La confrontation entre Hapsatou Sy et Eric Zemmour est symptomatique de notre époque. En reprochant à contradictrice son prénom exotique, le journaliste ne fait que pousser sa nostalgie assimilationniste au bout de sa logique. Les réactions outrées qu’il a suscitées révèlent une fâcheuse acclimatation à la société multiculturelle.
Quelques jours après un vif échange avec Éric Zemmour chez Ardisson, c’est pour défendre « les enfants de la République » qu’Hapsatou Sy lançait une pétition (hache-tag : je suis la République), cherchait un avocat qui connaîtrait un détour et serait prêt à commettre un détournement judiciaire pour traîner son adversaire au tribunal, et demandait aux médias de prendre leurs responsabilités en refusant de recevoir Éric Zemmour, pas pour toujours, mais tant qu’il ne se sera pas excusé, au moins pour les enfants de la République. Manifestement pour Hapsatou, il y a un avant et un après Zemmour. Pimpante, malicieuse, charmante avant, on l’a vu ressemblant à un cocker aux oreilles frisées quand elle est revenue d’un air grave, parler de son « épreuve » et entreprendre un combat contre la haine : « Dans toute ma vie et depuis que je fais de la télé, je n’ai jamais rencontré autant de violence raciste. – Jamais ?, lui demanda Laurence Ferrari. – Jamais ! Jamais ! Jamais ! », répondit la jeune femme visiblement choquée, en tant que minorité.
Le retour de la France-raciste
On peut la croire et on peut la comprendre. La jeune femme est née en 1981. Lorsqu’elle a commencé à découvrir le monde, les têtes-de-nègre avaient été remplacées par des boules coco dans les boulangeries et les enfants des écoles ne chantaient plus « un jour dans sa cabane, un tout petit négro jouait de la guitare… », comme nous le faisions sans malice dans notre jeunesse. Pour ne pas froisser Hapsatou et les enfants de la République venus d’ailleurs, la France, la République et les Français, qui sont des gens prévenants et délicats, avaient peu à peu changé leurs habitudes. On peut les en féliciter puisqu’en trente-sept ans, la jeune femme n’a semble-t-il rien rencontré de plus violent en matière de racisme qu’un échange avec Éric Zemmour. Le bilan de Julien Dray et d’Harlem Désir n’est donc pas globalement négatif, et malgré le racisme d’État dont parlent certains sociologues et le plafond de verre raconté par les féministes, il est possible de s’en sortir par l’entrepreneuriat et le vedettariat, même quand on est une femme, et même quand on est noire. Je m’en réjouis, et je suis sûr que Zemmour pourrait me suivre sur ce coup-là.
Français, comme ils veulent
Mais dans l’élan donné par SOS racisme, on ne se contente plus dans la France des droits de l’homme de ne pas heurter les sensibilités, il faut ménager les susceptibilités. Et les « mauvais gagnants » de l’antiracisme en remettent plusieurs louches. « Venez comme vous êtes nous enrichir de vos différences » a été la musique qui a bercé Hapsatou depuis l’enfance et l’esprit de la loi qui a permis aux Français autoproclamés citoyens du monde ou fils d’Allah de donner à leurs enfants un prénom du monde. Et là, c’est moi qui suis Zemmour : nous sommes allés un peu trop loin. Nous nous sommes tant éloignés de la France de l’assimilation, qui déjà très généreuse prêtait aux nouveaux venus ses ancêtres et donnait à leurs enfants ses prénoms pour dériver vers celle du multiculturel, que nous ne pouvons plus dire qu’Hapsatou n’est pas un prénom français puisqu’il est le prénom d’une Française. Le communautarisme fissure le ciment populaire et on ne peut pas regretter la prolifération de prénoms qui en sont la marque, l’emblème, l’étendard. On peut assister au désastre d’une société qui éclate en communautés, mais on ne peut pas décrire le processus qui provoque sa dissolution sans provoquer un scandale. Personne ne semble comprendre aujourd’hui comment un prénom peut être une insulte à la France, mais alors comment qualifier les choix de ceux qui veulent faire savoir qu’ils sont Français comme ils veulent, et pas autrement, là où on avait coutume d’être Français comme tout le monde ?
Le syndrome de « mademoiselle »
Devant le spectacle de la réprobation générale qui frappe Éric Zemmour, où se confrontent ceux qui l’accusent de racisme et veulent le faire taire et ceux qui n’iront pas jusque-là, pensent qu’il faut le laisser parler et précisent qu’il a tort, arbitrés parfois par des animateurs de chaînes commerciales qui rappellent qu’il vend beaucoup de livres et que, donc, la question ne se pose pas, je me dis qu’une forme de tolérance à la société multiculturelle gagne les esprits de tous, qu’un principe de réalité s’impose à l’opinion et qu’en face d’une femme, jeune, noire et charmante, il devient impossible de débattre et difficile d’avoir raison. Malgré Zemmour et sa grande armée de lecteurs, dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres, la France que nous connaissions a perdu du terrain et nous pourrions perdre en plus le droit de le regretter publiquement. Après le débat, on ne s’est pas interrogé sur « comment » (comme on dit sur France Culture) être Française en s’appelant Hapsatou et personne n’a lancé de pétition pour qu’elle se fasse rebaptiser. En revanche, on s’est partout demandé s’il fallait encore inviter Éric Zemmour et on a pétitionné pour dire que non. Parce qu’il a osé pousser l’expression d’une nostalgie très partagée jusqu’au bout de sa logique, on demande sa tête, ou au mieux, même si l’on pense en privé qu’il a raison, on concède en public qu’il a tort, parce que dans l’état actuel de la France, ses propos peuvent blesser des gens.
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Ça me rappelle l’époque, pas si ancienne, où l’on pouvait rire d’une religion et de son prophète, et celle où l’on disait « mademoiselle » aux jeunes filles, avant de cesser de le faire et de renoncer au blasphème comme à la galanterie, pour ne pas blesser des gens. Aujourd’hui, en accablant Zemmour de reproches, on lui demande de ne plus exprimer publiquement de nostalgie parce que le mal du pays où les filles s’appelaient plutôt Corinne, ça peut blesser des gens. Et à part Zemmour qui meurt, mais ne s’excuse pas, quand on demande aux Français d’arrêter de blesser des gens, surtout femmes et surtout noires, ils s’exécutent. Jusqu’à présent, les exécutions n’ont pas été mortelles. Alors jusqu’à présent, tout va bien ?