Et une polémique en bois, une ! Accusée par Richard Ferrand d’avoir hitlérisé le président Macron après une « une » au graphisme totalitaire, la rédaction du Monde s’est défendue de tout parallèle oiseux… tout en s’excusant. La macronie se fait décidément une étrange conception de la liberté de la presse.
Décidément, ces Gaulois réfractaires ne nous laissent jamais tranquilles. Après 2018 opportunément décrétée « année de la cohésion de la nation » et de le « concorde » par Emmanuel Macron lors de ses vœux pour 2018, après plusieurs mois de tumulte, plusieurs centaines de blessés, d’estropiés, d’éborgnés, de gardés à vue, de manifestants remontés comme des pendules, le dernier week-end de l’année aura permis une belle empoignade dont l’hexagone a le secret.
Que de polémiques stériles…
En cause, la dernière « une » du magazine hebdomadaire du Monde. Celle-ci, d’un graphisme particulièrement élégant, montre le président Macron sur fond de noir, de rouge et de maxillaires carrés, renverrait à la symbolique nazie. Et comme l’essentiel désormais est de s’indigner à tout prix, de catéchiser, on s’indigne, on catéchise, par nécessité, par habitude, par réflexe, on se croit absolument obligé de prendre parti, même tous ceux (et ils sont nombreux…) qui ne lisent plus Le Monde depuis belle lurette. On ne sait pas s’il s’agit de s’indigner parce que Macron serait comparé au petit peintre paysagiste allemand devenu dictateur génocidaire arrivé démocratiquement au pouvoir. Peut-être s’agit-il de s’indigner parce que l’utilisation de ce style graphique serait devenu en lui-même tabou en ce qu’il renverrait à une esthétique désormais insoutenable. Ou peut-être s’offusque-t-on sans trop savoir exactement pourquoi.
Tout ceci serait relativement anodin si le pays n’était pas depuis des mois voire des années agité de polémiques stériles instrumentalisant les années 30 et leurs redoutables bruits de bottes. Le pouvoir en place s’est construit sur cette rhétorique du combat contre la bête immonde, c’est même la seule raison pour laquelle LREM a accédé au pouvoir, et ce point Godwin de toute pensée, politique, intellectuelle, médiatique, à présent graphique, est utilisé en toute circonstance par le pouvoir. Sans cela, il n’existerait même pas.
Garder deux Ferrand au feu
Autant dire qu’en plein contexte de très forte contestation sociale et politique, cette aubaine offerte (pour une fois à son corps défendant) par l’équipe de Pigasse à la start-up En Marche ne risquait pas de rester inexploitée. Aussitôt pris d’une indignation frénétique et en recherche manifeste d’un point Godwin d’atterrissage, le président de l’Assemblée nationale (Richard Ferrand, s’indigne dans un tweet où la « une » du Monde et une affiche hitlérienne sont mises côte à côte. Le quatrième personnage de l’Etat critique donc le choix de la rédaction, sans se préoccuper outre-mesure de la liberté artistique et graphique de la presse : « Hâte de comprendre ce qui fonde les références graphiques et iconographiques du Monde. S’il ne peut s’agir de hasard, de quoi s’agit-il alors ?… »
Hâte de comprendre ce qui fonde les références graphiques et iconographiques du @lemonde_M S’il ne peut s’agir de hasard, de quoi s’agit-il alors ? À la recherche du sens perdu… pic.twitter.com/MHMmia0G2c
— Richard Ferrand (@RichardFerrand) 29 décembre 2018
Ferrand somme tout simplement le journal de répondre de ses choix éditoriaux. En même temps, commet un tweet au sujet d’un incendie en cours devant le siège du Parisien. S’indignant de manière virulente après une nouvelle journée de mobilisation des Gilets jaunes, -coupables, forcément coupables-, le président de l’Assemblée prend soudainement la défense… de la liberté de la presse. N’attendant pas de savoir si l’incendie est criminel ou accidentel, monsieur Ferrand s’indigne : « S’attaquer à la presse procède de la haine des libertés. A quand des autodafés ? Condamnation totale de ces actes criminels. » Achtung grosse ficelle…
Le Parisien (accidentellement) incendié
Dans le même esprit, de nombreux médias insinuent que l’incendie du siège du Parisien serait le fait des Gilets jaunes qui, comme chacun sait à force de l’entendre martelé, sont tous des soraliens antisémites nazis – au motif qu’une dizaine de blaireaux sont allés faire des quenelles devant le Sacré-Cœur. Hélas, il est confirmé ce que tout le monde subodorait : l’incendie était accidentel, émanant d’un moteur de voiture en surchauffe dont le malheureux conducteur (qui n’avait même pas de gilet jaune, ce qui, au regard du code de la route, pourrait toutefois constituer une infraction), tentait en vain d’éteindre l’incendie de son véhicule. Sans autre forme de précaution, des journalistes présents dans les locaux y ont vu un acte criminel, à l’image de Catherine Gasté, auteur de ce tweet tout en retenue : « Incendie déclenché devant l’entrée du Parisien. Des gens travaillent à l’intérieur !!! Irresponsable et scandaleux. »
S’attaquer à la presse procède de la haine des libertés.À quand des autodafés ? Condamnation totale de ces actes criminels. https://t.co/XrG1NU3xla
— Richard Ferrand (@RichardFerrand) 29 décembre 2018
On peut cependant s’étonner de ce que des personnes se présentant, dans leur profil Twitter comme « grand reporter », n’en aient pas profité pour aller faire un peu de grand reportage sur le terrain. Elles se seraient alors rendu compte des faits, des simples faits, auraient pu fact-checker qu’un incendie de voiture n’égale pas l’incendie du Reichstag et auraient ainsi évité de tomber précisément dans ce que les Gilets jaunes avaient dénoncé toute la journée durant : l’instrumentalisation idéologique de l’information à des fins de propagande.
