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Elites occidentales: elles pensent comme Poutine!

De Macron ou Poutine, qui est le plus complotiste?


Elites occidentales: elles pensent comme Poutine!
Vladimir Poutine, octobre 2018. SIPA. AP22255177_000021

Les élites occidentales pensent de plus en plus comme leur grand ennemi: Vladimir Poutine. Dans leur esprit, le grand méchant russe serait responsable de tous leurs maux. Une vraie théorie du complot.


Deux projets de loi destinés à lutter contre la « manipulation de l’information » ont été débattus, fin septembre, devant le Parlement. L’idée-même de loi anti-fake news soulève en soi maintes critiques sur les dangers qu’elle représente, en matière de libre information et d’arbitraire du contrôle. Au-delà de ces aspects souvent relevés et commentés, il semble surtout que la fébrilité des élites occidentales autour de cette question dise quelque chose d’assez inquiétant sur l’évolution de leur mentalité.

La poutinisation des esprits

En juin dernier, Emmanuel Macron s’inquiétait de la montée de la « lèpre », nationaliste et populiste, qui affecterait l’Europe et menacerait son unité – le Brexit, ses valeurs – la fermeture migratoire italienne, autrichienne, hongroise…, et la démocratie – les fake news. Cette diatribe du président de la République s’inscrivait dans le cadre plus large de la préoccupation des élites occidentales, puisque des maux similaires sont systématiquement associés à la présidence de Donald Trump outre-Atlantique, et que l’idée-même de fake news est principalement associée aux efforts russes de déstabilisation de l’Occident.

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Loin de l’auteur de ces lignes l’idée de contester les redoutables manœuvres du Kremlin, qui se situent dans la droite ligne de la tradition soviétique remise au goût du jour avec beaucoup de savoir-faire par Vladimir Poutine et ses séides. Ce qui attire notre attention est le paradoxe qu’il y a à constater qu’en fait, les élites installées de l’Occident, si inquiètes de la dégénérescence de la démocratie, ne se rendent pas compte du mal profond qui les atteint, et qui est une menace tout aussi importante – et peut-être plus importante, en ce qu’elle est première et nourrit la « lèpre » – pour les démocraties occidentales. Ce mal, c’est ce qu’il convient d’appeler la poutinisation des esprits, c’est-à-dire le fait que les élites occidentales se sont mises, précisément, à penser comme Vladimir Poutine.

Le soviétisme a du ressort

Comment pense Vladimir Poutine ? Comme un Soviétique, c’est-à-dire comme un ingénieur social : les masses sont manipulables, elles ne décident rien, elles sont une pâte à la main de petits groupes d’intérêts organisés et volontaires qui peuvent lui donner la direction qu’ils veulent par la subversion, l’agitation, la propagande, les coups de force et d’Etat. Il serait très intéressant de retracer les origines de cette pensée, qui nous ferait probablement passer par la théorie léniniste de la révolution et son héritage dans la doctrine du KGB, mais ce n’est pas notre propos ici.

Concentrons-nous sur les conséquences analytiques de cette pensée : dès lors, tout ce qui arrive à grande échelle dans le monde est nécessairement le résultat d’une telle action, et le fruit d’une intention manipulatrice. Et, bien sûr, si cela va contre les intérêts de la Russie, l’action et l’intention sont celles d’un ennemi malveillant, l’Occident en général et les Anglo-saxons en particulier. C’est ainsi que, pour Vladimir Poutine, toutes les révolutions de couleur qui ont touché des pays de l’espace ex-soviétique – en Ukraine, en Géorgie… – sont nécessairement l’effet de complots occidentaux. De même, le « Printemps arabe » serait la conséquence de manœuvres occidentales. Cette vision conspirationniste a été répandue en Occident parmi les franges extrémistes des électorats, où elle a toujours beaucoup de succès.

