On n’entend guère les féministes actuelles, aveuglées par leurs œillères de gauche, défendre les revendications des gilets jaunes. Pourtant, dans l’esprit de mai 68, un vent émancipateur souffle sur toutes ces femmes aujourd’hui précarisées.
En mai 2018, on a célébré mai 1968. En novembre 2018, a commencé la révolte des gilets jaunes. Hasard ou correspondances souterraines ? Il y a un lien invisible indéniablement. Les féministes que nous sommes, « intello » et classées « bourge », ont retrouvé, cinq décennies après, le même esprit. Peu importe les divergences grossies à dessin par les médias. Nous avons ressenti le même élan, le même enthousiasme qu’il y a cinq décennies. Nous avons respiré plus large, nous avons dit bye bye à la résignation ordinaire qui nous plombe tous.
Le souffle de 68
L’esprit de mai 68, ce n’est pas celui des caciques gauchistes auto-proclamés, qui aujourd’hui paradent sur les plateaux télé et prennent de haut ce mouvement populaire. L’essentiel de 68, il faut le chercher dans les coins, en dehors des projecteurs. Alors quoi de commun entre 68 et les gilets jaunes ? Le même souffle, la même aspiration à un monde meilleur, oui n’ayons pas peur des mots. Un monde meilleur. Penser par soi-même, rejeter les diktats venus d’en haut, inventer des modes nouveaux d’intervention, occuper et subvertir des lieux morts qu’ils revivifient. Qui aurait pu imaginer que les mornes et moches ronds-points deviendraient des lieux de rencontre et de solidarité, où l’on mange ensemble, où l’on se parle, où l’on imagine le monde autrement. Là est le génie du « peuple » : redonner vie aux déserts imposés. Mai 68 venait « d’en haut », les gilets jaunes plutôt « d’en bas ». Il n’y a pas d’antinomie. Ce qui avait été commencé se continue sous d’autres formes. Les étudiants d’alors avaient ouvert la voie, une partie de la population avait suivi. Aujourd’hui, les gilets jaunes reprennent l’initiative en partant aussi d’eux-mêmes. Partir de soi, maître-mot de tous les mouvements de libération.
L’insupportable solitude de notre monde mondialisé et déshumanisé recule. Quel bonheur de renouer avec le bon sens tant décrié par nos « experts » !
Et les féministes là-dedans ?
De dire enfin les choses telles qu’elles sont, et non telles qu’elles devraient être ! Loin des contorsions langagières et des dénis mortifères. Ces gens-là ne se racontent pas d’histoire. Ils nous remettent les pieds sur terre. Grâce à eux, il n’y a pas de fatalité à la résignation, à la morosité, au malheur. Y aurait-il un avenir autre que le CAC 40, le déferlement migratoire et l’apocalypse climatique ? Rêvons-un peu.
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Et les féministes là-dedans ? On ne les entend guère, pas plus que la gauche dans son ensemble. Or, la majorité des néo-féministes déclarées sont toujours marquées à gauche, cette gauche qui s’est détournée de ses idéaux. Cela les a amenées à donner la priorité à certaines luttes, au détriments d’autres : un antiracisme obsessionnel, la défense des nouveaux opprimés venus d’ailleurs, la promotion du multiculturalisme. La gauche, on le sait, a abandonné les siens pour privilégier « l’Autre ». De ce fait, elle a tourné le dos à son universalisme fondateur par souci du respect des cultures. Or le féminisme, dans son essence, est universaliste et libertaire. Rappelons que mai 68 a permis sa renaissance. En cela la question des gilets jaunes le concerne. 40% des gilets jaunes seraient des femmes. Elles sont à l’initiative du mouvement. Sur leurs épaules pèsent la précarité et la monoparentalité. Il s’agit dans les deux cas d’un combat de libération, d’une aspiration à plus de justice.
Une occasion en or
Ne serait-ce pas l’occasion pour les féministes, au-delà de leurs divergences, d’élargir leur champ politique ? Le féminisme officiel est occupé ailleurs, dans ses propres chapelles, à juste titre. Mais le combat des femmes va bien au-delà du catégoriel. Le féminisme a de vastes ambitions. Il ne se limite pas à la simple égalité entre les sexes. Il prétend bouleverser la donne des relations hommes-femmes, et partant, de la relation humaine. Les gilets jaunes sont un symbole de la domination qu’exercent les uns sur les autres, en l’occurrence les riches sur les pauvres. Elle est source d’une souffrance qui a éclaté au grand jour.
Il importe d’insister sur cette dimension méconnue du féminisme : la prétention à rendre la vie plus douce entre les gens. Voilà qui permet de mieux comprendre les correspondances entre nous et les gilets jaunes.
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