Une partie de la France d’en haut rejette en bloc les « gilets jaunes » et s’inquiète d’un éventuel retour de l’ISF. Aux antipodes de la France périphérique, ces classes possédantes qui roulent en Jaguar se vivent de plain-pied dans la mondialisation. Enquête sur la sécession des nantis.
Garée au milieu d’une avenue du 8e arrondissement, une Rolls-Royce d’une belle couleur bordeaux suscite l’intérêt des photographes qui parcourent le secteur. À l’affût d’incidents qui, heureusement, épargnent globalement Paris en ce cinquième samedi de la mobilisation des « gilets jaunes », ils prennent la voiture en photo. On ne sait comment interpréter l’image. Peu soucieux des risques de dérapage, quelqu’un aurait tout simplement oublié l’auto ou l’aurait, au contraire, exhibée comme on agite un chiffon rouge devant une force obscure et menaçante, presque animale. La légende choisie par Le Figaro vise à apaiser les esprits sur une note discrètement humoristique : « Un riverain optimiste ! »
« Je suis plus préoccupé par la courbe des taux aux États-Unis que par les gilets jaunes. »
Mes interlocuteurs, tous issus de ce monde d’en haut, dont on ne cesse de décrier la déconnexion de la réalité de la France d’en bas, ne le sont point. Au contraire. Qu’ils fassent partie de la technostructure ou d’une poignée de super-riches, ils ne cachent pas leur inquiétude ou, à minima, leur agacement, face au mouvement social qui les a pris au dépourvu. Albert[tooltips content= »Les prénoms ont été modifiés »]1[/tooltips], 54 ans, gestionnaire de patrimoine installé sur la Côte d’Azur, me répond avec exaspération à l’évocation de la révolte qui secoue le pays, comme s’il chassait un moustique : « Je me prends la baisse du pétrole en pleine figure. Alors je suis plus préoccupé par la courbe des taux aux États-Unis que par les “Gilets jaunes”. » Une fois libéré de ses obligations professionnelles, il se fait plus loquace et, aussitôt, tranche : « C’est une révolution de l’envie ! » Je demande un éclaircissement et l’obtiens. La plus grande crise sociale depuis Mai 68 serait une affaire d’algorithmes. Selon Albert, elle a été attisée, sinon engendrée, par des serveurs étrangers, essentiellement russes, programmés pour remonter les messages d’indignation, émotionnels et violents, au détriment des analyses factuelles. « Il n’y a pas de revendications claires. On ne sait pas ce que veulent ces gens-là. »
« Le Français est jaloux ! […] En France, ceux qui réussissent doivent s’en excuser. »
Javier, 46 ans, un franco-espagnol, polytechnicien au chômage depuis qu’il a décidé, il y a trois mois, de démissionner de son poste ultra lucratif, ne dit pas autre chose : « Le Français est jaloux ! En Espagne ou en Grande-Bretagne, on te félicite
