Avec La Droite imaginaire, Jérôme Besnard a écrit le testament nostalgique et désabusé d’une idée politique dont la dernière séduction réside dans sa dimension esthétique.
Madame la droite est méconnaissable. Ses affrontements suicidaires ont emporté ses espoirs politiques alors que la dernière élection présidentielle a révélé au public le secret de polichinelle de sa pusillanimité, de ses haines recuites et son goût pour l’argent. Madame la droite s’apprête à passer l’arme à gauche. Comme souvent en ce cas, beaucoup d’héritiers plus ou moins légitimes lorgnent sur le testament de la vieille dame. « Les ambitions personnelles sont ce qu’elles sont… », nous confie Jérôme Besnard dans La Droite imaginaire, un essai rétrospectif et somptuaire. Sorti du tombeau, l’auteur exhume bien des morts et aussi des images d’Epinal, d’éternels méconnus qui gagneraient à l’être, des souvenirs d’anciens combattants ou des anecdotes de banquet. Chateaubriand, Louis-Philippe, Chambord, Poincaré, De Gaulle… C’est un récit d’occasions et de moments charnières où l’histoire politique dispute aux intuitions iconoclastes ; parfois au récit d’aventure. Ainsi quelques découvertes : Alain Gerbault, Jean Mermoz, Antoine de Saint-Exupéry dont le lecteur ignore parfois la sensibilité politique.
Sa droite n’a connu que des échecs
Un testament donc ; écrit de la main droite, tout à la fois notarial, enjoué et nostalgique. L’occasion de cet ouvrage était du reste plutôt favorable. La Droite imaginaire de Jérôme Besnard, comme toute honnête dame bovaryste, imagine une vie intense et mondaine quand celle ici-bas déçoit. Ce que l’on comprend sans peine… Désabusée, sa droite n’a connu que des échecs que l’auteur rumine par chapitres – lesquels deviennent récitent avec fatalité un tragique qui lui semble être propre : de Louis-Philippe en Poincaré ou De Gaulle, la France nostalgique, à la recherche d’un restaurateur qui ne soit pas un tyran. Elle voit quelques grands hommes surnager dans la nasse, porter un espoir vite déçu par une révolution ou plus souvent trahi par une troupe de notables dont la fidélité est l’unique bannière de dispersion.
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Forte de ses aspérités romanesques, sa droite regagne en littérature ce qu’elle perd en politique ; se repend en élégies, écrit un peu, titube beaucoup ; ne sait pas trop où elle va et s’échoue finalement nulle part ; sinon au troquet pour sa frange littéraire dont l’auteur, amoureux des hussards, rappelle avec bonheur le souvenir. Dans ce clair-obscur de grandes défaites ou de petites victoires entrecoupées de beuveries, surnagent quelques individus que l’auteur, habile passeur culturel, sait nous faire aimer. Sa droite n’est ni dogmatique, ni affairiste mais sobrement faite « de héros et de saints, de livres de chevet de lieux mémoires ».
Un Gault et Millau des vaincus
La typologie des droites avait eu son Rémond, gravant dans le marbre de l’analyse éditoriale la définition de ses trois familles rivales ; Sirinelli a préféré insister sur la diversité de ses intérêts (politiques, culturels, sensibles…). L’auteur mêle un peu les deux approches et en tire un Gault et Millau de ses échecs historiques. La droite se contredit et se divise sur les idées ; elle se disperse aussi dans ses goûts. Un peu de pouvoir, un peu de littérature, un peu d’aventure et beaucoup de confusion. Elle manque d’un « corpus idéologique » ; aussi ses rares théoriciens conservent encore leur attrait, indépendamment de leur valeur. En témoigne les innombrables mentions de Charles Maurras que l’auteur cite autant qu’il le critique.
La droite de Besnard s’offre comme une manière d’être, une histoire et une esthétique, un charme souvent suranné et anachronique, qui séduit plus qu’il ne conclue : « La droite, c’est à la fois la terre et les morts et l’appel de l’océan, les bastions de l’est et la possibilité d’une île. » Mais qu’advient-il quand son spleen devient hors saison ; et qu’alors qu’elle ne s’attendait à rien, qu’elle n’avait surtout rien demandé, l’histoire la convoque non plus pour être mais pour demeurer ? La droite voit ses idées avancer quand elle s’obstine à reculer. A la mode malgré elle, elle cultive encore un flegme pourtant désuet. Beaucoup de ses paradigmes sont désormais partagés en France comme en Europe – sans qu’elle ne sache y répondre comme en atteste le stimulant épilogue filloniste auquel a pris part l’auteur. Au petit jeu de l’histoire, la droite imaginaire pourrait se révéler spectrale…
La droite imaginaire, Jérôme Besnard, Le Cerf.
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