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Viande: êtes-vous prêt à renoncer à ça?

A l'heure des "lundis verts" écolo, il est grand temps de réhabiliter la viande


Viande: êtes-vous prêt à renoncer à ça?
Viande de boeuf au restaurant "Le Mordant" - ©Hannah Assouline

A l’heure des razzias vegan contre les boucheries, il est grand temps de réhabiliter la viande. Pour privilégier la qualité sur la quantité, voici une sélection de bonnes adresses parisiennes proposant des pièces de veaux, vaches, canards et cochons d’exception.


« Apportez le jeune taureau, sacrifiez-le, mangeons-le et réjouissons-nous, parce que mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie. » (Luc, 15)

Dans la Bible (Genèse, XVIII), Abraham reçoit la visite de trois hommes, qu’il identifie immédiatement comme des messagers de Yahvé. « Réconfortez votre cœur, après quoi vous pourrez continuer votre chemin », leur dit-il. Il ordonne à sa femme Sarah de leur préparer trois galettes de fleur de farine, puis court au gros bétail, et s’empare d’un « veau tendre et bon » qu’il prépare et sert lui-même à ses invités avec du beurre et du lait.

Les Hébreux n’étaient donc pas végétariens, mais considéraient la viande comme un mets divin, rare et précieux, qu’il fallait honorer, savourer et réserver aux grandes occasions.

Pour les Romains, qui étaient des gens pragmatiques, comme chacun sait, le mot latin vivanda désignait tout ce qui sert à conserver et à renforcer la vie. Ainsi, par extension, le mot « viande », qui est l’un des plus anciens de la langue française, fut créé pour appeler, au Moyen Âge, toutes les nourritures et les provisions. Encore au xviiie siècle, madame de Sévigné, nous apprend Alain Rey, parlait de « viandes » au sujet de ses ragoûts et de ses salades de concombre et de noix… Bref, la viande, c’est la vie.

Avons-nous donc encore le droit d’aimer la viande ?

Pour conjurer le souvenir des disettes passées (nos parents eurent faim entre 1940 et 1945), nous nous sommes mis, depuis les Trente Glorieuses, à nous empiffrer de barbaque quasiment à chaque repas, ce qui est une aberration, ne serait-ce que pour notre corps qui est incapable d’assimiler à fortes doses l’acide urique contenu dans la viande et qui est responsable de la fameuse goutte, endurée notamment par les mangeurs de gibiers faisandés.

Banalisée, insipide, indigeste et chargée de souffrance animale, la viande a donc perdu aujourd’hui son aura sacrée et son statut d’objet culturel (contrairement au vin, au pain et au fromage). Les grands chefs, du reste, l’utilisent de moins en moins et lui préfèrent les légumes « grands crus », vendus au prix du caviar, pendant que les mangeurs de tofu attaquent les boucheries et libèrent dans la nature les lapins Rex du Poitou, au nom d’un véganisme fondamentaliste érigé en contre-culture, comme si acheter des steaks végétaux faisait d’eux des révolutionnaires.

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Dans le très beau livre illustré consacré à la viande, Louchebem, conçu et édité en 2011 par Valérie Solvit, Claude Lanzmann nous fait part de son amour des bouchers : « Si mon fils, qui vient d’entrer en lettres supérieures au lycée Henri IV, m’avait confié son désir de devenir boucher, je lui aurais donné ma bénédiction et aurais tout fait pour qu’il soit instruit dans les meilleures écoles et qu’il fasse son apprentissage chez les plus grands bouchers. (…) Aujourd’hui, le temps des bouchers est venu. Ils exercent le plus noble des métiers et sont les moins barbares des hommes. »

Il y a deux mille quatre cents ans, Tchouang-tseu, le fondateur du taoïsme, considérait l’art de la découpe, chez les bouchers, comme un modèle de force tranquille, de beauté et de sagesse : « C’est l’esprit qui opère, plus que les yeux. Un médiocre boucher use un couteau par mois, parce qu’il le brise sur les os ; alors qu’un bon boucher use un couteau par an, parce qu’il ne découpe que la chair. Le boucher d’exception garde son couteau toute sa vie, il a travaillé plusieurs milliers de bœufs, son tranchant donne l’impression qu’il vient d’être aiguisé… »

