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Quatre ans après, la France n’est plus Charlie

Il y a quatre ans, les frères Kouachi assassinaient 12 personnes en plein Paris


Quatre ans après, la France n’est plus Charlie
Hommage à Charlie Hebdo le 15 janvier 2015 dans Paris. ©JOËL SAGET / AFP

Où est passée la France du 11 janvier ? Quatre ans après l’attentat de Charlie Hebdo, la rédaction du journal vit dans un bunker, l’islamisme gagne toujours du terrain et de plus en plus de sujets sont décrétés indiscutables. Bref, on ne rigole plus du tout. L’édito d’Elisabeth Lévy. 


Il y a quatre ans, les rues de France étaient pleines d’une foule sortie spontanément, brandissant des stylos ou des bougies, pour dire son refus de céder sur sa liberté de penser et de déconner. « Je suis Charlie » : en quelques jours, ce cri silencieux bordé de noir se répandait dans tout le pays ou presque, qui défilait pour sa liberté le 11 janvier. La France est debout, juraient les gouvernants.

Avec le temps tout s’évanouit…

On ne peut pas commémorer éternellement. Quatre ans et une quinzaine d’attentats plus tard, les oursons, les bougies et les incantations sentimentales ne sont plus de mise. On ne s’en plaindra pas, même si on aurait aimé qu’Emmanuel Macron se saisisse de cette occasion pour honorer le journal martyr, dont il n’a pas cru bon, depuis son élection, de prononcer publiquement le nom. Les cérémonies se font plus sobres, les articles sont relégués en pages intérieures et, dans les émissions de télé et de radio, le sujet n’arrive qu’en troisième ou quatrième position, après les gilets jaunes et le procès Barbarin. C’est la loi de l’actualité. On n’oublie pas Cabu, Charb, Honoré, Marris, Tignous, Wolinski et toutes les autres victimes. On se rappelle souvent, à mille petites choses, à quel point le monde est moins joyeux sans eux. La vie, évidemment, a repris ses droits.

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Ce lent travail du temps peut attrister, mais il n’a rien de choquant. Ce qui enrage, c’est que la France n’est plus du tout Charlie. Quatre ans après le 7 janvier 2015, elle semble avoir collectivement oublié les raisons qui l’ont fait descendre dans la rue le 11 janvier. Nous défendions, disons-nous, le droit séculaire de la France laïcarde de bouffer du curé de toute obédience. Face à la volonté affichée par l’islam radical de faire taire toute critique et d’étouffer toute dissidence par la menace et l’intimidation, la France de la liberté d’expression, l’un des droits les plus précieux de l’homme selon la Déclaration de 1789, résisterait, c’était juré. On sait ce qu’il en est aujourd’hui.

Au royaume des peureux, l’islamisme est roi

La rédaction de Charlie Hebdo vit dans un bunker (payé par ses soins), des dizaines de personnes, menacées par des djihadistes, sont toujours sous protection policière. Philippe Val, qui publia en 2006 les caricatures de Mahomet, a vu sa protection drastiquement renforcée au printemps après avoir initié une pétition contre l’antisémitisme demandant aux Musulmans de se livrer à une réinterprétation de leurs textes. En décembre, Zineb el Rhazoui, une ancienne de Charlie qui vit également sous haute protection, a reçu des flopées de menaces pour avoir déclaré, sur le plateau de Pascal Praud : « Il faut que l’islam se soumette à la critique, à l’humour, aux lois de la République, au droit français. »

Il est fort probable que, si un journal s’avisait aujourd’hui de publier des caricatures de Mahomet, tout le monde hurlerait à la provocation. On nous expliquerait qu’il est mal de se moquer de la religion des autres, et que c’est le vieux racisme français qui explique cette inquiétude à l’égard de l’islam. De toute façon, personne ne le fera, car tout le monde a peur. Il est vrai que, quand on n’est pas musulman de naissance, on peut écrire à peu près ce qu’on veut sur le sujet, y compris dans des romans. Hier le fanatisme islamiste s’en prenait à Salman Rushdie. Aujourd’hui, il concentre sa haine sur les images, seules capables d’enflammer des foules d’un bout à l’autre du monde musulman. Il continue à se nourrir de notre lâcheté et de notre indifférence. Et, dans nos banlieues, à séduire une fraction notable de la jeunesse (près de la moitié des lycéens musulmans selon une enquête du CNRS). On ne va pas se prendre la tête avec des problèmes pour lesquels on n’a pas de solution simple comme un slogan.

« Sur le front de la liberté d’expression, la situation est désastreuse »

Du coup, avec le recul, toute cette fièvre, toute cette union, toute cette résistance sonnent terriblement faux. Rien ne sera plus comme avant, tu parles Charles. En vérité, comme l’observe Richard Malka, l’avocat de Charlie qui, en 2007, plaida et gagna l’affaire des caricatures devant la justice, tout est pire : « Sur le front de la liberté d’expression, la situation est désastreuse. Entre politiquement correct, invectives, et peur physique, il n’y a plus de place pour la libre discussion. Et ne parlons pas du blasphème ou de la critique des religions. » On assiste plutôt à une extension permanente du domaine de l’intolérance et de l’interdit.

On ne rigole plus du tout

De ce point de vue le mouvement des gilets jaunes a, dans ses marges, révélé un climat qui gagne du terrain, galvanisé par les réseaux sociaux: on menace de mort toute tête qui dépasse ou qui vous déplaît, on tabasse un gendarme. L’adversaire est un ennemi à abattre. Certes, il s’agit seulement de quelques notes de terreur, qui suscitent immanquablement un concert indigné. On ne sache pas que l’indignation ait jamais vaincu les éructations. Rien à voir avec Charlie, dira-t-on. Sauf que, comme type individuel, le casseur/tabasseur chauffé à blanc, qu’il soit nazillon, ultra-gauchiste ou juste aveuglé par sa haine du « système », a quelques points communs avec la racaille convertie au djihad.

Enfin, le fanatisme, comme la soumission sont un état d’esprit qui peut embrasser bien des objets. On commence par avoir peur de parler de l’islam, puis ce sont les femmes, le climat ou la corrida qui sont soustraits au champ de la libre discussion. Et à la fin, non seulement on ne pense plus rien mais on ne rigole plus du tout.

Alors, mon cher Charb, passe le message aux copains : il y a des jours où on se dit que vous ne ratez pas grand-chose.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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