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Emmanuel Macron peut-il encore gouverner?

La crise ne cesse de s'aggraver et le président refuse de changer


Emmanuel Macron peut-il encore gouverner?
Emmanuel Macron, novembre 2018. SIPA. AP22279724_000002

Loin de « s’essouffler » comme croient le savoir beaucoup de médias, la crise française s’est tellement aggravée qu’on peut se demander si Emmanuel Macron est encore en mesure de gouverner. Si ce n’est pas le cas, est-il inconvenant de demander son départ ?


Il peut sembler inconvenant que l’un des vœux pour cette nouvelle année soit le départ du président de la République. Hormis les manifestants eux-mêmes, bien peu d’intellectuels et d’hommes politiques ont osé le demander ouvertement, mis à part l’insoumis Ruffin et l’ancien député Jean-Frédéric Poisson. Il y aurait ainsi comme une sorte de crainte à formuler l’informulable. Pourtant, au regard de ce que nous enseigne la crise de la réponse du pouvoir et de la personnalité même du président, n’a-t-on pas le droit de se poser la question ? Et puis, elle n’a, après tout, rien d’informulable. Nous n’avons pas dit que le président devait être chassé par la force. Ne peut-il prendre cette décision lui-même ?

Non, les gilets jaunes ne « s’essoufflent » pas

Tout d’abord, nombre de commentateurs nous semblent avoir fait une lecture fausse du phénomène des gilets jaunes en l’assimilant à un mouvement catégoriel classique. Ils traduisent ainsi la baisse du nombre de manifestants, au fur et à mesure que les samedis se suivent, comme un signe « d’essoufflement » du mouvement. Il nous semble que l’analyse des manifestants « exprimés » est bien moins pertinente que celle de la profondeur du mécontentement ou du soutien de l’opinion. C’est comme les feux de forêts : on a beau dire qu’il y a moins de flammes, on sait que s’il y a encore des braises, du bois à brûler et du vent qui souffle, ça repartira à la première occasion. Si l’on veut faire des prévisions, ce sont ces paramètres-là qu’il faut regarder, plus que l’extension des flammes à l’instant T…

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Or, si l’on juge selon ces critères, force est de constater que les deux raisons de fond de la crise, que ce soit le sentiment d’injustice (plus que le manque de pouvoir d’achat) ou bien la question de la représentativité politique de cette « France d’en bas », n’ont reçu jusqu’ici aucun début de réponse claire. Pour reprendre Mao, on leur a tout juste donné un poisson (ou plutôt, on leur a dit qu’on leur rendrait le dernier qu’on leur a pris), mais on ne leur a pas dit, et c’est cela au fond qui les intéresse, comment ils pourront pêcher demain par eux-mêmes.

Macron a aggravé la crise

Pire, peut-être, les fondamentaux de la crise se sont aggravés :

– l’une des raisons tient à l’attentisme du pouvoir, toujours en retard sur l’événement. Quand le fait de lâcher quelques mesures aurait pu suffire, il a baladé le mouvement. Ensuite, lorsqu’après la propagation du feu, et le premier discours du président (et un invraisemblable cafouillage avec le gouvernement), le « paquet de mesures » a enfin été annoncé, le mal était déjà fait. Les revendications s’étaient considérablement approfondies. Cet attentisme maladif a prouvé aux gilets jaunes que le mouvement n’était pas pris au sérieux par le pouvoir, que celui-ci n’en avait pas saisi la nature. L’incompréhension s’est fortifiée.

–  l’autre tient à un phénomène peu mentionné par les médias (et pour cause), alors qu’il a été parfaitement décrypté par les gilets jaunes. Il s’agit de l’amalgame, constamment entretenu, entre les gilets jaunes et les casseurs (amalgame consistant à dire qu’il ne faut surtout pas faire d’amalgame, tout en faisant tout pour montrer le contraire). Ainsi, la surmédiatisation, dès le début, du caractère « désorganisé » du mouvement (le mouvement, au contraire, se « tient » globalement très bien. Il montre beaucoup de souplesse, de décentralisation, de contrôle et de solidarité. Pour canaliser autant de monde, il est même très bien organisé), puis de leur dangerosité (à leur corps défendant, bien sûr), médiatisant ad nauseum les accidents en marge des ronds-points, les scènes de pillages parisiennes, les interpellations et gardes à vue, les pertes des commerçants, le ras-le-bol des badauds, etc. « Ça va bien un moment », pouvait-on lire en filigrane. L’idée de tout cela était d’attaquer non pas le mouvement lui-même, mais son talon d’Achille : le soutien de l’opinion.

Le double jeu du pouvoir

En instillant dans l’opinion l’idée que, quel que soit le côté sympathique du mouvement, celui-ci porte malgré lui, dans ses flancs, une violence insupportable, le pouvoir, et ses nombreux affidés médiatiques, ont tenté d’enfoncer le coin entre le mouvement et l’opinion. Force est de constater que, jusqu’ici, cette stratégie, très consciencieusement appliquée, n’a pas réussi. Mais elle a prouvé aux gilets jaunes le double jeu du pouvoir, tendant la main d’une part, savonnant la planche de l’autre. La confiance, aujourd’hui, est très dégradée, et ce n’est pas le message de vœux du président, avec sa phrase sur « les foules haineuses » (si l’on ne cherche pas l’amalgame, on dit « les individus haineux » ou « les groupes haineux », mais sûrement pas « les foules haineuses »), parfaitement en phase avec cette stratégie, qui les convaincra du contraire. Pour eux, le pouvoir vise surtout deux choses : affaiblir leur image dans l’opinion, et diviser le mouvement, en poussant une partie de celui-ci, par ces provocations grossières, à la radicalisation. Pour le moment, ça ne marche pas, mais surtout, cela compromet la suite, tant il est vrai que le préalable, dans toute négociation, est de convaincre son interlocuteur de sa bonne foi. Comment y parvenir, si on lui montre (et avec quelle maladresse !) que l’on poursuit en même temps deux objectifs contradictoires : trouver un bon accord avec lui et le « couillonner », comme disait Galabru ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les braises, le bois et le vent sont encore là, et plus que là, pour que le feu reparte (et que dire du prochain « tsunami » qui se prépare avec le prélèvement à la source ?) et que la confiance n’y est pas, et n’est pas près d’y être. Mais à supposer que par magie, celle-ci apparaisse, qu’en serait-il de la prise en compte possible des demandes du mouvement ?

