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Et au milieu du chaos, les gilets jaunes protègent une DS blanche

Le symbole d'une France perdue, en forme d'étendard de leur lutte


Et au milieu du chaos, les gilets jaunes protègent une DS blanche
La DS blanche de Saint-Augustin épargnée par les violences de la place Saint-Augustin à Paris, 1er décembre 2018. ©Capture d'écran BFM TV

Si Paris s’est encore embrasé, samedi 1er décembre, les gilets jaunes ont su protéger un symbole d’une France perdue, en forme d’étendard de leur lutte: au milieu des flammes et des lancers de pavés, une DS blanche a été épargnée. 


Quand les foules s’embrasent, le matériel urbain vole en éclats. Samedi, en début de soirée, Paris a retrouvé cette vieille odeur de lacrymos et de poubelles brûlées. Ces vapeurs de l’Histoire qui font de notre capitale l’épicentre des tension sociales, depuis des siècles. Le chaudron de nos peurs et de nos rancœurs. Le lieu de tous nos rendez-vous manqués. Tout commence et se termine à Paris, comme dans une chanson d’Aznavour.

La France qui souffre…

Le visage d’un peuple, uni et débordé, éruptif et sensible, casseur et triste, s’est rappelé au bon souvenir des élites déconfites. C’était donc ça la France qui souffre, qui crie et qui désespère. Cette France hors des enceintes protégées, loin des métropoles emmurées. Tous ces anonymes sont sortis des périphéries, de toutes ces villes fantômes que notre République a créées dans l’indifférence et le déni. Ces éternels recalés du système sont venus des profondeurs des départements ruraux pour rappeler leur droit à un peu de dignité. Dans la confusion générale, tous ces perdants de la mondialisation ont dit : stop !

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Des retraités appauvris, des étudiants-travailleurs, des commerçants asphyxiés, des policiers abandonnés, des agriculteurs perdus, des salariés à bout de souffle, de droite comme de gauche, cohorte d’abstentionnistes, ils étaient tous là, sans honte, à exposer en plein jour leur déclassement. Il en faut du courage pour s’avouer à genoux, prêt à exploser.

…et qui sent le soufre 

Leur ras-le-bol a été immédiatement sali, dénaturé, déformé, déconsidéré par des médias qui firent l’amère expérience de la vie chère, ce quotidien brutal partagé par des millions de Français. Cette sincérité-là ne pouvait plus être tue, ni ensevelie sous les sarcasmes habituels des éditorialistes périmés. Pas de porte-parole officiel au bout du micro, de communicant vermoulu sous les projecteurs, ni même de ces cortèges encadrés comme un concert au Stade de France, seulement l’irruption du réel dans le confort ouaté des studios. Ces gilets jaunes à travers tout le pays, dans des rassemblements aussi désorganisés que remontés, sans chefferie, ni PowerPoint dans leur attaché-case, tous ces invisibles en sac à dos, marcheurs en colère, nous ont renvoyé l’image d’une nation à l’agonie. À la déchéance des fins de mois compliqués, ils durent supporter, pendant plus de trois semaines, les errements du pouvoir.

Samedi 1er décembre, dans ce nuage de fumée, il y eut des gestes déplorables et héroïques, des conneries impardonnables et des sursauts de panache. Malgré les débordements, l’âme française, brouillonne et toujours si perspicace sur la situation actuelle, n’était pas morte. Elle brillait sous les feux de bengale. Un événement anodin, et finalement essentiel pour la compréhension de ce mouvement, eut lieu Place Saint-Augustin.

La DS, patrimoine des gilets jaunes

Au milieu des débris et des voitures calcinées, une Citroën DS blanche fut épargnée de la vindicte populaire. Dans cette exception merveilleuse, superbe et ridicule à la fois, on peut y voir une plaisanterie, le respect pour la belle mécanique d’antan, un éclair de lucidité dans la bêtise à chaud ou quelque chose, de plus fort encore, le souvenir d’une époque bénie. La mémoire vive des Trente Glorieuses, leur croissance, leur partage, leur redistribution, leur foi dans l’avenir, dans le progrès.

 

Cette Déesse dessinée par un carrossier italien a incarné, pour les manifestants d’un soir, un monde à jamais détruit, le condensé des espoirs déçus. Cette bagnole chère à Fantômas et au Général n’était pas seulement un moyen de locomotion, un parangon de la mobilité mais une œuvre d’art. Une cathédrale que Roland Barthes avait tentée de percer. Une mystique faite d’acier.

Cette ligne aérodynamique avait mis le monde automobile en émoi au milieu des années 1950. Un produit industriel fabriqué en France par nos ouvriers pouvait générer de la féerie. Un peuple capable de construire, d’imaginer une telle voiture avait de la ressource, du nerf et encore des rêves. Alors, confusément, les manifestants ont estimé que toucher à ce morceau de France aurait été une manière de se dégrader. Cette DS fut un phare dans la nuit de samedi.

Elle disait, en substance que l’intelligence, l’émotion, la créativité, l’engagement vers une société plus juste demeurent des traits fondamentaux de notre République.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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