Fin novembre 2018, alors que la tension entre Moscou et Kiev atteint un niveau dangereux et qu’une grave crise se noue autour du contrôle de la mer d’Azov, l’Ukraine sous loi martiale commémore le début du mouvement populaire de l’hiver 2013-2014. Une deuxième naissance pour cet État officiellement créé à l’été 1991 pendant l’effondrement de l’URSS.
Il y a cinq ans, après des années d’atermoiements sur une ligne de crête géopolitique entre la Russie et l’Europe, Kiev trébuche. La crise éclate pendant la dernière semaine de novembre 2013 au cours de laquelle, le président Viktor Ianoukovitch décide, contre l’avis du Parlement, de ne pas signer l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine, considéré par Moscou comme un casus belli. L’annonce de ce refus douche les espoirs des Ukrainiens partisans d’une intégration de leur pays à l’UE et à l’OTAN. Une foule envahit la place principale de Kiev, Maïdan. Le mouvement dure une centaine de jours, jusqu’à la « Révolution de février », qui se solde par la destitution puis le départ en exil du président, le déclenchement de la guerre civile, la cession à la Russie d’une partie de l’Est ukrainien (Donbass) et surtout l’annexion de la Crimée par la Russie. En ce début d’hiver 2018-2019, c’est autour de Maïdan et face au frère ennemi russe qu’un nouvel imaginaire et une nouvelle mémoire se construisent. Les photos de Thomas Girondel montrent comment les initiatives de citoyens et les décisions politiques se sont conjuguées pour transformer une place en lieu de mémoire porteur du roman national.
La veille de la commémoration du cinquième anniversaire de la révolution, un homme admire la vue donnant sur la place de l’Indépendance (Maïdan Nézalejnosti).
Des portraits de manifestants tués durant les événements de Maïdan ont été installés près de l’Hôtel Ukraine, un des lieux d’où les tireurs d’élite, sous les ordres du président déchu Ianoukovitch, tiraient sur la foule.
Dans le quartier historique de Podil, la fresque d’une jeune femme en habit traditionnel symbolise la renaissance de l’Ukraine.
Andrei, 22 ans, étudiant en droit : « Je ne suis pas fier de cette révolution. Au début, j’y ai cru mais, à part la liberté de voyager en Europe, la situation du pays a empiré. De nombreuses personnes ne peuvent plus se permettre d’acheter certains biens. Mais même si la révolution a été sanglante, la société a pris conscience de ses valeurs, de sa culture, un fort patriotisme est palpable. Ce dernier peut être dangereux, certaines personnes de la société civile font maintenant partie du gouvernement sans que l’on sache qui elles sont. L’Ukraine est devenue une nouvelle nation pour les jeunes, mais ça s’arrête là. L’esprit post-Maïdan s’arrête aux grandes villes. »
Trois jeunes jouent de la bandoura à l’entrée du métro Maïdan Nézalejnosti. Jadis victime de la répression culturelle des régimes tsariste et soviétique, cet instrument folklorique ukrainien connaît une nouvelle jeunesse depuis la révolution de Maïdan.
Sous l’Arche de la diversité́ (autrefois appelée « Arche de l’amitié́ entre les peuples »), Khrouchtchev a installé en 1954 des statues symboles de l’amitié́ russo-ukrainienne. De nombreux Ukrainiens réclament aujourd’hui la destruction ou la transformation de ce monument. Il est question d’en faire une arche de l’unité nationale ou un monument aux morts ukrainiens tombés face à la Russie de 1918 à nos jours. L’influent directeur de l’Institut de la mémoire nationale Volodymyr Viatrovytch propose d’y dresser un Panthéon ukrainien.