Non seulement les bons bouchers sont doux comme des agneaux, non seulement ils maîtrisent l’art de la découpe, mais, à leur contact, on apprend aussi sans cesse quelque chose. Comment, par exemple, un animal doit accomplir sa croissance, de façon harmonieuse, afin que ses masses musculaires et graisseuses soient proportionnées à son squelette. À quel moment de l’année il vaut mieux déguster un canard de Chalosse ou un porc noir de Bigorre (en décembre), un bœuf fin gras du Mézenc nourri au foin d’Auvergne et à la réglisse sauvage (à partir de février), un agneau prés-salés du mont Saint-Michel (pas avant le mois de juin). Comment, surtout, il faut laisser reposer une viande autant de temps qu’on a mis à la cuire. Voici une sélection d’adresses parisiennes où toutes ces règles sont respectées à la lettre.

Le Mordant

Dans le 10e arrondissement, ce restaurant de 120 m2 occupe la place d’un ancien supermarché. Le parquet en chêne est du xixe siècle, les murs en pierre de Paris s’élèvent à quatre mètres de hauteur. Lucas Blanchy, le patron, était naguère sommelier au Lafayette Gourmet. Sa devise est qu’on ne vient pas chez lui pour manger de la cuisine toute molle, mais pour mordre à pleines dents des viandes d’exception, parfaitement cuites et assaisonnées. « Chaque morceau a sa texture et se travaille différemment, c’est ça qui est passionnant. » Son plat phare est le tataki de bœuf, une pièce peu grasse et épaisse saisie à la plancha après avoir mariné dix-huit heures dans une sauce teriyaki au soja, à la bière brune, aux herbes et aux épices. On découpe des tranches très fines auxquelles on ajoute de l’avocat et de la coriandre. Un régal de tendreté qui appelle l’exceptionnel beaujolais « Cuvée tentation » de Jean-Claude Lapalu (28 euros la bouteille). Toutes les viandes proviennent d’éleveurs artisanaux, comme Samuel Fouillard, dans l’Aisne, qui s’est spécialisé dans le taureau Aberdeen Angus, originaire d’Écosse. Toutes les bêtes sont gardées de 18 à 30 mois dans les pâturages (et à l’étable l’hiver), sans stress, et ne sont nourries qu’à l’herbe, au foin et aux céréales (pas d’ensilage qui donne un goût atroce). Après avoir été grillées et poilées, les viandes reposent vingt minutes, et ainsi se détendent, redeviennent moelleuses, et libèrent leur jus et leurs goûts d’herbes, de fleurs et de noisette, sublimés par la sauce béarnaise maison… Mais le plus délicieux, ce sont encore les « bas morceaux », réputés secs et pas nobles, que Lucas Blanchy fait cuire deux jours dans du vin et du fond de veau, avant de les servir effilochés, tendres et croustillants, avec du chou rave caramélisé, des carottes confites et une purée de pommes de terre à la crème et au beurre.

Le Mordant (21 euros le menu à midi, 50 euros le soir, vin compris), 61, rue Chabrol, 75010 Paris, Tél : 09 83 40 60 04

