Pour la première fois, après plus de cinquante ans de boycott, deux listes arabes ont concouru aux municipales de Jérusalem. Un pas de plus vers un Etat binational ?
Le 30 octobre, les Israéliens ont été appelés aux urnes pour élire maire et conseils municipaux. Contrairement à la France, dans l’Etat hébreu, ce rendez-vous électoral n’est que très rarement vu comme un test pour le pouvoir en place. En revanche, les dynamiques qui s’expriment lors de ces scrutins locaux mettent en avant, plus encore que les échéances nationales, les tendances de fond qui travaillent la société israélienne.
La consigne de l’OLP (timidement) bravée
C’est justement le cas des élections municipales à Jérusalem, une ville mosaïque où les principaux communautés et groupes socioculturels israéliens (Arabes palestiniens, Juifs religieux et Juifs non religieux) élaborent laborieusement une version locale du vivre-ensemble à l’ombre écrasant des symboles.
Or, si ces derniers décennies, les scrutins dans la ville sainte avaient comme principal enjeu la montée démographique et politique des communautés juives orthodoxe et le déclin de la population laïque-séculière, la campagne de 2018 a, pour la première fois, vu les Arabes palestiniens prendre timidement le chemin des urnes. Car depuis juin 1967, date à laquelle la vieille ville annexée en 1949 par la Jordanie a été conquise par Israël, ses habitants ont suivi la consigne de l’OLP : refuser la citoyenneté israélienne et boycotter les élections ainsi que toute collaboration avec la mairie israélienne.
Les Arabes de Jérusalem boudent les urnes mais…
Cinquante ans plus tard, seuls 10% des 300 000 résidents arabes de Jérusalem (presque 40% de la population totale) ont opté pour la citoyenneté israélienne et la possibilité de participer aux élections nationales. Mais, au niveau municipal, les choses commencent à bouger. Pour la première fois, deux candidats arabes ont essayé de défier l’interdiction devenue quasi tabou. Et selon les résultats, c’est toujours le cas : une abstention quasi-totale (d’autant plus remarquable que la participation chez les Arabes israéliens est traditionnellement largement plus élevée que la moyenne nationale) a logiquement produit une maigre récolte de bulletins. Cependant, il n’est pas sûr que la situation ait retrouvé son statu quo ex ante. Et si le mur du boycott n’est pas brisé, il est – pour filer la métaphore – couvert de graffitis car le débat a bel et bien eu lieu, les positions des uns et des autres ont été exposés.
Ainsi, chacune de ces candidatures a défendu l’une des deux grandes options des ceux qui souhaitent changer de stratégie et casser l’interdiction : lutter contre l’occupation israélienne ou bien œuvrer pragmatiquement pour l’amélioration de la qualité de vie des résidents arabes de la ville. C’est donc drapeau ou ramassage des ordures, souveraineté ou propreté. Ramadan Dabash, ingénieur civil et promoteur père de douze enfants, citoyen israélien marié à quatre femmes, représente l’option pragmatique. Il entérine la présence israélienne comme un fait qu’il faut accepter d’autant que la plupart des résidents arabes de Jérusalem ne souhaitent pas être gouvernés par l’Autorité palestinienne, préférant les services et les normes de l’Etat israélien. Détail révélateur, Dabash se présentait seul, tous les autres membres de sa liste (Jérusalem pour les jérusalémites ») ont dû renoncer face aux pressions et menaces.
Le mufti implacable
L’autre option était incarnée par Aziz Abou Sarah, 38 ans, tête de la liste « Notre Jérusalem ». Pour l’homme qui a perdu un frère mort dans une prison israélienne pendant la première intifada, sa candidature fait partie de la lutte palestinienne contre l’occupation. Tout au long de la campagne il a soigneusement évité d’appeler la ville Jérusalem n’utilisant que le terme Al-Qods (« le sanctuaire », un toponyme à connotation islamo-nationaliste).
Les Palestiniens jérusalémites n’ont donc pas bougé cette fois ci et, comme le démontre la fatwa du mufti de Jérusalem interdisant aux musulmans de participer aux élections, la position officielle n’a pas changé. Cependant, alors que le Premier ministre israélien est reçu officiellement au sultanat d’Oman et jouit de la confiance de l’Arabie saoudite et de l’Egypte, alors que la Cisjordanie et Gaza sont toujours à couteaux tirés et que la solution à deux Etats semble plus que jamais compromise, le pragmatisme pourrait avoir de beaux jours devant lui.
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