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A cela, le géographe Christophe Guilluy répond dans No Society : « Débattre des paradis fiscaux, de l’accentuation des inégalités, du multiculturalisme ou de la place de l’islam en soutenant un modèle qui massacre les catégories populaires relève au mieux de la bêtise, au pire du cynisme. » Le problème principal, en effet, vient du modèle. Il ne s’agit pas, dans la négociation future, d’accepter certaines demandes, ou d’adapter la politique gouvernementale. Il existe clairement une incompatibilité entre le modèle économico-social actuel et celui demandé par les gilets jaunes. Ainsi, le referendum d’initiative citoyenne (RIC) est symbolique d’une demande de retournement de l’origine et de l’objectif du pouvoir. Pour l’origine, le peuple lui-même, et non pas un Etat jugé dévoyé, au service exclusif de la « France d’en haut ». Comme objectif, pas le social sacrifié à l’économique (le libéralisme mondialiste), mais le contraire : l’économique au service du social.

Macron est incapable de changer

Le pouvoir l’a très bien perçu, mais fait semblant de ne pas le voir : il manquait, dans le discours des vœux, un vigoureux « je vous ai compris », avec une annonce d’un véritable changement de cap. Ces annonces, nous ne les avons pas vues, pour trois raisons :

– Nos institutions compliquent beaucoup les changements de cap. Le passage du septennat au quinquennat a réduit considérablement la distance entre le président et le gouvernement. Comment, en effet, changer de cap sans changer de Premier ministre, et comment désavouer celui-ci tout en prenant sa place chaque jour ? Depuis quelque temps, Emmanuel Macron tente de mettre en scène une distanciation nouvelle avec son « premier collaborateur », pour mieux lui faire porter le chapeau si ça se gâte, mais, en réalité, le mal est fait depuis longtemps : le président n’est plus porteur de l’autorité symbolique, celle de garant de l’ordre et de la justice. Il n’est plus qu’un « PM+ ». Ce que Mitterrand avait accompli avec une telle facilité en 1984 (jeter au lac les idéologues qui l’avaient porté au pouvoir, changer de direction à 180°, pour donner au pays le cap libéral adopté par tous les grands pays), Macron ne peut pratiquement plus le faire.

– Macron n’en a pas envie. Il est un homme qui croit profondément à sa propre politique. Issu du monde des élites et de la haute technocratie, il n’a pas les qualités de souplesse et de patience des politiciens « de carrière » qui ont affronté moult élections et revers, qui savent qu’on peut gagner des guerres tout en perdant beaucoup de batailles. Macron n’a pas envie de ressembler à cela. Il préférera aller jusqu’au bout, dans le mur, plutôt que de prendre le vent et louvoyer.

– Macron en est aussi psychologiquement incapable. Ceux qui le connaissent bien savent qu’il déteste avoir tort, et le reconnaitre. Il a de l’intelligence mais pas de plasticité mentale. C’est pour cette raison qu’il n’arrive pas à anticiper ni à prononcer le « je vous ai compris » tant attendu ni à le faire suivre d’effets. Il ne dissoudra donc pas non plus l’Assemblée, parce qu’il ne supportera pas de cohabiter.

La crise ne fait que commencer…

La négociation échouera : les visions des deux parties sont incompatibles, l’une des parties a le sentiment exaltant qu’après tant d’errances, elle s’est enfin trouvée (et elle a acquis une énorme confiance en elle), l’autre partie est sur le reculoir, insincère et malhabile. La pression de la « tectonique des plaques » est bien trop forte et trop ancienne pour que le mouvement faiblisse. Macron ne changera pas de cap, parce que sa politique est la seule chose qu’il veuille faire, et parce qu’il n’est pas capable d’admettre une défaite, même provisoire.

Les trois ans qui vont suivre seront un enfer pour les gilets jaunes (ils le savent déjà et ils y sont prêts), pour les Français (s’en rendent-ils compte ?) et surtout pour le président lui-même, impuissant et  enfermé qu’il sera dans le piège libéral qu’il a lui-même construit. Sa seule sortie, en fait, serait de « pousser le bouchon » encore plus loin, pour que fonctionne son chantage à la radicalisation, que l’opinion lâche le mouvement, que celui-ci se brise, et retourne au ghetto politique d’où il est sorti. C’est peut-être ce qu’il a en tête. Ça ne marchera pas, parce que le dentifrice ne retournera pas dans le tube, et si jamais ça marche, le résultat final et la rancœur seront encore pires. On ne résout pas un problème de tectonique des plaques en faisant exploser les volcans, mais en arrêtant les causes du mouvement des plaques. Pour toutes ces raisons, il vaudrait mieux que le président parte. Est-il capable de s’en rendre compte ? Probablement pas.



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