire des vers est fausse, et que Mahomet n’a jamais abandonné Khadija.
2- Le Pakistan observe la charia qui exige, au tribunal, deux témoignages d’hommes, ou un témoignage d’homme et deux témoignages de femmes[tooltips content= »Voir mon livre L’Islamisme et les Femmes, p. 282-283. »]2[/tooltips]. Pour soutenir Mafia et sa sœur Asma, Qari Sallam avait témoigné avec elles contre Asia. Mais son témoignage repose sur le leur. Il ne peut donc pas le compléter.
3- Asia avait parlé devant un grand nombre de femmes, mais il ne s’est trouvé que ces deux femmes pour témoigner sous serment (sachant qu’en Orient, une femme ne contredit pas sa sœur en public). Les autres ouvrières auraient-elles refusé de témoigner si Asia avait vraiment dit ce dont on l’accusait ?
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4- L’imam prétendait qu’Asia avait reconnu son blasphème. Ce qu’elle nie, mais – à supposer que ce soit lui qui dise vrai – un aveu extorqué à une femme seule et sans armes, par des hommes armés de bâtons, n’est pas valide d’après la loi.
5- Asia Bibi fut mise en prison et condamnée par le tribunal local alors que les oulémas criaient « Allahou Akbar ». Ces moyens d’intimidation, constants dans les affaires de blasphème au Pakistan, rendent la condamnation des juges caduque, car extorquée par les menaces. Un juge a en effet été assassiné pour avoir acquitté un adolescent et un adulte accusés de blasphème.
6- Le délai de cinq jours rend aussi la condamnation illégale : d’après la loi, celui qui entend un blasphème doit le dénoncer aussitôt. Pourquoi Mafia, sa sœur et l’imam se sont-ils tus si longtemps ?
Le gouvernement cède aux islamistes
Asia Bibi fit appel sur la base de ces illégalités, mais sa condamnation fut confirmée au tribunal d’appel de Lahore. Jugée une troisième fois par la Cour suprême, elle fut acquittée le 31 octobre 2018. Mais les oulémas Rizvi et Qadri, chefs du parti islamiste TLP, avaient promis de mettre le Pakistan à feu et à sang si Asia Bibi était acquittée. On l’a vu, ils ont tenu parole, et ils ont condamné à mort le juge de la Cour suprême pakistanaise.
Après plusieurs jours d’émeutes et plusieurs morts, le gouvernement concéda deux choses aux islamistes : qu’Asia Bibi et sa famille ne quittent pas le pays (pour qu’il soit possible de les tuer) ; et que le procès d’Asia soit révisé, en violation de la loi. La date de cette révision a été annoncée pour le mardi 29 janvier.
Il faudra beaucoup de courage aux juges pour oser ne pas condamner Asia Bibi, sachant que l’avocat qui l’avait défendue a lui-même fui le pays pour ne pas être tué.
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