Durant les années 2000, et même jusqu’à l’annexion de la Crimée, les élites occidentales regardaient cette analyse comme il convenait : avec un haussement d’épaules, la jugeant, à raison, absurde. Bien sûr, cela ne signifie nullement que l’Occident fût parfaitement étranger à toutes ces révolutions locales : de nombreuses ONG et agences de renseignement ont soutenu et encouragé les efforts de démocratisation dans ces pays et les réseaux d’opposants. Il est cependant évident que tous ces grands mouvements de masse, ces basculements nationaux n’ont pas eu pour cause ces interventions ; on peut organiser un coup d’Etat, pas une révolution populaire. Lorsque les gens descendent par dizaines de milliers dans les rues ou votent par millions pour une véritable alternance politique, ce n’est jamais l’effet d’une intervention étrangère, mais un mouvement de fond. L’étranger peut tenter d’influer sur le mouvement, de profiter du basculement pour placer des pions, mais pas provoquer le mouvement lui-même – non plus que le régime en place ou ses alliés ne peut l’arrêter. Pour reprendre un exemple historique russe, ce n’est pas l’Allemagne qui a provoqué la révolution de 1917 en expédiant Lénine en wagon blindé ; preuve en est que l’Allemagne elle-même, en 1918, a subi une révolution alors que la Russie n’y avait envoyé personne. La révolution, de part et d’autre, était la conséquence de facteurs profonds : l’organisation politique autoritaire, la guerre interminable, les difficultés économiques.

Joue-la comme Poutine

Cependant, depuis l’annexion de la Crimée et le retour de la méfiance – fondée – envers la Russie de Poutine, les élites occidentales ont progressivement tourné le dos à cette attitude sage et commencé à développer une paranoïa similaire à celle du régime russe héritier du KGB : ne se contentant pas de dénoncer les ingérences russes dans les affaires occidentales – tout aussi réelles, et sans doute d’intentions moins dignes, que celles occidentales dans l’étranger proche russe ou la Russie elle-même – elles leur confèrent désormais un caractère déterminant. Il en a été un peu question pour le Brexit, mais plus encore pour l’élection de Donald Trump, dans laquelle l’intervention russe est devenue l’excuse d’Hillary Clinton et du camp démocrate pour sa défaite inattendue, alors qu’au regard des moyens russes – 13 personnes inculpées à ce jour et quelques usines à trolls en Russie-même – l’effet de l’action russe n’a pu être que marginal dans une démocratie de 320 millions de personnes.

Pourtant, le phénomène gagne en ampleur. En Europe, spécifiquement en France, on juge désormais nécessaire de lutter contre les fake news, non seulement par la presse libre et sérieuse, ce qui est la tradition démocratique et libérale, mais par la loi et l’interdiction. C’est-à-dire qu’à force de penser comme Poutine, nos élites en viennent à agir comme Poutine, toujours prompt à dénoncer les « agents de l’étranger » et à interdire des ONG sur le sol russe.

L’étranger guidant le peuple

Exemple spectaculaire, et peut-être point culminant de ce paradoxe, Frédéric Taddéi, qui a toujours revendiqué sa liberté de ton, et surtout de donner la parole à tout le monde, dans un véritable esprit de débat ouvert, a annoncé récemment qu’il officierait désormais sur… RT France (Russia Today France), le service public français ne lui offrant plus la même liberté qu’il y a quelques années encore.

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Il semble donc urgent d’identifier et de dénoncer ce mal qui frappe depuis quelques années nos élites occidentales, avec des conséquences éminemment néfastes pour la démocratie : il est dangereux que les élites d’un pays démocratique doutent tant de la capacité de jugement populaire, au point de croire le peuple si sensible à une manipulation de l’étranger. Cela conduit à remettre d’abord en cause le résultat des élections, et ensuite leur principe, en même temps que cela dissuade les élites de toute remise en question, puisque toute critique populaire est disqualifiée a priori. Après la poutinisation des esprits, le risque est à la poutinisation des institutions. Est-ce vraiment ce que nous souhaitons ?



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