La Charente (plus très) libre
Les mêmes parangons de la démocratie n’ont pas semblé s’émouvoir de la convocation en cours de leurs confrères de La Charente Libre dans le cadre d’une procédure pénale visant à les incriminer pour la simple raison qu’ils ont montré des faits déplaisant au pouvoir en place. Il faut dire, la Charente, c’est loin.
Sur ces entrefaites, la rédaction du Monde s’est empressée piteusement de s’excuser pour son choix graphique. Aussi les lecteurs ont-ils été rassurés d’apprendre que le style graphique incriminé n’était en rien lié à la période hitlérienne, mais à l’univers du très talentueux Lincoln Agnew, et, en matière historique, bel et bien au constructivisme russe. Voici les lecteurs et donneurs d’ordres politiques rassurés : on ne vous compare pas, monsieur Macron, à Hitler mais à Staline ! Ouf, on a eu peur. Et en prime, pour nous faire pardonner, on va vous faire passer pour le petit père des peuples et du prolétariat ! Tout est pardonné, hein ? En signe d’obéissance, c’est tout juste si Le Monde ne s’est pas dit prêt à renoncer à sa célèbre typo gothique, trop suggestive des heures sombres.
S’excuser d’une faute que l’on n’a pas commise
Pourquoi la rédaction du Monde s’est-elle sentie obligée de s’excuser ? Telle est bien la question, en vérité. L’habitude d’être aux côtés des catéchistes et résistants de pacotille, peut-être. La peur de l’émancipation, sans doute. L’angoisse d’avoir à de nouveau travailler intellectuellement autrement que selon la logique binaire du gauchisme culturel (facho-antifacho) qui l’animait jusqu’alors, certainement. Par inexpérience de la liberté, en tout état de cause.
Car enfin, et si, au pire du pire, la rédaction avait voulu, même inconsciemment, souligner quelque vague rapport entre la bunkerisation du pouvoir élyséen, les pratiques antidémocratiques en cours et le pouvoir idéologique et politique macronien, et ce qui fait figure emblématique de la dictature, en quoi aurait-il encore à s’en excuser ? En admettant éventuellement que ces comparaisons soient excessives, en quoi peut-on admettre pareille intrusion d’un quelconque pouvoir politique, en démocratie, dans la liberté de la presse, et, plus largement, dans la liberté de conscience ?
Pour finir, comment peut-on tomber aussi bas intellectuellement qu’en acceptant de s’adonner au jeu des connotations esthétiques ? Lors du fameux selfie moite aux Antilles ou de la photo de famille queer à l’Elysée le 21 juin, les esprits réactionnaires, critiques et chagrins ont été sommés de ne pas dire ce qu’ils voyaient, à savoir un style iconographique gay. Ils ont été accusés d’homophobie car ils énonçaient, après tout peut-être à tort, ce qu’ils croyaient voir. Et soudain, il faudrait que le jeu des connotations et des représentations collectives soit de nouveau légitime, dès lors qu’il sert les intérêts d’un pouvoir qui se victimise pour exister ?
Alors, soyons fous : et si 2019 était l’année de la vraie politique, au lieu des instrumentalisations, des manipulations, des indignations sociétales, gauchistes et victimaires, lesquelles empêchent à toute forme de vraie politique digne de ce nom d’exister depuis une bonne trentaine d’années ? Et si 2019, cohésion ou pas, était l’année du retour des vraies questions ?
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