Le Mondial de l’Auto 2018 a comme un air de 1978. Même sous tension électrique, il fait comme son autocritique et la part belle aux anciennes. Celles qui polluaient. Et que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…
Barthes parlait de grandes cathédrales gothiques pour qualifier les mythologies automobiles à l’orée des Trente Glorieuses. Aujourd’hui, ça ressemble plutôt à une fête paroissiale un peu ratée où les bancs sont (à moitié) vides et la foi dans le « Dieu Auto » jadis tout puissant se perd dans les allées du parc des expositions. La Porte de Versailles n’accueille plus toutes ses ouailles. La famille se décompose. Face à ces crises de vocation, il y a de la dissidence dans l’air. Certains constructeurs (un tiers d’entre eux) boudent Paris et ne croient plus vraiment aux vertus du salon à l’ancienne.
En SUV, Simone, c’est l’automne !
Ils préfèrent vendre leurs produits autrement, par d’autres canaux de diffusion moins coûteux. La voiture s’achète désormais au forfait, à la mensualité, à tempérament en somme, elle est devenue un service comme un autre. Gardez-vous bien de vanter l’auto-plaisir, de rouler des mécaniques en société ou d’évoquer Morand, Sagan et Michel Vaillant, on vous prendrait pour un dangereux agitateur. De toute façon, les automobilistes conduiront bientôt tous des SUV électriques. Le collectivisme a gagné la bataille de la route.
Pilotage automatique
Une bagnole unique, un parti unique, un acheteur unique ; la mondialisation aura eu le mérite de broyer toutes les individualités et les identités en trente ans seulement. Les carrosseries garées en quinconce, les hôtesses accortes, la musique assourdissante, les prospectus donnés à profusion (responsables à eux-seuls de la déforestation amazonienne), tout ce barnum machiste et immoral tend à disparaître. Ouf, notre Terre est sauvée ! En responsabilité, nous avons radicalement changé d’époque. Les marques s’expriment comme des politiciens fraîchement élus, des éléments de langage viennent ponctuer leur soporifique discours et assommer le grand public. On a droit à une charge environnementale quotidienne censée nous culpabiliser un peu mais pas trop. Car il nous est vivement conseillé de changer notre diesel contre des batteries « propres ». Le consommateur peine à suivre ces retournements idéologiques. Nous sommes des pollueurs alors qu’hier encore, nous étions fiers de soutenir les filières au mazout subventionnées par l’Etat. C’est à n’y rien comprendre.
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La prise de courant remplacera prochainement le pistolet à la pompe. Les écrans fleurissent déjà sur les tableaux de bord. La connectivité a quelque chose de miraculeux. En sortant son monospace du garage, votre voisin retraité des Postes se prend maintenant pour Tom Cruise. Affichage tête haute, avertisseurs sonores, maintien de la trajectoire, pilotage automatique, c’est le Top Gun du quartier en charentaises. Aucun risque d’atteindre la vitesse Mach 1 avec sa familiale sur une départementale, vu l’état déplorable de nos chaussées et la multiplication des panneaux de limitation. Et le rêve dans tout ça ?
Elles reviennent !
La locomotion et l’imaginaire ont toujours roulé ensemble depuis la fin du XIXème siècle. C’est donc avec appréhension que je me suis rendu au Mondial. Les gadgets numériques et les donneurs de leçon m’ont toujours filé la migraine. À un moment, j’ai cru m’être trompé de date, genre faille spatio-temporelle dans le XVe arrondissement. Un coup des Bogdanoff. Nous étions pourtant bien le 2 octobre et non en février à Rétromobile, le salon consacré aux anciennes. Par un étrange phénomène, les « vieilles » ont annexé les « modernes ». Tout le paradoxe d’un secteur englué dans tant de contradictions, contraint à changer son modèle économique et, en même temps, à injecter de la passion, donc de la déraison dans l’achat d’une automobile. Chez Peugeot, le concept e-LEGEND fait revivre la 504. Chez Porsche, on expose des Speedster et la figure tutélaire de McQueen veille au grain. Chez Renault, on ressort une R5 des « seventies » avec un moteur électrique. Chez Jaguar, la XJ Série 1 4,2 litres de 1968 immatriculée PHP 42 G donne des complexes aux jeunettes de la gamme. Chez Alpine, la Berlinette inspire toujours. Chez Citroën, une splendide 2CV camionnette rouge à l’échelle 1 semble avoir été « collée » contre le mur. Et puis, au détour d’un stand, on croise une Maserati Ghibli comme celle de Maurice Ronet dans La Piscine, une Ford GT40 égarée des 24 Heures du Mans, sans oublier le très sympathique Jimny (la star de cette édition 2018 !) qui rappelle la version originelle datant de 1970.
Dans le hall des motos, même constat, on mélancolise à tout-va avec la renaissance du Cub et du Monkey chez Honda. Et si ce vent de nostalgie ne suffisait pas, l’exposition « Routes mythiques » dans le hall 5 joue le rétro à bloc : Bentley, Cadillac, « Rolls » du Dakar, triporteur, SM, coupé BMW, Vespa ACMA construit dans la Nièvre, Facel FV3, etc. L’auto de grand-papa bouge encore !
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