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Macron, le président errant

Loin de restaurer l'image présidentielle, son style erratique érode l'autorité de l'Etat


Macron, le président errant
Emmanuel Macron en marche dans les couloirs de l'Elysée, septembre 2018. SIPA. 00875776_000003

Depuis son élection, le président Macron joue sur tous les tableaux. Il oscille entre le monarque républicain, le manager motivé et « hypercompétent », l’individu sentimental et branché. Loin de restaurer l’image présidentielle, ce style égotique et erratique érode l’autorité de l’Etat, déstabilisant un peu plus une société mise à mal par l’adaptation à la mondialisation et à l’Europe.


Emmanuel Macron a fasciné et fascine encore nombre de journalistes et d’intellectuels. Dans les journaux et les revues, à la radio et la télévision, sur internet et les réseaux sociaux, celui qui incarnait la rupture et la nouveauté a suscité de multiples interrogations et commentaires. Qui était vraiment Emmanuel Macron ? N’incarnait-il pas à sa façon le bonapartisme et le gaullisme, teintés de centrisme ? N’avait-il pas des traits communs avec la deuxième gauche et le rocardisme ? Sans oublier des références historiques plus anciennes comme Gambetta et Waldeck-Rousseau… Chacun croyait trouver la clé de l’énigme Macron en projetant sur lui des références d’un autre temps. Il ne se confondait pourtant avec aucune d’entre elles, agglomérant différentes figures autour d’une personnalité hors du commun.

L’habit ne fait pas le président

La célébration de la victoire lors du rassemblement devant la pyramide du Louvre rappelait celle de Mitterrand en 1981 et sa visite au Panthéon. Les différences n’en étaient pas moins frappantes : la cérémonie ne traduisait pas la reconnaissance d’une dette ou d’une filiation avec les grands hommes de la République ; elle ressemblait plutôt à la mise en scène d’un jeune homme marchant seul vers son destin, s’intronisant dans la fonction présidentielle avec l’Ode à la joie, devenue l’hymne européen. Retransmise en direct à la télévision comme un « son et lumière », cette célébration avait quelque chose d’irréel. Malgré l’enthousiasme des supporters qui agitaient frénétiquement leurs petits drapeaux, cette présidence qui s’annonçait « jupitérienne » avait quelque chose de décalé, voire de glaçant, tellement la mise en scène « en faisait trop ». Du manager de la start-up électorale façon Obama au monarque républicain, la métamorphose avait été soudaine. Cette façon de changer si rapidement de costume, comme au théâtre, avait de quoi surprendre.

Le portait officiel ne m’a pas semblé plus rassurant. Examinez-le : la posture comme la détermination se veut sans faille et semble écraser la fonction, comme s’il y avait une inversion des rôles entre la personne et l’institution. L’oubli de soi et la conscience de la charge s’effacent au profit de l’affirmation d’une nouvelle personnalité dynamique et motivée qui s’affiche comme la maîtresse des lieux et du temps. Le moindre détail du tableau se veut signifiant. Objets et livres de référence sont placés en évidence, comme autant de symboles maîtrisés par le nouveau président : un encrier surmonté d’un coq, une horloge traditionnelle d’un côté, deux smartphones de l’autre ; Les Mémoires de guerre du général de Gaulle et Les Nourritures terrestres de Gide, sans oublier Le Rouge et le Noir de Stendhal, qui est l’histoire d’une ambition… La cohérence n’a rien d’évident, mais le tout s’ordonne autour d’une image de soi que l’on entend promouvoir auprès des Français. Cette façon appuyée d’afficher les symboles associés à son seul ego m’est apparue comme une faiblesse interne, un déficit d’incarnation compensée tant bien que mal par une volonté manifeste d’ « en rajouter ».

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Depuis, cette présidence est quelque peu redescendue sur terre – plus précisément dans les médias et les réseaux sociaux – en jouant sur tous les tableaux à la fois : de la stature du chef de l’État et des armées au débatteur médiatique et réactif ayant réponse à tout, des discours ciselés avec références intellectuelles et littéraires aux petites phrases à l’emporte-pièce, sans oublier le président glamour et sympa s’affichant avec le commun des mortels et des DJ branchés…

Cette capacité à jouer tous les rôles, de passer outre les ministres, de se mouler dans les différents codes de la communication selon les publics, les circonstances et les moments a de quoi surprendre les anciennes générations qui gardent encore une vision traditionnelle de la fonction présidentielle n’impliquant pas de telles gesticulations. Celles-ci peuvent paraître secondaires en regard des questions économiques et sociales, de l’éducation ou de la politique étrangère, mais elles n’en contribuent pas moins à dévaloriser la fonction présidentielle et traduisent un certain état des mœurs au sein de la société et de l’État.

Un « nouveau monde » déconcertant

Les premiers présidents de la Ve République ont connu la guerre et le tragique de l’histoire. Chirac est le dernier chef de l’État à avoir fait la guerre, en Algérie. Leurs successeurs ont vécu dans un tout autre contexte, marqué par l’idée d’une fin de l’histoire sous le triple registre du libéralisme économique, des droits de l’homme et de la construction d’une Union européenne qui semblait passer outre les identités nationales et les frontières. L’histoire a versé dans une « mémoire » pénitentielle et victimaire et le relativisme culturel est devenu hégémonique au sein de la société et dans les médias.