La Poule au pot

À l’intérieur, rien n’a changé depuis 1935, ni le papier peint, ni le zinc, ni les banquettes, ni les lustres. À l’origine, La Poule au pot était une boucherie, comme nous le rappelle son sol en pente qui permettait au sang de s’écouler jusque dans la rue… En juin 2018, cette institution nocturne des Halles a été reprise par le grand chef deux étoiles Michelin Jean-François Piège. La carte n’a pas changé d’un iota et on se brûle toujours avec la légendaire gratinée à l’oignon et aux croûtons, dont le fromage fondu s’étire sur 50 cm (difficile de rester distingué en faisant « schlurp »…). Le changement, c’est que Piège a élevé le niveau en utilisant les mêmes produits que pour son restaurant gastronomique situé entre l’Élysée et la Madeleine (Le Grand Restaurant). Ainsi les cuisses de grenouilles en persillade viennent-elles de France (et non de Turquie), les volailles de Bresse et les viandes de la boucherie Metzger, à Rungis. « Ces dernières années, le niveau de qualité des produits de base, comme le lait et les œufs, s’est effondré, regrette Piège, quand on les goûte, c’est une horreur. Je suis obligé d’aller chercher mon beurre, ma crème, mon lait et mes œufs dans des petites fermes au fin fond de la Bretagne. » C’est pourquoi sa blanquette de veau et son île flottante aux pralines roses sont mémorables ! Sa poule au pot est cuite au bouillon, avec des herbes et des abats, accompagnée de bon riz blanc. Et entre le hachis parmentier de joue et de queue de bœuf et le quasi de veau au four, aux girolles et à la crème parfumée au savagnin, notre cœur balance… Surtout, le lieu est bon enfant et typiquement parisien. La plupart des clients sont des habitués qui viennent déjeuner deux fois par semaine. La vaisselle a été chinée par le chef. La carte des vins est géniale et accessible. Parfois, un chanteur de l’opéra de Paris se lève en plein milieu du repas et se met à chanter…

La Poule au pot (menu à 48 euros), 9, rue Vauvilliers, 75001 Paris

Le Relais de Venise – Son entrecôte

Créée en 1959 près de la porte Maillot par un vigneron de Gaillac, Paul Gineste de Saurs, cette maison est une adresse culte. Midi et soir, il faut faire la queue, car il n’y a pas de réservations, les premiers arrivés sont les premiers servis… D’abord réservée aux routiers, cette maison au décor inchangé, digne des Tontons flingueurs, a reçu la visite des grands de ce monde : la famille du shah d’Iran, Alain Delon et tous les présidents de la Ve République. Son principe ? Un plat unique, entrecôte-frites précédée d’une salade aux noix (pour patienter), le tout accompagné d’une sauce maison assez incroyable dont la formule, inventée par le fondateur, n’a jamais été divulguée. Évidemment, les autres membres de la famille Saurs n’ont pas manqué de reprendre le concept et de créer des « Entrecôtes » ou des « Relais de l’entrecôte » un peu partout en France, à Paris, et même à l’étranger, mais, pour les puristes, l’original historique, le seul, le vrai, c’est le Relais de Venise : son entrecôte, dans le 17e arrondissement.

Entre les tables bondées, d’admirables serveuses toutes de noir vêtues se faufilent comme des anguilles. On y est serré, les uns à côté des autres, mais c’est cette promiscuité dissoute dans le brouhaha qui assure la confidentialité des conversations. À côté de nous, une dame de 70 ans, madame Toussoun, Égyptienne d’origine, vient ainsi déjeuner ici chaque semaine depuis l’âge de 16 ans ! La même boucherie de quartier, de la famille Pétard, fournit le restaurant depuis 1959. Trois mille cinq cents vaches par an, soit dix vaches par jour. Le contre-filet grillé est présenté en tranches fines, en deux services, afin que la viande reste chaude. La fameuse sauce blanche maison, qui contiendrait près de 70 ingrédients, est aussi indescriptible qu’ensorcelante. Les frites maison, quant à elles, sont parfaites, pelées, coupées et lavées chaque matin avant d’être cuites deux fois, comme c’est la règle.

Le Relais de Venise – Son entrecôte (menu unique à 28 euros), 271, boulevard Pereire, 75017 Paris, Tél : 01 45 74 27 97

Le meilleur steak de Paris ? 

Beefbar a ouvert ses portes rue Marbeuf en novembre dernier et c’est déjà un événement. Deux années de travaux ont permis de restaurer la magnifique salle Art nouveau de 1890, inscrite aux Monuments historiques, et qui avait été emmurée pendant la guerre pour échapper aux Allemands. Le cadre est somptueux, donc, mais on s’y rend surtout pour la viande, d’une qualité exceptionnelle. Né à Gênes en 1975, Riccardo Giraudi, le fondateur, importe des viandes d’exception du monde entier. Il est ainsi l’importateur exclusif, en Europe, du mythique bœuf noir de Kobe, au Japon, vrai caviar sur pattes, massé deux fois par jour pendant trois ans, nourri aux herbes et aux céréales et terminé au houblon et à la bière. Après l’abattage, sa carcasse repose vingt jours pour atteindre la maturité. Le résultat est une viande marbrée, incroyablement grasse, qui fond dans la bouche, qu’il faut découper en fines tranches et cuir très vite sur une plaque chauffante.

Riccardo Giraudi propose aussi des viandes somptueuses d’Écosse, des États-Unis, d’Australie, des Pays-Bas et même… de France. « Une bonne viande est une viande constante. Deux facteurs sont déterminants : la génétique de l’animal, et son alimentation. Or, il y a eu trop de croisements en Europe, entre races à viande et races laitières, ces dernières années, et les bons éleveurs sont rares. Il vaut donc mieux manger peu de viande, mais de la bonne, à 50 euros le steak, une fois de temps en temps… »

En France, le standard est la génisse de 7 ans, alors qu’en Italie, on préfère le jeune bœuf de 18 mois, question de culture et de goût. Au Beefbar, la viande est cuite très vite à 1 000 degrés, grillée par le dessus, et assaisonnée d’herbes de Provence, de fleur de sel et d’épices pour lui donner du croustillant. Quinze purées différentes, relevées au citron vert ou à la truffe blanche… « J’ai voulu introduire les recettes de la “street food” populaire et internationale dans l’univers guindé du restaurant gastronomique, on se régale donc sans complexe avec des burgers, des tacos, des tatami et des pizzeta… »

Beefbar (menu déjeuner à 35 euros, 80 euros le soir avec le vin), 5, rue Marbeuf, 75008 Paris

Le retour des vrais bistrots

À deux pas de la place Saint-Georges, dans ce qui demeure l’un des quartiers les plus agréables de Paris, entre le musée Gustave-Moreau et le Musée de la vie romantique, voici un bistrot vivant comme on les aime. Quand on découvre sa façade, son zinc et son carrelage, on a le sentiment qu’il a toujours été là, intemporel, alors qu’il n’a été créé qu’il y a cinq ans, par un amoureux des bons produits : Benoît Duval-Arnould.

Tête de veau ravigote, carpaccio de veau au couteau, tartare de bœuf, os à moelle de vache normande, culotte d’agneau de Lozère mijotée dix heures… Benoît se fournit en direct auprès d’une quinzaine de producteurs et de bouchers d’exception, comme Gabriel Gauthier, le célèbre boucher de Clermont-Ferrand, qui lui expédie parfois un très rare « veau de soie » au grain très fin : « On reçoit un demi-veau entier, et notre métier, avant de le cuisiner, avec des légumes et des pommes de terre truffées, c’est de savoir découper et parer la viande. »

Pierre-Vincent Prieux, de la Ferme des abbés, dans le Gâtinais, lui livre des chapons dodus à pleurer, pendant que le beau gosse Jean-Baptiste Bissonnet, septième génération des fameuses Boucheries nivernaises (créées sous Napoléon III, et qui fournissent l’Élysée et les plus grands palaces de Paris) lui propose des chevreuils entiers et des côtes de bœuf Simmental de Bavière, bien denses et persillées, comme les aimait Wagner.

« Nous sommes des aubergistes, déclare Benoît, nous faisons le lien social entre les citadins et les paysans, entre les patrons et les ouvriers, entre les vieux et les jeunes, nous restaurons, nous faisons du bien, nous apportons du plaisir, nous évacuons la violence, si les bistrots cessaient d’exister, nous serions tous à l’asile ou en prison ! »

À la carte, 1 250 références de vins. La carte change trois fois par semaine. Le millefeuille fait minute « mérite à lui seul le voyage », comme on disait au Guide Michelin autrefois…

Le Bon Georges (menu à 21 euros à midi), 45, rue Saint-Georges, 75009 Paris

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Janvier 2019 - Causeur #64

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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