C’est dans ce contexte que se sont développés les bricolages identitaires et un nouveau culte de l’ego, pour lequel l’image de soi et le besoin de reconnaissance sont des préoccupations de premier plan. Dans une société dépolitisée et sortie de l’histoire, la figure du jeune cadre dynamique, ouvert et branché, la performance et la réussite sont devenues des modèles valorisants. La « vocation » politique aux plus hautes fonctions n’a pas échappé à ce changement : elle est devenue un projet de carrière ayant de nombreux aspirants. Il en va de même pour la culture qui, mise sur le même plan que les loisirs et le divertissement, a changé de nature et de signification. De facteur structurant des identités individuelles et collectives liées à l’histoire d’un pays et d’une civilisation, elle est devenue au mieux un « supplément d’âme » à une politique gestionnaire et comptable. Intégrée dans la logique de la communication, elle est un élément de distinction et de séduction.

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Réduit à un outil de communication, le langage est devenu flottant. Les déclarations d’Emmanuel Macron sur les « crimes contre l’humanité » qu’aurait commis la France en Algérie et l’affirmation selon laquelle il n’y aurait pas de culture française n’ont pas été considérées comme des fautes, mais comme des maladresses. À la limite, le contenu des idées et la rigueur de la pensée importent peu : on pourra toujours rectifier en cours de route ou faire valoir une autre idée, éventuellement contradictoire, en affirmant qu’il s’agit d’une erreur d’interprétation. Les conseillers et les courtisans sont là pour tenter de justifier les impossibles synthèses du « en même temps ». En revanche, il importe avant tout de ne pas heurter la sensibilité de « chacune » et de « chacun ». On ne peut ou ne veut pas dire qu’on a commis une erreur ou une faute, mais on s’empresse de présenter ses excuses pour les blessures qu’on a infligées involontairement à telle ou telle personne ou catégorie de la population. La multiplication des commémorations tente de suppléer tant bien que mal l’unité de la nation par l’émotion et la grandiloquence.

La politique n’est pas seulement devenue étroitement adaptative, elle est aussi sentimentale, participant d’un nouvel air du temps où le ressenti tend à supplanter la raison politique, noyant tout dans l’indistinction. Les frontières entre vie publique et vie privée s’estompent, l’émotion et les sentiments du président font écho à ceux d’une population à la sensibilité à fleur de peau. Les « selfies » se font de bonne grâce et circulent sur les réseaux sociaux comme autant de manifestations d’une proximité affective entre le couple présidentiel et la population.

Des difficultés de l’incarnation

Emmanuel Macron a beau afficher une volonté de restaurer la fonction présidentielle, par rapport à ses deux prédécesseurs, il n’y parvient pas, oscillant sans cesse entre le monarque républicain, le manager motivé et « hypercompétent », l’individu sentimental et branché… Cette difficulté n’est pas une simple affaire de psychologie individuelle. Elle est le fruit d’une évolution qui s’est accélérée depuis trente ans. Les nouvelles générations ont été éduquées et formées dans un terreau sociétal qui n’a plus grand-chose à voir avec les cadres culturels et idéologiques des anciennes générations. L’information en continu, internet et les réseaux sociaux ont accentué le phénomène en multipliant les sollicitations, en incitant à la réactivité, en mélangeant les genres et en rabattant tout le monde sur le même plan.

Le rapport à la politique, à la culture et aux institutions a changé, et contrairement aux rhéteurs de la modernité et du jeunisme, ce changement ne me paraît pas nécessairement synonyme de progrès. Le style Macron érode l’autorité de l’État et déstabilise un peu plus une société mise à mal par l’adaptation à une mondialisation qu’on voudrait heureuse et une Union européenne mal en point. Les habits bariolés du président reflètent un « nouveau monde » morcelé et l’on voit mal comment l’activisme et la politique de la fuite en avant pourraient unifier et rassurer le pays. Emmanuel Macron peut s’appuyer sur une partie des nouvelles générations, pour qui le passé est ringard, mais les jeux de la séduction ne durent qu’un temps. Ceux qui s’y laissent prendre devraient garder en tête qu’ « il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne », des honneurs et du sentiment de toute-puissance à la vindicte publique et à l’oubli. L’ « affaire Benalla » en est un premier exemple frappant.

Reste à savoir si la période que nous vivons est un moment critique et passager de notre histoire ou témoigne d’un changement anthropologique durablement installé. Dans tous les cas, rien n’empêche d’exercer son esprit critique et de faire valoir ce à quoi l’on tient dans notre héritage politique et culturel, loin de la fascination pour les princes et les puissants d’un moment.

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Septembre 2018 - Causeur #60

Article extrait du Magazine Causeur




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Sociologue, président du club Politique Autrement. Derniers ouvrages parus : La Fin du village. Une histoire française, Gallimard, 2012. La Gauche à l’épreuve 1968-2011, Perrin, 2011.

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